Le 30 octobre 2014, l’Assemblée Nationale a adopté le projet de réforme du droit des contrats, dans un souci de modernisation et de clarification du droit des obligations répondant à la nécessité de sécuriser le droit des contrats en le rendant plus accessible et prévisible.
Il s’agit d’un projet ambitieux tendant à permettre une meilleure visibilité de la matière en modernisant et en codifiant les solutions jurisprudentielles afin que le droit français des contrats redevienne un modèle et une source d’inspiration.
Ce texte, innovant, qui tend à favoriser les échanges économiques et à assurer la protection des contractants "faibles" comporte cependant une ambigüité puisque, s’il est inspiré par la volonté de renforcer le principe de la liberté contractuelle, il fait aussi une place importante à l’immixtion du juge dans l’exécution de la relation contractuelle, entre deux ou plusieurs parties, limitant ainsi la volonté ce celles-ci.
Outre la nécessaire codification des règles relatives à la formation (y compris des contrats conclus sous forme éléctronique), à la durée et à la rupture du contrat, la réforme, si elle est adoptée en l’état, consacre, notamment, l’affirmation du principe de l’exécution forcée en nature des obligations contractuelles (suppression des dispositions actuelles de l’article 1142 du Code Civil). Une exception importante est néanmoins apportée à ce principe selon laquelle, le débiteur peut se libérer en payant des dommages et intérêts si l’exécution a un « coût manifestement déraisonnable » ou si l’exécution est impossible.
Les notions floues de "coût manifestement déraisonnable" et d’exécution impossible s’inscrivent donc à l’encontre même de l’esprit de la réforme tendant à assurer la protection des contractants "faibles" et à redéfinir les contours d’une certaine sécurité juridique en renforçant le poids de l’engagement initial des parties au contrat.
Le projet de réforme prévoit également la disparition de la notion de cause au profit de celle, nouvelle, de « contenu » du contrat.
Cette évolution est consacrée par le maintien de certaines dispositions traditionnelles telles la protection d’un contractant contre le déséquilibre structurel du contrat ou contre des contrats objectivement contraires à l’ordre public et aux bonnes mœurs.
Le gouvernement entend introduire de nouveaux outils pour favoriser cette évolution par le recours à la protection contre les clauses limitatives de responsabilité vidant l’obligation essentielle du débiteur de sa substance ou encore la protection contre les clauses abusives qui pourraient être supprimées par le juge, à la demande de la partie lesée, en cas de déséquilibre significatif entre les parties.
On peut craindre que ces mesures n’aient, en réalité, pas l’effet escompté et ne renforcent pas la sécurité juridique, pourtant souhaitée par le gouvernement, pour les contractants "faibles" puisque le juge disposerait de la faculté de s’immiscer dans le contrat en allant à l’encontre de la volonté intiale des parties, ce qui porterait atteinte, une nouvelle fois, à la force obligatoire du contrat.
En outre, si le projet de réforme prévoit l’exclusion de la révision judiciaire du contrat pour imprévision (sauf acceptation par les parties), la résiliation judiciaire pour imprévision est admise "si le changement de circonstances imprévisibles lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie". On invite ainsi les parties à renégocier si elles ne veulent pas voir leur contrat disparaître. En cas d’échec des négociations le juge pourra mettre fin au contrat, considéré comme déséquilibré, permettant ainsi au contractant « faible », par cette menace, de conserver un avantage lors de la phase de négociation.
Il ressort donc de ce qui précède que ce projet de réforme révèle une certaine contradiction puisque d’un côté on tend à rendre le droit des obligations attractif en opérant une codification de la jurisprudence rendue au cours de ces dernières années et en offrant une plus grande sécurité juridique aux parties, tandis que de l’autre on consacre, à plusieurs reprises, le pouvoir d’intervention du juge, fragilisant ainsi la force obligatoire du contrat.
On pourrait espérer que le projet de réforme fasse l’objet de modifications, puisque le Sénat s’est refusé à habiliter le gouvernement à procéder par voie d’ordonnance pour une matière essentielle de notre droit. Cependant, on peut craindre qu’en cas de nouveau refus du Sénat, dans les prochains mois, le gouvernement ne donne alors le dernier mot à l’Assemblée Nationale, comme le lui permet l’article 45 alinéa 4 de la Constitution et qu’elle consacre, ainsi, le projet de réforme qui, bien qu’ambitieux et nécessaire, comporte des contradictions qui en limitent les apports.
Antoine Arminjon et Charlotte Sauvanet-Wolff, Avocats, Bignon Lebray