Brevet unitaire européen : le récent revirement du Royaume-Uni le fera-t-il vraiment exister ?

Décryptages
Outils
TAILLE DU TEXTE

Richard Milchior, Associé, GranrutRichard Milchior revient sur les derniers développements concernant la juridiction unifié du brevet et le Brexit. 

Il y a quelques jours, la ministre britannique en charge de la propriété intellectuelle a fait une annonce inattendue indiquant que le Royaume-Uni engageait les préparatifs en vue de ratifier les textes sur la juridiction unifiée du brevet (JUB), juridiction qui, rappelons-le, si elle entre en fonctionnement sera chargée de traiter les contentieux portant sur les brevets européens et futurs brevets unitaires européens. Le communiqué de presse émis à cette occasion précisait bien que cette annonce ne préjuge pas de la position britannique dans le cadre de la sortie de l’Union européenne.

Les commentateurs se sont précipités pour relayer l’information et les newsletters ont envahi nos boîtes aux lettres. Les commentaires peuvent se diviser en trois types principaux : le premier relayait l’information en se félicitant de la future ratification, le second faisait ressortir qu’engager les préparatifs en vue de ratifier l’accord ne signifiait pas que celui-ci sera ratifié et ne donnait pas de délai et le troisième consistait à dire que cette annonce et sa mise en œuvre pouvaient créer toute une série de difficultés.

Essayons d’aller plus loin en développant cette troisième catégorie de commentaires :

Début décembre 2016, la Cour suprême du Royaume-Uni a entendu les plaidoiries dans le cadre de l’appel contre le jugement du 3 novembre dernier de la Haute Cour de Justice de Londres mais également contre une décision rendue par une juridiction d’Irlande du Nord en vue de savoir si le premier ministre britannique pouvait, sans vote préalable du Parlement, notifier le retrait de l’Union européenne au titre de l’article 50 du Traité sur l’Union européenne. Cette décision devrait être rendue dans le courant du mois de janvier 2017, permettant ainsi éventuellement la notification du retrait à la fin du premier trimestre 2017, comme annoncé par le Premier Ministre Britannique. Dans cette hypothèse, le retrait prendrait effet, sauf prorogation, dans les deux ans, soit à la fin du premier trimestre 2019.

Évidemment, d’autres alternatives pas nécessairement théoriques peuvent se présenter telles que :
- Le Parlement peut refuser de voter l’autorisation de notifier le retrait, à supposer bien sûr que la Cour suprême juge qu’il doit être saisi.
- La Cour suprême saisit la Cour de justice de l’Union européenne afin d’interpréter l’article 50 du Traité, et savoir par exemple si la notification peut être retirée si l’accord final n’est pas approuvé notamment par le retrayant ! Dans cette hypothèse, l’arrêt de la Cour suprême du Royaume-Uni serait reporté à 2018, voire 2019, et la fin du délai prévu à l’article 50 interviendrait en 2020, voire 2021.

La première conclusion que l’on peut tirer est donc que le Royaume-Uni devrait à tout le moins continuer à faire partie de l’Union Européenne jusqu’en 2019 voire 2021.

C’est par rapport à ces délais que l’on peut commencer à examiner la situation que créerait la ratification par le Royaume-Uni de l’accord sur la JUB.

Cette seule ratification ne ferait pas rentrer le nouveau système en vigueur puisqu’il faudrait encore à tout le moins que le traité soit ratifié par l’Allemagne1.

À supposer que, pour les besoins du raisonnement, le Royaume-Uni et l’Allemagne ratifient au premier semestre 2017, on pourrait envisager que la nouvelle juridiction, qui inclurait donc une division locale et une partie de la division centrale au Royaume-Uni, entre en fonctionnement fin 2017 ou début 2018.

Les auteurs du système de la juridiction unifiée du brevet prétendent avoir mis en place une procédure qui pourrait aboutir à une décision de première instance dans un délai d’un an. Ceci signifierait qu’au moment de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, on pourrait être confronté aux cas de figures suivants :
- une décision définitive rendue par la division centrale ou une division locale mais ayant un effet dans l’ensemble de l’Union européenne actuelle donc Royaume-Uni compris.
- Une décision ayant fait l’objet d’un appel mais devenue définitive.
- Une décision de première instance faisant l’objet d’un appel encore pendant.
- Une instance toujours en cours en première instance.

La sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne n’entraînerait pas automatiquement semble-t-il son retrait du traité sur la juridiction unifiée du brevet.

Deux types de problèmes se poseraient au moins après le retrait :

Imaginons une décision définitive de première instance ou d’appel rendue avant la date d’entrée en vigueur du retrait (2019 ou après) par une division de la juridiction unitaire située en Angleterre, et imaginons que le bénéficiaire de la décision souhaite procéder à son exécution dans l’un ou plusieurs des pays restant de l’Union européenne.

Ceci sera possible avant le retrait puisque l’ensemble du système de la juridiction unifiée du brevet fonctionne en faisant usage ainsi que cela est prévu par les textes du règlement dit Bruxelles 1 bis modifié permettant l’exécution simplifiée des décisions dans l’ensemble de l’Union européenne.

Une fois sortie, et sauf évidemment si cela est prévu dans le cadre des accords de sortie à venir, ce règlement ne s’appliquera plus au Royaume-Uni et la décision de la JUB rendue au Royaume-Uni deviendra difficile voire impossible à exécuter dans le territoire restant de l’Union européenne.

À l’inverse, qu’en sera-t-il pour une décision rendue par l’une des divisions se trouvant sur le territoire subsistant de l’Union européenne. Ici également en l’absence de maintien en vigueur du règlement Bruxelles 1 bis modifié (Règlement 524/2014), il paraîtra difficile d’aller exécuter les décisions au Royaume-Uni.

Bien sûr, les dispositions nationales et les conventions bilatérales défaut d’autres accords dans le traité de sortie reprendront toute leur importance mais l’on reviendra de l’ère moderne de l’exécution simplifiée au stade préhistorique de l’exequatur.

Pourra-t-on alors envisager le maintien en vigueur du règlement Bruxelles 1 bis modifié ou des solutions alternatives ?

Plusieurs options sont possibles. Le Royaume-Uni pourrait rejoindre l’Espace économique européen et adhérer à la convention de Lugano (équivalent du règlement Bruxelles entre les pays de l’EE et ceux de l’UE) mais certains commentateurs disent qu’une telle adhésion à l’EEE n’est pas possible !
Maintenir par exception le fonctionnement du règlement Bruxelles uniquement dans le cadre du brevet unitaire européen et de la JUB poserait la double question des évolutions futures dudit règlement qui seront forcément négociées sans les britanniques, et surtout de son interprétation qui comme celle de tout autre règlement relève de la Cour de justice de l’Union européenne.

Or on lit que l’une des raisons qui a poussé un grand nombre de britanniques à voter pour le Brexit est le fait de refuser de se plier aux décisions de la CJUE. Accepteront-ils de lui redonner une primauté même limitée ?

Ajoutons qu’il existe un autre règlement sur les traductions du brevet unitaire qui lie aujourd’hui le Royaume-Uni mais ne le liera plus demain. Ce problème semble plus simple à régler dans le cadre d’un accord de sortie mais ne doit pas être oublié.

Tous les problèmes ici envisagés sans être forcément exhaustifs se poseront encore une fois le Royaume-Uni sorti de l’Union européenne tout en restant dans le système du brevet unitaire européen et de la JUB.

Il se poserait effectivement de plus fort car le système de la JUB prévoit comme on le sait la possibilité dans certains cas d’une interprétation par le biais de questions préjudicielles posées par la JUB à la CJUE.

La question serait cette fois double : le Royaume-Uni accepterait-il de rester soumis à la CJUE à tout le moins dans le cadre de la JUB ?

Compte tenu de l’avis qu’elle avait rendu sur la JUB, la CJUE accepterait-elle un système dans lequel elle se verrait poser des questions préjudicielles par des juridictions physiquement localisées en dehors du territoire de l’Union européenne et ce même s’il s’agit de juridiction de nature internationale ?

D’aucuns esquivent le problème en disant qu’il n’y aura pas en fait de questions posées et s’il est possible que le système des questions préjudicielles soit peu utilisé en pratique, il n’empêche qu’il existe en droit et pourra donc l’être à tout moment.
On peut finalement imaginer qu’étant devenu européen sans s’en rendre compte, Albion joue les Machiavel et se dise une fois l’accord entré en vigueur, il ne sera pas possible de m’en faire sortir.

Dans ces conditions, on se trouverait avec des décisions de la JUB incluant le Royaume Uni, mais ces décisions ne seraient pas forcément exécutables partout.

Ici Kipling reprendrait le dessus et le Royaume-Uni viendrait nous dire mais « ceci est une autre histoire ».

La présente alerte ne prétend pas répondre à toutes ces questions mais juste ouvrir le champ des sujets à traiter et faire prendre conscience du cercle vicieux ou du « Catch 22 » dans lequel la proclamation de la ministre britannique risque de nous entraîner et du problème qu’il conviendrait de régler avant une ratification allemande.

Des négociations dès à présent ne sont pas impossibles puisque le brevet unitaire et la JUB ne font pas partie de l’Union européenne et que le début des discussions n’est pas juridiquement lié à la mise en œuvre de l’article 50.

Les juristes et les entreprises sont régulièrement en quête de sécurité juridique. Ce nouveau système avec le Royaume-Uni à l’intérieur tout en étant à l’extérieur de l’Union européenne ne nous la garantira pas.

Richard Milchior, Associé, Granrut 

______________

NOTES

1. L’accord ne peut -à ce jour- rentrer en vigueur que s’il est ratifié par treize états dont la France , l’Allemagne et le Royaume-Uni


Lex Inside du 23 avril 2024 :

Lex Inside du 18 avril 2024 :

Lex Inside du 15 avril 2024 :