Brevets de logiciels : les Etats-Unis font un petit pas vers l’Europe

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Guillaume Brossin, Ingénieur Brevet, Cabinet Novagraaf TechnologiesLa protection des logiciels par la propriété intellectuelle est au centre de nombreux débats en Europe et à l’international depuis plusieurs années. Guillaume Brossin, Cabinet Novagraaf Technologies, Ingénieur Brevet, décrypte la question des brevets de logiciels.

La protection des logiciels par la propriété intellectuelle est au centre de nombreux débats en Europe et à l’international depuis plusieurs années. En Europe, l’expression même d’un "programme d’ordinateur" n’est pas un objet brevetable en tant que tel mais est protégeable par le droit d’auteur. Néanmoins, certaines inventions mises en œuvre sur ordinateur ou incluant du logiciel restent brevetables en Europe, moyennant le respect de certaines conditions. Aux États-Unis, des milliers d’innovations liées à des logiciels informatiques sont brevetées chaque année. Une affaire récente opposant Alice Corp. v. CLS Banks pourrait bien faire pencher la balance de la justice américaine, vers une approche plus européenne en la matière...

Courant juin 2014, la Cour Suprême des Etats-Unis a rendu une décision (Alice v. CLS Bank) concernant la brevetabilité des inventions portant, ou incluant, du logiciel. Cette décision est la première décision rendue par la Cour Suprême sur le sujet depuis la décision "Bilski" rendue en 2010.

Cette décision "Bilski" confirmait un durcissement des conditions d’octroi de brevets américains pour les méthodes d’affaires (un bon exemple de méthode d’affaires est par exemple une demande de brevet portant sur un procédé de commande électronique de produits auprès d’un centre de ventes).

En effet, la Cour Suprême affirmait une exclusion de principe des inventions (dont les méthodes d’affaires) représentant une idée abstraite limitée à un environnement technologique particulier. En revanche, cette décision ne fournissait aucun critère supplémentaire de brevetabilité à remplir systématiquement pour les inventions mises en œuvre par ordinateur. Par conséquent, la plupart des inventions mises en œuvre sur logiciel restaient potentiellement brevetables aux Etats-Unis.

Ainsi, en dépit de cette décision "Bilski", l’Office Américain des Brevets (USPTO) demeurait malgré tout plus souple que l’OEB dans l’octroi de brevets relatifs à des inventions de logiciel. Ceci était rendu possible par le fait que l’approche américaine n’utilisait pas la notion de "technicité" employée par l’OEB (dans l’approche européenne seules les caractéristiques "techniques", c’est-à-dire portant sur un élément physique d’un système, peuvent contribuer à l’activité inventive d’une invention), mais d’autres notions telles que, par exemple, la transformation d’un élément physique ou l’utilisation d’une machine.

Un début de changement...

Même s’il est sans doute encore tôt pour le dire, la décision "Alice" préfigure probablement le début d’un changement dans l’approche américaine. La demande de brevet  de la société Alice portait sur une méthode mise en œuvre sur ordinateur, visant, via le passage par un agent intermédiaire formé par l’ordinateur, à atténuer les risques liés à un règlement financier entre deux parties. Or, dans sa décision, la Cour Suprême indique que la simple automatisation par ordinateur d’une idée ou d’un concept abstrait n’est pas suffisante pour donner lieu à une invention éligible à un brevet. Il est nécessaire, en plus, que les caractéristiques revendiquées de l’invention produisent un effet technique "supplémentaire", allant au-delà du fonctionnement conventionnel d’un ordinateur, un tel effet pouvant par exemple résider dans une amélioration du fonctionnement de l’ordinateur lui-même.

En ce sens, l’approche américaine semble se rapprocher sensiblement de l’approche européenne sur le sujet.   

Le début de la fin des brevets américains sur les méthodes d’affaire mises en œuvre sur logiciel ?

Une première conséquence directe de cette décision risque d’être une très nette diminution dans l’octroi de brevets américains portant sur des méthodes d’affaire mises en œuvre sur logiciel.  Dans les minutes de la décision rendue, l’un des juges de la Cour Suprême est d’avis que toutes les méthodes d’affaires, y compris celles mises en œuvre par ordinateur, devraient être considérées comme non brevetables ! Cet avis correspond trait pour trait à la position de l’Office Européen des Brevets concernant les méthodes d’affaires. 

Si nous ne sommes pas encore dans cette situation extrême, il faut retenir que, pour qu’une méthode d’affaire mise en œuvre sur ordinateur soit désormais brevetable aux Etats-Unis, il faudra que les revendications se focalisent particulièrement sur la manière dont le logiciel accomplit les fonctions programmées de façon inventive, c’est-à-dire de façon non conventionnelle pour un ordinateur.    

Guillaume BROSSIN, Ingénieur Brevet Cabinet Novagraaf Technologies


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