Matra : Interview de Pierre Lubet, Associé, Altana

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Dans l'affaire des licenciés de Matra, à Romorantin, la cour d'appel d'Orléans a infirmé les jugements du conseil des prud'hommes.Pierre Lubet, Associé, Altana nous explique cette décision.

Pouvez-vous nous rappeler le contexte de cette décision ?

La Société Matra, en 2002/2003, en raison de l'arrêt de son activité de constructeur automobile (Espace), a procédé à la mise en place d'un plan de départs volontaires puis de licenciements.

Elle a alors versé aux salariés d'importantes indemnités et consacré des fonds importants au reclassement de ceux ci.

En 2012, 350 salariés (cadres et ouvriers) ont engagé à son encontre une procédure devant le Conseil de prud'hommes de Blois, demandant le versement de dommages et intérêts à hauteur de 30.000€ chacun.

Le fondement de cette procédure était un prétendu non respect de la Société à son obligation de reclassement interne, auquel est venu s'ajouter ultérieurement un reproche de non respect d'une obligation de reclassement externe.

Les salariés mettaient en avant un arrêt rendu par la Cour d'appel d'Orléans en 2011 au profit d'un salarié de la Société Matra, et la jurisprudence rendue en 2008 dans l'affaire "Moulinex" par la Cour de Cassation sur les conséquences de l'absence de saisine de la Commission Paritaire Territoriale de l'Emploi (CPTE) par l'employeur.

Le Conseil de prud'hommes de Blois a rendu 2 jugements : l'un par sa Section Industrie qui a jugé que l'employeur avait régulièrement saisi la CPTE mais avait manqué à son obligation de reclassement interne ; l'autre par la Section Encadrement qui a estimé que la CPTE n'avait pas été régulièrement saisie.

Les salariés ayant quitté la Société dans le cadre du plan de départs volontaires ont été déboutés de leurs demandes.

Matra a interjeté appel de ces Jugements et la Cour d'appel a jugé que la société avait satisfait à toutes ses obligations de reclassement, tant interne qu'externe.

En quoi cette décision est-elle inédite ?

Cette décision présente un caractère inédit, d'une part, en ce qu'elle intervient au niveau de la Cour d'appel 12 ans après la mise en place du Plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) et alors que la jurisprudence en matière d'obligation de reclassement interne a fortement évolué et que celle relative aux obligations de reclassement externe s'est développée bien postérieurement à la mise en place du PSE.

D'autre part, les magistrats se sont attachés à une interprétation stricte des dispositions conventionnelles et du Code du travail applicables.

Sur l'obligation de reclassement externe, telle que relevant des dispositions de l'Accord national du 12 juin 1987 applicable au sein des entreprises relevant de la Convention collective de la métallurgie, la Cour a jugé que ledit Accord n'imposait à l'employeur aucun formalisme concernant l'information relative à la mise en œuvre d'un PSE qui devait être transmise à la CPTE, ni aucune règle concernant les modalités de la participation de la Commission à des recherches de reclassement.

Les salariés soutenaient que, à défaut d'une "saisie" faite par lettre recommandée avec accusé de réception de la Commission et d'une participation active de la celle-ci à des recherches de reclassement, devait être jugé que l'employeur avait manqué à son obligation de reclassement externe.

Sur l'obligation de reclassement interne, la Cour a jugé que la Société Matra ayant accepté d'aller audelà des obligations de reclassement interne imposées par le Code du travail en mettant en place une possibilité de départ de substitution dans des conditions bien déterminées, ne pouvaient lui être imposés les procédures et formalismes prévus par le Code du travail pour la recherche de reclassement interne.

Les salariés soutenaient que, dès lors qu'un poste pouvait se libérer dans ce cadre de départs de substitution, il devait être proposé à l'ensemble des salariés concernés par la procédure de licenciement, de façon individuelle et par lettre recommandée avec accusé de réception.

La Cour d'appel a jugé qu'un poste dont la Société acceptait qu'il puisse être libéré par le départ volontaire d'un salarié ne présentait pas le caractère de « disponible » au sens des dispositions de l'Article 1233-4 du Code du travail et que l'employeur n'était pas soumis à l'obligation d'adresser à chaque salarié touché par le PSE une offre écrite et précise.

Comment expliquer ce revirement ?

Il ne s'agit pas d'un revirement de jurisprudence à proprement parler, mais ces Arrêts traduisent la manifestation d'une volonté des Juges de ne pas rajouter à un employeur, mettant en place un PSE, des obligations qui ne ressortent pas de façon claire et non équivoque du Code du travail, d'accords collectifs ou d'engagements pris dans le cadre d'un PSE.

Il est aussi vraisemblable que la Cour d'appel d'Orléans, sur le plan de l'équité, n'ait pas entendu que le non respect éventuel d'un formalisme trop rigoureux, qui n'avait à l'époque soulevé aucun reproche de la part de salariés, puisse entraîner l'attribution automatique de dommages et intérêts en l'absence de tout préjudice spécifique en découlant.

Propos recueillis par Arnaud Dumourier (@adumourier)