La Commission européenne frappe fort en bloquant le rachat de eTraveli par Booking : une révolution dans la régulation des fusions non horizontales

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Le 25 septembre 2023, la Commission européenne a pris une décision radicale en bloquant le projet de rachat de Flugo Group Holdings AB (eTraveli) par Booking Holdings, Inc. Cette décision est remarquable à plusieurs égards, car elle constitue la première interdiction de fusion de la Commission cette année, mais surtout, elle repose uniquement sur des préoccupations liées aux "effets de conglomérat", ou ce que la Commission appelle les "préoccupations d'écosystème".

La décision audacieuse de la Commission de s'opposer à cette opération en se fondant sur les effets de conglomérat marque une véritable révolution dans le domaine de la régulation des fusions non horizontales. Traditionnellement axée sur les effets horizontaux (le chevauchement direct entre les activités des entreprises fusionnantes) ou verticaux (les relations entre fournisseurs et distributeurs), la Commission Européenne ouvre désormais la voie à une nouvelle ère de surveillance, axée sur l'impact de l'expansion des écosystèmes d'entreprises sur la concurrence.

La Commission européenne a étoffé sa position en fournissant plusieurs arguments pour justifier son rejet.

En premier lieu, elle a souligné que Booking trônait déjà en tant que maître incontesté du marché des agences de voyage en ligne (OTA) pour les hôtels au sein de l'Espace économique européen (EEE), avec une part de marché dépassant les 60% et un seul concurrent majeur. De ce fait, la Commission Européenne a conclu que les concurrents OTA n'étaient pas en mesure de générer une pression concurrentielle suffisante, soulevant ainsi de sérieuses inquiétudes quant à l'éventualité d'un monopole incontesté.

Deuxièmement, la Commission européenne a affirmé que l’opération aurait donné à Booking un contrôle majeur sur les services OTA aériens, le deuxième plus grand marché après les OTA hôteliers. En acquérant eTraveli, Booking aurait consolidé sa position, créant ainsi un écosystème de services de voyage plus vaste.

Troisièmement, la Commission a indiqué craindre que cette expansion de l'écosystème de Booking ne rende plus difficile la concurrence sur le marché des OTA hôteliers, en renforçant les effets de réseau et en créant des barrières à l'entrée.

La Commission a ainsi conclu que la transaction aurait renforcé la position dominante de Booking sur le marché des OTA hôteliers dans l'EEE, réduisant ainsi la concurrence et augmentant les prix pour les hôtels, et éventuellement pour les consommateurs.

En un effort pour apaiser les inquiétudes de la Commission, Booking a présenté des mesures correctives de nature comportementale. Ces remèdes proposaient que Booking permette aux clients de réserver des hôtels via les agences de voyage en ligne concurrentes de Booking, directement depuis l'écran des offres de vols d'eTraveli. Cependant, la Commission a rejeté catégoriquement ces solutions, arguant qu'elles s'avéreraient d'une mise en œuvre effective complexe.

Cette décision audacieuse de la Commission représente un virage radical dans sa politique de blocage des fusions non horizontales, principalement dans les secteurs technologiques en constante mutation. Elle témoigne d'une conviction profonde selon laquelle les théories traditionnelles de préjudice concurrentiel sont désormais insuffisantes pour évaluer les fusions dans des marchés dynamiques.

Le veto de la Commission européenne au rachat Booking-eTraveli soulève des questions cruciales quant à la régulation des fusions non horizontales et à la manière dont les autorités de la concurrence appréhendent les préoccupations liées aux écosystèmes. Alors que Booking s'apprête à contester cette décision devant le Tribunal de l'Union européenne, l'issue de cette affaire promet d'alimenter un débat soutenu sur la méthode d'évaluation des fusions dans un contexte économique en perpétuelle évolution.

Virna Rizzo, Avocate, Cohen Amir-Aslani