Eolien : la garantie légale contre les vices cachés devrait prochainement avoir le vent en poupe !

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Jefferson LarueLe vieillissement des parcs éoliens construits en France est en train de mettre à jour la problématique de l’indemnisation des dommages consécutifs aux avaries techniques. Jefferson Larue, avocat, nous en parle.

Dans le cadre de leurs contrats de fourniture et de maintenance, les fabricants de turbines ont mis en place des garanties censées sécuriser leurs clients : garantie "pièces et main d’œuvre", garantie des composants techniques, garantie de disponibilité technique, garantie de courbe de puissance, garantie d’émission sonore, etc.

De leur côté, les assureurs ont mis sur le marché des polices "Bris de Machine" et "Pertes d’Exploitation" censées couvrir efficacement le risque d’avarie technique. 

En apparence complètes, ces garanties se révèlent pourtant insuffisantes pour dédommager l’exploitant de l’ensemble de ses pertes.

Des garanties contractuelles multiples conduisant à une indemnisation limitée

Dans le cadre du contrat de fourniture, les garanties sont généralement limitées aux défaillances apparaissant dans l’année ou les deux années suivant la mise en service des turbines, ce qui exclut les défaillances postérieures.

Par ailleurs, la plupart des contrats excluent de la prise en charge les frais de reconstruction des plateformes de grutage rendus nécessaires par la réparation au sol des parties supérieures de l’éolienne (mât, nacelle, etc.).

Enfin, il est courant que les pertes d’exploitation soient exclues de la garantie du fabricant et doivent en conséquence être prises en charge à un autre titre.

Ce peut être dans le cadre du contrat de maintenance et de la garantie dite de  "disponibilité" qu’il renferme.

Cependant, en ce qu’elle fonctionne en agrégeant les pertes de la turbine défectueuse avec la production des turbines non affectées, elle conduit la plupart du temps à une indemnisation limitée, voire inexistante.

Au demeurant, la mise en jeu des garanties du contrat de maintenance fait naître, en pratique, un risque de refus de renouvellement de ce contrat à son arrivée à échéance, ou un risque d’augmentation des tarifs s’il vient néanmoins à être reconduit.

La prise en charge des pertes d’exploitation peut enfin se faire dans le cadre de la police "Bris de Machine".

Cependant, il n’est pas rare que celle-ci exclue les dommages susceptibles d’être couverts par une garantie contractuelle. Or, en pareil cas, la garantie "Pertes d’Exploitation" se trouve elle-même automatiquement exclue.

Lorsque les garanties d’assurance sont néanmoins susceptibles de jouer, leur portée se trouve limité par le jeu des exclusions contractuelles, généralement très nombreuses, qui visent la plupart du temps, directement ou non, les frais de reconstruction des plateformes de grutage.

Enfin, il est rappelé que l’assureur tient de l’article R.113-10 du Code des assurances le droit de résilier, après sinistre, la police "Bris de Machines" et de l’article L.113-4 du même code, celui d’augmenter le montant de la prime le cas échéant.

La mise en jeu des seules garanties contractuelles et d’assurance conduit ainsi le plus souvent à une indemnisation partielle des pertes subies par l’exploitant.

Une garantie légale méconnue conduisant à une indemnisation intégrale

Les parties ignorent parfois que les garanties contractuelles offertes par le fabricant ont vocation à se combiner avec la garantie légale contre les vices cachés, prévue par les articles 1641 et suivants du Code civil.

Les tribunaux français jugent en effet que le fabricant (qui a alors la qualité de vendeur professionnel) reste redevable de la garantie légale nonobstant l’existence d’une garantie contractuelle, toute clause contraire étant réputée non-écrite.

Bien que limités aux vices cachés, définis comme les défauts de conception, de fabrication, ou de montage inhérents à la turbine, qu’il n’était pas dans le pouvoir de l’acheteur de découvrir au moment de la livraison et qui en empêchent le fonctionnement normal, cette garantie ouvre des perspectives d’indemnisation supérieures à celles des garanties contractuelles et d’assurance évoquées plus haut.

En premier lieu, la garantie légale a vocation à couvrir les défauts cachés apparus plus de deux ans après la mise en service : l’exploitant se trouve ainsi protégé contre les défauts cachés qui apparaîtraient des années après la mise en service, hypothèse de moins en moins rare à mesure que les parcs français vieillissent.

Ensuite, la garantie légale peut conduire à la condamnation du fabricant (alors présumé, en sa qualité de vendeur professionnel, connaître tous les défauts affectant ses turbines) à verser "tous les dommages et intérêts envers l’acheteur" (article 1645 du Code civil), ce qui inclut potentiellement l’ensemble des frais de reconstruction des plateformes de grutage ainsi que l’intégralité des pertes d’exploitation.

Par ailleurs, outre l’indemnisation intégrale de son préjudice, l’acheteur dispose du droit de demander le remboursement d’une partie du prix de vente (le montant se calcule alors en comparant l’utilité attendue de la turbine avec son utilité réelle, compte tenu du défaut dont elle est affectée), voire celui de demander l’annulation de la vente et donc le remboursement du prix de la turbine défectueuse.

Enfin, étant de droit, la garantie légale permet d’échapper aux risques de non renouvellement et/ou d’augmentation des tarifs auxquels s’expose l’acheteur dans ses rapports avec son fabricant et son assureur.

Conclusion

La garantie légale contre les vices cachés offre à l’exploitant de nombreux avantages par rapport aux garanties contractuelles et d’assurance dont il bénéficie par ailleurs. Il a donc le plus grand intérêt à s’y intéresser afin de déterminer, au cas par cas, si elle est susceptible de s’appliquer aux défauts affectant ses turbines.

Jefferson Larue, Avocat


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