Le secret des affaires

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secret-affairesPlacé sous le feu de l'actualité juridique et législative, le secret des affaires occupe aujourd'hui une place centrale dans la stratégie des entreprises.

Prenant en compte cette réalité, la proposition de directive du 28 novembre 2013 (1) et la proposition de loi du 16 juillet 2014 (2) visent à instaurer un cadre légal approprié à la protection du secret des affaires.

Au-delà de l'exemple bien connu de Coca-Cola, dont le succès repose notamment sur la recette tenue secrète de sa fameuse boisson, le secret est un actif essentiel de l'entreprise, au même titre que les droits de propriété industrielle. Son extrême souplesse et l'absence de formalités d'enregistrement constituent des avantages indéniables face à ces derniers.

Le secret des affaires nécessite toutefois une attention particulière, tant au regard de sa définition que de ses conditions de protection.

secret-affairesPlacé sous le feu de l'actualité juridique et législative, le secret des affaires occupe aujourd'hui une place centrale dans la stratégie des entreprises.

Prenant en compte cette réalité, la proposition de directive du 28 novembre 2013 (1) et la proposition de loi du 16 juillet 2014 (2) visent à instaurer un cadre légal approprié à la protection du secret des affaires.

Au-delà de l'exemple bien connu de Coca-Cola, dont le succès repose notamment sur la recette tenue secrète de sa fameuse boisson, le secret est un actif essentiel de l'entreprise, au même titre que les droits de propriété industrielle. Son extrême souplesse et l'absence de formalités d'enregistrement constituent des avantages indéniables face à ces derniers.

Le secret des affaires nécessite toutefois une attention particulière, tant au regard de sa définition que de ses conditions de protection.

1. Quelle définition pour le secret des affaires ?

1. Quelle définition pour le secret des affaires ?

Le traité international sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, dit traité ADPIC, du 15 avril 1994, définit les "renseignements non divulgués", correspondant au secret des affaires. Pour être qualifiées de secrètes, les informations doivent satisfaire trois conditions (3) :

a) être secrètes en ce sens que, dans leur globalité ou dans la configuration et l'assemblage exacts de leurs éléments, elles ne sont pas généralement connues de personnes appartenant aux milieux qui s'occupent normalement du genre de renseignements en question ou ne leur sont pas aisément accessibles ;

b) avoir une valeur commerciale parce qu'elles sont secrètes ; et

c) faire l'objet, de la part de la personne qui en a licitement le contrôle, de dispositions raisonnables, compte tenu des circonstances, destinées à les garder secrètes.

Les propositions de directive et de loi susvisées reprennent la définition fournie par les ADPIC, afin de rappeler, si besoin était, les critères composant le secret des affaires.

Pour mémoire, le secret des affaires se distingue du savoir-faire : le secret des affaires comprend le savoir-faire mais également les informations commerciales et technologiques de l'entreprise (4).

En l'absence d'un régime juridique spécifique au secret des affaires, les tribunaux ont protégé le versant civil du secret des affaires sur le fondement général de l'article 1382 du Code civil, siège de la responsabilité civile délictuelle. Dans ce cadre, les juges mettent en lumière les impératifs de caractère secret relatif et de valeur commerciale des informations, en omettant souvent le troisième critère de mise en œuvre de dispositions raisonnables pour les conserver secrètes (5).

D'un point de vue pénal, l'article L.621-1 du Code de la propriété intellectuelle protège le secret de fabrique. Davantage restreint que le secret des affaires, cette infraction pénale est attachée au caractère technique des informations (6) et ne concerne que les révélations faites par tout directeur ou salarié d'une entreprise (7). D'autres délits pénaux, comme le vol, protègent indirectement le secret des affaires. Notons que la proposition de loi française renforce le dispositif pénal (8), là où la proposition de directive se contente du seul volet civil.

2. Comment prévenir les atteintes au secret des affaires ?

2. Comment prévenir les atteintes au secret des affaires ?

Pour Voltaire, "Dire le secret d'autrui est une trahison, dire le sien est une sottise" (9). L'image est juste : il est vrai que la communication d'informations, tant aux salariés de l'entreprise qu'aux tiers, présente inévitablement des risques. 

D'une part, force est de constater que les "fuites" proviennent le plus souvent de personnes internes à l'entreprise. Outre les clauses de confidentialité contenues au contrat de travail, l'instauration d'un règlement intérieur, d'une charte informatique et l'organisation de formations au sein de l'entreprise permettent de sensibiliser les employés à l'exigence de maintenir les informations secrètes.

Les moyens matériels de protection du secret ne doivent pas être négligés : code d'accès pour les salles où sont stockées les informations, réseau intranet avec mot de passe et accès adaptés à la fonction de chacun dans l'entreprise, entrepôts hors de portée de vue de toute personne non-autorisée…  Les possibilités sont vastes !

En outre, le traitement interne de l'information peut être organisé autour de cercles concentriques, graduant le degré de confidentialité de l'information. A chaque cercle une protection adaptée : l'instauration d'un "club de confidentialité" (10) plus ou moins étendu, la mise en œuvre de moyens matériels correspondants, l'usage ou non du réseau intranet pour communiquer les informations, etc. Devra donc être effectué au préalable un travail d'identification et de classification de l'information.

D'autre part, l'exploitation commerciale des informations secrètes présente d'évidentes particularités. En effet, la concession de licences à des tiers semble paradoxale avec la notion clé de secret : comment partager ses secrets tout en conservant leur caractère secret ? Au minimum, une clause ou un accord de confidentialité devra être conclu. Cette clause ou accord doit être complété par la tenue d'une liste tant des informations transmises que des personnes ayant eu communication des secrets au cours de l'exécution du contrat, ou encore en obligeant le cocontractant à adopter des moyens matériels de protection.

Utile en cas de litige, le dépôt préventif des informations secrètes auprès d'officiers ministériels  est également un outil adéquat pour constituer une preuve de sa détention préalable.

3. Quelle protection du secret des affaires lors d'une procédure judiciaire ?

3. Quelle protection du secret des affaires lors d'une procédure judiciaire ?

L'impératif de contradictoire, prévu par le Code de procédure civile (11) (CPC) contraint les parties à une procédure judiciaire d'informer la partie adverse de ses demandes, de communiquer ses éléments de preuve et d'en débattre. Défendre ses secrets devant les tribunaux reviendrait à les divulguer publiquement !  

Le secret des affaires ne constitue pas en lui-même un obstacle aux mesures d'instruction in futurum de l'article 145 du CPC (12). Le saisi peut toutefois demander le séquestre immédiat des éléments saisis, jusqu'à que le juge ait statué sur leur sort après débat contradictoire. D'une manière plus générale, le juge contrôle l’équilibre entre le droit à la preuve et le respect du secret des affaires, en exigeant que la communication des pièces procède d’un motif légitime et représente une véritable utilité, légitimité et pertinence pour la procédure. Dans le cadre d'une expertise, les tribunaux ont ainsi admis la communication de pièces ou de rapports d'expertise in extenso aux seuls conseils, à l'exclusion des parties (13).

Face à une saisie-contrefaçon, le saisi peut également demander au juge, sans délai et en justifiant d'un intérêt légitime, que des mesures soient prises pour préserver la confidentialité  de certains documents (14).

Devant les juges du fond, les possibilités de limiter la divulgation du secret allégué restent malheureusement limitées. Ainsi, les détenteurs de secrets devront opportunément choisir les éléments qu'ils communiquent, au risque de ne pouvoir rapporter la preuve de leurs prétentions.

Constatant que les détenteurs de secrets des affaires sont de ce fait réticents à engager des poursuites judiciaires, la proposition de directive renforce la confidentialité des débats en soumettant les parties à une obligation de confidentialité, en restreignant l'accès des parties aux audiences, ou encore en permettant au juge de publier une décision dénuée d'informations confidentielles (15) . Conscient de cette difficulté, le législateur français propose également des remèdes similaires sans toutefois être aussi ambitieux que son homologue européen (16).

4. Comment est indemnisée l'atteinte au secret des affaires ?

4. Comment est indemnisée l'atteinte au secret des affaires ?

En cas d'atteinte au secret, les tribunaux indemnisent leur détenteur en application des règles classiques de la responsabilité délictuelle : "tout le préjudice, rien que le préjudice" ! Tant la proposition de directive que de loi promettent une réorganisation de cette évaluation : à l'instar du droit de la propriété intellectuelle, seront pris en compte les conséquences économiques négatives et le préjudice moral de la personne lésée, ainsi que les bénéfices injustement réalisés par le contrevenant (17).

La tâche probatoire du demandeur est toutefois difficile : devra être rapportée la preuve que la divulgation au public des informations pourtant confidentielles a bien pour origine le défendeur à l'action (18). Un exercice parfois périlleux, à l'heure d'internet et des multiples réseaux de communication.

En l'absence d'un régime spécifique, l'action initiée suite à une violation de secrets se prescrit par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaitre les faits lui permettant de l'exercer (19). Ce délai de prescription serait toutefois fortement diminué par les modifications textuelles à venir : le législateur européen souhaite ainsi une durée de prescription d'"un an au moins et de deux ans au plus à compter de la date à laquelle le requérant a pris connaissance du dernier fait donnant lieu à l'action, ou aurait dû en prendre connaissance" (20).

Les propositions de directive et de loi en cours de discussion pourraient donc significativement renforcer les droits des détenteurs des secrets des affaires. Reste à souhaiter que les pouvoirs législatifs français et européens adoptent au plus vite ces textes prometteurs !

 

Emmanuel Gougé, Associé, Pinsent Masons

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 NOTES

(1) Proposition de directive, COM(2013) 813 final, du Parlement européen et du Conseil sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales (secrets d'affaires) contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites, du 28 novembre 2013.
(2) Proposition de loi n°2139 relative à la protection du secret des affaires, du 16 juillet 2014.
(3) Article 39 du traité ADPIC.
(4) Notamment, considérant n°8 de la proposition de directive du 28 novembre 2013.
(5) En ce sens, CA Paris, 12 avril 2013, RG n°12/21643.
(6) CA Paris, 21 juin 2013, RG n° 12/10106 ; Cass. crim., 19 septembre 2009, n° 05-85360.
(7) Par renvoi à l'article L.1227-1 du Code du travail : "Le fait pour un directeur ou un salarié de révéler ou de tenter de révéler un secret de fabrication est puni d'un emprisonnement de deux ans et d'une amende de 30 000 euros".
(8) Proposition d'article. L.151-8 du Code de commerce : " I. – Le fait pour quiconque de prendre connaissance ou de révéler sans autorisation, ou de détourner toute information protégée au titre du secret des affaires au sens de l’article L. 151-1 du code de commerce, est puni de 3 ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende".
(9) Œuvres de Voltaire, Volume 72, Tome II, 1840.
(10) Entendu ici comme un nombre limité de personnes auxquelles le secret a été communiqué.
(11) Articles 14 et suivants et 132 du Code de procédure civile.
(12) Rapport annuel de la Cour de cassation de 2010 ; Cass. civ. 2ème, 8 février 2006, n°05-14198.
(13) TC Nanterre, 9 mars 2011, n°2006F03121 ; TC Nanterre, 2 janvier 2012, n°2011R01510.
(14) Articles R.521-5 du Code de la propriété intellectuelle en matière de dessins et modèles ; R.615-4 pour les brevets ; R.623-53-1 pour les obtentions végétales ; R.716-5 pour les marques et R.722-5 pour les indications géographiques.
(15) Article 8 de la proposition de directive du 28 novembre 2013, "Protection du caractère confidentiel des secrets d'affaires au cours des procédures judiciaires".
(16) Projets d'articles L.151-5 à L.151-7 du Code de commerce.
(17) Article 13 de la proposition de directive du 28 novembre 2013, "Dommages-intérêts" ; Projet d'article L.151-5 du Code de commerce.
(18) CA Paris, 22 janvier 2014, RG n°12/16151.
(19) Article 2224 du Code civil.
(20)Article 7 de la proposition de directive du 28 novembre 2013, "Délai de prescription".

 

A propos de l'auteur


Emmanuel Gougé, Associé, Pinsent MasonsEmmanuel Gougé, Avocat, Pinsent Masons

Emmanuel Gougé est spécialisé en droit de la propriété intellectuelle (brevetsd’invention et savoir-faire, marques, noms de domaines et autres signes distinctifs, dessins et modèles, droit d’auteur) ainsi qu’en droit des nouvelles technologies et intervient tant en conseil qu’en contentieux.  Il assiste ses clients dans leurs contentieux aussi bien internes qu’internationaux et intervient dans de nombreux contentieux multi-juridictionnels visant à assurer la protection et la défense de brevets d’invention dans de nombreux domaines.

 

 


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