Vers la consécration de la vision marchande de la profession d’avocat ?

Décryptages
Outils
TAILLE DU TEXTE

sonia-ben-mansourLes réformes et projets de réformes modifient l’exercice de la profession d’avocat en France en considération d’intérêts économiques.

Les réformes et projets de réformes modifient l’exercice de la profession d’avocat en France en considération d’intérêts économiques.

Tout d’abord, l’avocat est désormais autorisé [1] à recourir à la publicité et à la sollicitation personnalisée. Dans ce cadre, il doit respecter les principes essentiels de la profession [2]. Néanmoins, l’encadrement de cette publicité sera-t-il suffisamment protecteur du respect des principes essentiels de la profession ? Y’aura-t-il une "Police de la publicité" au sein du Conseil de l’Ordre et des conseils de discipline ? N’aurait-on pas ouvert la boîte de Pandore ?

Ensuite, le nouveau statut d’avocat en entreprise porté par le projet de réforme MACRON crée l’avocat en entreprise doté d’un statut particulier (pas de plaidoirie, pas de clientèle personnelle) et inscrit sur une liste spéciale du Tableau de l’Ordre mais restant sous le lien de subordination de son employeur. Les juristes pourront accéder à ce statut après cinq ans d'expérience et un examen de déontologie, tandis que les avocats ne seraient plus obligés de démissionner du barreau pour exercer en entreprise. De fait, les avocats peuvent exercer en entreprise en "raccrochant leurs robes" alors pourquoi créer une nouvelle catégorie ? Cette réforme n’a-t-elle pas pour finalité d’introduire au sein des entreprises des avocats spécialisés, des "Hommes de terrain" au profit des chefs d’entreprise et au détriment des juristes ?

Enfin, les capitaux des cabinets d’avocats seront ouverts aux tiers du capital minoritaire des Sociétés d’Exercice Libéral d’avocats, à l’exclusion des banques et des  compagnies d’assurance. Qu’advient-il du principe d’indépendance?

Cette vague de réformes se poursuit au sein du gouvernement et ce, en dépit des opinions dissonantes au sein de la profession et malgré les vives contestations des avocats [3]. Napoléon disait : "Je veux qu’on puisse couper la langue à un avocat qui s’en servirait contre le gouvernement" mais efforçons nous de croire que ne coupe plus la langue des avocats qui veut [4] ! Deux visions de la profession s’opposent au sein des organes représentatifs de la profession et des professionnels sur plusieurs questions telles que la création du nouveau statut d’avocat en entreprise, celle d’une vision non marchande contre une vision qui s’inscrit dans une logique de marchandisation de la profession d’avocat plus poussée. Le Conseil national des barreaux (CNB) s’est toujours opposé [5] à la création de ce nouveau statut d’avocat en entreprise et à la fusion entre avocats et juristes d’entreprise. Aux côtés du président du CNB, deux vice-présidents de droit, deux approches : le bâtonnier de Paris (le barreau de Paris compte près de la moitié des avocats français) et le président de la Conférence des bâtonniers en exercice, regroupant l’ensemble des bâtonniers du territoire national (hormis Paris), provoquant ainsi un enlisement et des dissensions internes ne permettant pas au CNB de résoudre avec promptitude et efficacité ces conflits.

Le 25 novembre dernier les élections du CNB ont eu lieu. A cette élection, une liste a suscité une attention particulière : l'Ordre national des avocats qui souhaite une unification de la profession pour une prise de parole plus efficace auprès du gouvernement et de l'État [6] permettant de faire face aux tentatives de déstabilisation de la profession [7]. En effet, des confrères parisiens et provinciaux ont créé l’Association pour un ordre national des avocats en vue de présenter des listes de candidats aux élections du CNB. Menés par Jean Castelain (ancien bâtonnier de Paris) et Pascal Saint-Geniest (ancien bâtonnier de Toulouse), leur volonté est de rénover l’institution en mettant en place un Ordre national des avocats, avec à sa tête un président, élu par exemple au suffrage universel par tous les avocats.

Les résultats des élections du CNB sont tombés le 2 décembre pour la mandature 2015-2017 [8].  

Espérons que le dialogue entre les différents interlocuteurs soit restauré car les deux visions, non marchande et marchande sont complémentaires et indispensables pour l’évolution des règles relatives à la profession d’avocat. Des intérêts économiques peuvent justifier des modifications mais des intérêts purement économiques sont contraires à l’essence même de notre profession car cela nécessiterait l’instauration de règles portant gravement atteinte à des principes essentiels. En dépit d’un contexte hautement concurrentiel il ne faudrait pas se laisser aller à de la simple imitation des autres modèles européens présentés comme plus attractifs, plus compétitifs et soi-disant en mesure de régler tous les problèmes auxquels est confrontée la profession.

Il serait bon de prendre acte de ce que disait Stendhal, "Nous naissons tous originaux : nous plairions tous par cette originalité même si nous ne nous donnions des peines infinies pour devenir copies et fades copies".

 

Sonia Ben Mansour
Juriste titulaire du Certificat d’Aptitude à la Profession d’Avocat
Doctorante à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne


[1] Loi n°2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation
[2] Décret 2014-1251 du 28 octobre 2014
[4] « Je veux qu'on puisse couper la langue à un avocat qui s'en servirait contre le gouvernement », Napoléon 1er, 1804 
[5] Exemples : Assemblée Générale CNB, 20 novembre 2010, Lettre ouverte du Président du CNB, Jean-Marie Burguburu en date du 24 octobre 2014 adressé à Emanuel Macron
[8] Les résultats du scrutin des élections au Conseil national des Barreaux pour la mandature 2015-2017 sont disponibles sur le site du CNB :http://www.cnb.avocat.fr


Lex Inside - L’actualité juridique - Émission du 20 novembre 2024 :

Lex Inside - L’actualité juridique - Émission du 15 novembre 2024 :

Lex Inside - L’actualité juridique - Émission du 13 novembre 2024 :