Bâtonnat Paris 2016 : Guy Fitoussi

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guy-fitoussiLe Monde du Droit a interrogé Guy Fitoussi, candidat au bâtonnat du barreau de Paris.

Pourquoi vous présentez-vous ?

Je me présente car je suis très inquiet de ce qui se passe au barreau de Paris en ce moment, notamment avec la mise sur écoute du bâtonnier.
Notre bâtonnier doit être en principe le défenseur des avocats. Or, avec la mise sur écoute du bâtonnier, nous n’avons plus de protecteur.
Je pense que nous sommes responsables de cette situation et je compte mettre fin à cet état des choses.

Pourquoi vous présentez-vous seul sans vice-bâtonnier ?

Le vice-bâtonnier en se présentant jouit d’une position dominante par rapport aux autres candidats.
Cependant, je pense que le vice-bâtonnier est inutile.
Non seulement il est inutile mais aussi on lui reproche de se présenter.
C’est la raison pour laquelle je n’ai pas souhaité un vice-bâtonnier.

Quels sont les principaux axes de votre programme ?

Il s’agit de maintenir le rôle de la justice dans sa fonction primaire.
Je ne veux pas d’un gouvernement des juges !
Je ne veux pas d’une toute puissance d’un pouvoir judiciaire qui serait là pour essayer de faire une chasse aux sorcières comme cela se passe maintenant.
Par exemple, les rencontres avec des systèmes judiciaires très intrusifs, qui ne connaissent pas de limites entre leurs fonctions et la démocratie sont mauvaises pour notre image et nous portent atteinte.
Je compte mettre fin à cette compromission avec des personnes antidémocratiques qui cherchent à exporter leur modèle de IVème République en France.
Nous devons être les garants des libertés de manière concrète.
En quelques mots, mon programme c’est : plus de confraternité, plus de solidarité, plus de démocratie entre les avocats et surtout éviter les conflits d’intérêts comme le dernier voyage du bâtonnier à Jérusalem par exemple. Je ne veux pas que ce qui passe en Israël, où il y a un despotisme de l’autorité judiciaire, arrive chez nous.

Quelle doit être la place du barreau de Paris dans les institutions de la profession ?

Je suis pour moins de public et plus de privé.
Nous ne devons pas nous occuper des affaires publiques et faire de la politique.
Nous sommes là pour protéger les avocats.
Nous n’avons pas à nous mêler de la loi Macon.
La loi Macron a été critiquée par l’Ordre des avocats au barreau de Paris sous l’angle de la concurrence des experts-comptables.
Cela n’intéresse pas nos confrères.
Nous avons été formés pour être des avocats défenseurs des droits de l’Homme.
Nous sommes des avocats "droit de l’hommistes".
Nous devons travailler de concert avec le CNB.
Les idées des barreaux de province doivent être prises en compte.
Le barreau de Paris n’est pas au dessus des autres barreaux.

Etes-vous favorable à l'interprofessionnalité ?

L’interprofessionalité a déjà été consacrée dans l’article 18-1 de notre règlement et dans le décret du 19 mars 2014 qui permet la création de Sociétés de Participations Financières de Professions Libérales (SPFPL).
Selon moi, on créé des holdings d’avocats capitalistiques qui sont contraires à l’indépendance et au secret professionnel qu’on exige des avocats.
Je n’y suis pas favorable.

Qu'avez-vous de plus que les autres candidats ?

Ce que j’ai de plus c’est ce que j’ai de moins.
Ce que les autres n’ont pas c’est  une fibre sociale qui est ancrée en moi (aide juridictionnelle, bus de la solidarité, permanences de garde à vue, comparutions immédiates, droit des étrangers…)
Je ne suis pas un avocat d’affaires. Je fais tout ce qui ne les intéresse pas.
Je suis opposé à leur conception c’est aussi pour combattre cette vision que je me présente

A priori, on peut penser que mon programme est trop lunaire, et que les droits de l’Homme, cela ne mange pas de pain, comme on dit.
Aussi, j’aimerais donner deux exemples concrets, pour vous montrer que c’est tout le contraire.
En effet, comment comprendre que les petites structures individuelles qui sont celles qui contribuent le plus à l’Aide Juridictionnelle, paient les mêmes cotisations pour l’assurance professionnelle que les gros cabinets d’affaire, qui nous font courir beaucoup plus de risques.

Quel désastre judiciaire l’Aide Juridictionnelle nous a-t-elle causé ?!

Cela ne démontre-t-il pas que notre Ordre est dominé par les grands cabinets d’affaire contre lesquels je m’oppose résolument ?

En me présentant, je ne veux plus de cette OPA du monde des affaires sur notre Ordre !

Au nom de la solidarité, le monde des affaires se fait payer sur notre dos les risques qu’il prend.

Désormais ce sont les riches qui paieront pour les pauvres.

Le deuxième exemple qui me vient à l’esprit, c’est le fait que l’Ordre, à coups de publicités très coûteuses, s’honore de son action en faveur de l’Aide Juridictionnelle.

Pourtant, elle ne récompense jamais les avocats qui la font fonctionner concrètement. Cela aussi, je veux le changer, grâce à une gratification qui reste à déterminer. Cela pourrait être, par exemple, une forme de prime aux avocats de l’Aide Juridictionnelle, au titre du droit à l’image, et même, de l’enrichissement sans cause.

En effet, si les bénéficiaires de cette belle image sont systématiquement les avocats d’affaire, qui se rendent à Shangaï, ou à Jérusalem, ou se fraient des chemins tout droit chez le ministre de la justice et autres grands de ce monde, ils font en réalité des affaires sur notre dos. Ce qui est inacceptable et attentatoire au principe d’égalité. Certains candidats prétendent qu’il faut réunir le Barreau… Que c’est beau, j’ai envie de pleurer ! Ce faisant ils disent en somme venez à moi cabinets individuels, mutualisons nos risques : Tous ensemble payons la même assurance mais ne partageons pas les bénéfices bien sûr.

Moi, je dis qu’au contraire, c’est une œuvre de déconstruction qu’il faut mettre en place, à laquelle j’invite mes confrères et mes consœurs. Sous prétexte de confrérie, il y a, hélas, certains de nos confrères, qui sont plus cons que frères. Il faut se méfier des faux-frères. Il nous faut démasquer impérativement les imposteurs, une sorte de lutte des classes en somme. Un travail nietzschéen.

"Timeo Danaos et dona ferentes" nous apprend Virgile dans l’Enéïde. Elle peut se traduire par « Je crains les Grecs, même ceux apportant des cadeaux ».

Hélas, je me rends compte que la plupart des candidats se voilent la face, par rapport à la mainmise sournoise et insidieuse des cabinets d’affaire sur notre Ordre, toujours au bénéfice de leurs propres intérêts, et non pas de tous les avocats dans leur ensemble. Ne pas mettre un nom sur les enjeux réels de cette élection, c’est aussi une trahison à laquelle je refuse de prendre part.

Vous voyez donc, il existe un lien direct entre ce fameux voyage à Jérusalem et le paiement de nos cotisations ordinales car ce voyage reflète en lui-même l’état de béatitude rampante d’un Ordre qui se voile la face en visant le paradis et en occultant le fait qu’il est en réalité pavé d’enfers ? PUISQUE Israël pratique la prison pour dettes, l’interdiction de sortie du territoire, voire la confiscation du permis de conduire ou celle d’exercer un travail. Par ailleurs ce pays n’a pas signé la convention européenne des droits de l’homme. Mais qui en a cure, lorsqu’on y va visiter le petit Jésus et on s’en met plein les poches au parcours ! Moi bâtonnier, je mettrais fin à ces hypocrisies.

Propos recueillis par Arnaud Dumourier (@adumourier)

A propos

Avocat franco-israélien depuis 1988, Guy Fitoussi est titulaire d’un Doctorat de droit privé et sciences criminelles. Iol est l’auteur de plusieurs ouvrages :
- Essai comparatif et critique du rôle du juge dans la procédure de divorce entre le système judiciaire français et israélien
- Des origines et de la transmission de la colonialité européenne chez les élites Ashkénazes en Israël ou le combat des séfarades en Israël
- Sarcelles d’abord
- Philibert le japonais
- L’homme qui venait du froid
Il a servi aussi bien dans l’armée française, en tant que chasseur alpin, que dans l’armée israélienne dans l’artillerie.
Il est trompettiste et guitariste de musique classique à mes heures perdues. Il est également ceinture noire de judo et professeur diplômé de l’institut Wingate en Israël.