Bâtonnat Paris 2016 : Jean-Louis Bessis

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Jean-Louis BessisLe Monde du Droit a interrogé Jean-Louis Bessis, candidat au bâtonnat du barreau de Paris.

Pourquoi vous présentez-vous ?

La plupart de mes compétiteurs entendent poursuivre et même accélérer une modernisation de la profession, pensée principalement en termes de parts de marché à étendre, d’ouverture à de nouvelles activités, au profit, le plus souvent des grandes structures. Je ne partage pas cette vision de la profession.

Membre du Conseil de 2010 à 2012, j’y découvert un mode de fonctionnement d’un autre âge, ainsi qu’une série de dérives : indemnités vertigineuses que s’octroient Bâtonnier et vice-bâtonnier, nombreuses créations de postes, avantages en nature et décorations distribués à la discrétion du Bâtonnier…

J'ai 63 ans. Autant dire que j’ai connu, croisé, sollicité de nombreux Bâtonniers. J’ai révéré Louis-Edmond Pettiti. J’ai aimé Mario Stasi. J’ai respecté les Bâtonniers Ader et Bigault du Granrut. J’ai admiré ces figures. Il ne serait venu à l’idée de personne de mettre en doute leur désintéressement. Primus inter pares, Ils exerçaient un véritable magistère. Au fil des années, les connivences, les ambitions et l’autoritarisme ont pris le dessus. Si j’aspire à être bâtonnier, c’est pour tenter de m’inscrire dans cette lignée prestigieuse.

Le barreau de Paris a besoin, plus que jamais d’un Bâtonnier libre, indépendant. Au dessus de tout soupçon. Qui prenne mieux en compte la diversité des pratiques, des revenus, des trajectoires, des origines sociales comme géographiques.

Pourquoi vous présentez-vous seul sans vice-bâtonnier ?

Par cohérence. Mais pas seulement.

Je fais prévaloir le bon fonctionnement de l’instance ordinale. Et me prive d’un puissant outil de ratissage électoral.

J’ai mis en doute l’intérêt de cette fonction des qu’elle fut instituée, il y a cinq ans à peine. Je la jugeais inutile. S’il s’agit de se faire seconder, ou représenter, le Bâtonnier peut donner délégation à des membres du Conseil. Nombre d’entre eux seraient honorés d’exercer ce rôle, et de le faire gracieusement. Élus au même suffrage universel que le Bâtonnier, ils ont toute légitimité pour le faire.

Le Bâtonnier Vatier nous avait pourtant alertés : "Le ticket agrandit seulement le prisme du candidat au bâtonnat qui va chercher à s’entourer d’une personnalité complémentaire à la sienne. Si le vice-bâtonnier favorise la campagne du candidat au bâtonnat, il n’améliore pas, bien au contraire, les règles de gouvernance".

Pour avoir siégé de 2010 à 2012 au Conseil de l’ordre, j’ai vécu de près l’échec de cette expérience, dès sa deuxième édition, quand la bâtonnière, un matin, a brutalement retiré toutes ses délégations à son vice-bâtonnier, dès le début de son mandat, sans oser pour autant le priver de ses émoluments.

Cette "trouvaille" hasardeuse n’aura été et n’est rien d’autre qu’un outil d’agrégation de réseaux et de voix. Elle aura, de surcroît, pour effet, dans quelques années, de doubler mécaniquement le nombre des anciens Bâtonniers et vice-bâtonniers au sein du Conseil.

La candidature au bâtonnat du vice-bâtonnier en exercice a achevé de disqualifier cette fonction.

Inutile, coûteux, et désormais toxique : le vice-bâtonnat a vécu.

Les seuls à ne pas s’en être rendus compte sont mes compétiteurs : cinq d’entre eux font équipe avec un vice-bâtonnier. Ce faisant, ils s’interdisent de critiquer cette fonction. Pire, ils rivalisent de créativité pour lui donner un contenu positif.

Quels sont les principaux axes de votre programme ?

Réduire les inégalités au sein de notre Ordre. J’inscrirai à l’ordre du jour du Conseil une refonte de l’actuel régime de cotisations pour le rendre plus progressif. Je renoncerai aux attributions féodales du bâtonnier, notamment la distribution discrétionnaire d’avantages, de postes et de décorations. J’aurai à cœur d’accorder la même considération aux avocats sans grade et aux notables, aux débutants et aux célébrités.

Impartialité. Je veillerai à garantir l’impartialité des procédures disciplinaires. Je renoncerai à exercer la fonction d’autorité de poursuite. Le bâtonnier de l’ordre ne saurait être à la fois le confident naturel de ses confrères et leur accusateur public.

Modernisation et moralisation de l’instance ordinale. Je réduirai drastiquement le train de vie du Conseil de l’Ordre. Je renoncerai aux attributions féodales du bâtonnier, notamment la distribution discrétionnaire d’avantages, de postes et de décorations. Je serai intransigeant quant aux conflits d’intérêts au sein du Conseil. J’imposerai la transparence des comptes de l’Ordre pour réorienter son action au bénéfice de la majorité des avocats.

L’accès au droit. Je mettrai tout le poids du bâtonnier dans la balance pour revaloriser l’aide juridictionnelle. Sans exclure aucune piste. En outre, je me propose, si je suis élu, de consacrer une partie de mon temps à me rendre dans les tribunaux pour enfants, dans les tribunaux pour étrangers, dans les juridictions sociales (conseils des Prud’hommes, Tribunaux des Affaires de Sécurité Sociale, Tribunaux du Contentieux de l’Incapacité). J’y accompagnerai les confrères qui y interviennent. Je ferai valoir, dans ces juridictions qui concernent particulièrement les justiciables les plus démunis, l’exigence d’une justice digne et respectueuse.

Quelle doit être la place du barreau de Paris dans les institutions de la profession ?

Nous avons besoin d’une instance représentative de la profession tant vis a vis des pouvoirs publics que vis a vis des autres professions. C’est aujourd’hui le CNB. Bien qu’il convienne de le réformer.

Et nous devons maintenir l’Ordre des avocats de Paris qui exerce des prérogatives majeures : la déontologie, la discipline, la solidarité, l’organisation pratique des missions comme le bureau pénal.

Quelle que soit la future composition du CNB et son mode d’élection, le Barreau de Paris devra conserver une autonomie de réflexion et d’action.

Il y a une spécificité du Barreau de Paris que je souhaite préserver. Pour la défense des droits de l’homme, l’abolition de la peine de mort ou la défense de nos confères dans le monde, il devra continuer à se faire entendre partout où l’on peut avoir besoin de son appui.

Etes-vous favorable à l'interprofessionnalité ?

Oui.

Si je ne partage pas toutes recommandations du Rapport Darrois sur les professions du droit, il en est une que je fais mienne : l’interprofessionnalité commence par et dans la formation.

Je suis favorable à la création d’écoles de professionnels du droit qui, à l’issue des études universitaires, assureraient une grande partie de la formation aux principaux métiers du droit : avocats, notaires et magistrats (y compris les magistrats des tribunaux administratifs et cours administratives d’appel recrutés par la voie du concours complémentaire) mais aussi huissiers, administrateurs judiciaires, mandataires judiciaires. Ces écoles constitueraient un point de passage obligé entre les universités et les actuelles écoles d’application lorsqu’elles existent (CRFPA, CRFPN, ENM). L’entrée s’effectuerait, par la voie d’un examen national exigeant portant sur les principales disciplines que doit maîtriser un juriste.

La mise en place de toute structure commune (en moyens ou en capital) à plusieurs professionnels doit sauvegarder les principes essentiels des avocats, la sauvegarde de l’indépendance, la protection du secret professionnel et les principes relatifs à la gestion des conflits d’intérêts.

Qu'avez-vous de plus que les autres candidats ?

Je suis doyen des candidats par l’ancienneté sinon par l’âge. Mon élection serait le prolongement d’une carrière entièrement dédiée au droit : elle n’est pas un tremplin pour d’autres ambitions.

Je suis professeur des facultés de droit.

J’ai pris aussi une série d’engagements :
- Publication, au lendemain de l’élection, d’une déclaration d’intérêts, incluant : nature des intérêts dont nos cabinets sont en charge, dans le strict respect du secret professionnel, responsabilités exercées pendant les trois années précédentes, contrats en cours avec l’État ou un opérateur de l’État ;
- Réduction de 40 % de la rémunération du Bâtonnier ;
- Réduction drastique du train de vie du Bâtonnier (limousines, cartes de crédit, voyages, personnel de maison, …) ;
- Soumission à appels à candidatures du recrutement des chargés de mission dont les derniers bâtonniers se sont entourés sans compter ;
- Renonciation à l’exercice de la fonction d’autorité de poursuite. Le bâtonnier de l’ordre ne saurait être à la fois le confident naturel de ses confrères et leur accusateur public.

Ces engagements sont des choix personnels. Leur respect ne dépend pas du bon vouloir du Conseil de l’ordre ou d’une majorité à réunir au CNB. Ils ne requièrent ni décret. Ni modification du règlement intérieur. Je soumets cette Charte à l’ensemble de mes compétiteurs. Les avocats parisiens peuvent légitimement attendre d’eux qu’ils y souscrivent.

Propos recueillis par Arnaud Dumourier (@adumourier)

A propos

Jean-Louis Bessis est avocat depuis 1973
Professeur des Facultés de Droit
Membre du Conseil de l’Ordre (2010-2012)
Représentant permanent de la France auprès de l’OMC (2002-2004)
Site de campagnehttp://bessis-batonnat.paris/