Yves Mahiu : "Notre ambition est de faire bouger les lignes, de faire réfléchir et de faire réfléchir différemment"

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Yves Mahiu, Président de la Conférence des bâtonniersLe Monde du Droit a interrogé Yves Mahiu, Président de la Conférence des bâtonniers, concernant les Assises de l'accès au droit et à la justice qui se dérouleront demain, mecredi 19 octobre, à la Maison de la Chimie.

Quels sont les enjeux des Assises de l'accès aux droits et à la Justice ?

L’accès au droit est un enjeu essentiel dans un Etat démocratique.

Or, que constatons-nous ? Année après année, les gouvernements quels qu'ils soient, tout comme le parlement, refusent de s'engager et de consacrer les moyens nécessaires à une politique ambitieuse en la matière. L'Etat, qui se retranche trop souvent derrière une absence de moyens, a renoncé à assumer ses obligations et gère la pénurie.

Ces Assises sont d'abord le lieu d'une prise de conscience, celle d'un système à bout de souffle ; cependant, notre ambition est de faire bouger les lignes, de faire réfléchir et de faire réfléchir différemment. La profession d’avocat ne se place pas, ici, en opposition à un projet mais comme force de proposition. La Conférence des bâtonniers assume sa responsabilité dans ce débat majeur, elle est prête à l’initier, le relancer, à proposer, à travailler avec l’ensemble des acteurs de la Justice – et elle l’a d’ailleurs déjà fait ! Nos propositions sont certainement perfectibles et c'est pourquoi nous souhaitons associer à notre réflexion tous les acteurs de l'accès au droit.

Les avocats sont des acteurs essentiels, incontournables de l'accès au droit, ils ont donc des responsabilités, mais ils attendent des autres acteurs qu’ils prennent les leurs, spécialement l'Etat qui garantit l'Etat de droit. Cela passe par un débat ouvert, total et national sur ce sujet majeur pour notre démocratie.

Quel est le sens des propositions que vous présenterez lors de cet événement ?

Nos propositions sont connues. Elles sont au nombre de 47.

Ces propositions ont été publiées, au printemps, dans un rapport intitulé « Accès au droit et à la Justice – Avocats engagés pour un Etat de droits », disponible sur le site de la Conférence. Elles sont le fruit du travail réalisé à l'initiative de mon prédécesseur, Marc BOLLET, par le Président FORGET et le groupe de réflexion qu'il a animé durant plusieurs mois.

Ce travail repose sur un postulat : la faiblesse des moyens de l'Etat n'est pas le fondement pertinent d'une politique d'accès au droit et à la justice. Le considérer autrement serait entériner la démission de l'Etat en la matière.

Ainsi, le financement de cette politique n'est pas un préalable : c'est une conséquence ; c'est l'inverse de la doctrine de l'Etat qui, depuis de nombreuses années, pour des questions budgétaires, imagine des stratégies d'évitement du juge et de dilution de l'autorité judiciaire : cela s'appelle la déjudiciarisation…

En l'état de notre réflexion, nous ne remettons pas en cause la loi du 10 juillet 1991, ni le décret du 19 décembre 1991 ; nous pensons que les dispositifs existant peuvent être améliorés, nous inspirant, dans une certaine limite, des dispositifs, des initiatives et des partenariats en place chez nos voisins européens .

Nous considérons également que l'apport des nouvelles technologies, certes considérable, a ses limites, car l'accès à a justice ne peut faire l'économie de l'humain, et que les plateformes juridiques ne remplaceront jamais le juge ni l'avocat.

La Conférence des bâtonniers peut-elle peser dans le débat sur l'AJ ?

La Conférence des bâtonniers est une interlocutrice incontournable dans ce débat essentiel de l’aide juridictionnelle : les ordres sont toujours mobilisés depuis l'année dernière et rien ne peut se faire sans eux.

Les avocats font chaque jour la preuve de leur solidarité avec les plus démunis : nous travaillons à perte dans tous les dossiers du secteur assisté, ce que démontre une étude financière réalisée par le cabinet KPMG, dont la pertinence n'est pas remise en cause par les pouvoirs publics. C'est la raison pour laquelle la profession ne peut accepter d'être mise à contribution financièrement au moyen d'une nouvelle taxe, ce que souhaitait Madame Taubira. Il faudrait payer pour travailler à perte…

La première des solidarités, comme en matière de santé publique, c'est l'Etat qui doit l'assurer.

En l’état, les solutions proposées ne sont pas satisfaisantes ni pour les avocats qui interviennent au titre de l’AJ et qui ne touchent pas la juste rémunération à la hauteur de leurs compétences et leur travail, ni quant à son financement.

Mais nous souhaitons avec ce rapport et ces Assises qui s’ouvrent aller bien au-delà de cette question de l’aide juridictionnelle car c'est l’accès aux droits et à la justice dans son ensemble qui doit être réformé.

Nous entendons donc participer, avec des propositions très concrètes et immédiatement applicables, au débat qui aura nécessairement lieu à l'occasion de l'échéance des élections présidentielles et nous seront attentifs aux propositions des candidats qui, en matière de justice, ne peuvent se contenter d'une approche purement sécuritaire.

Propos recueillis par Arnaud Dumourier (@adumourier)


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