Simplifier, c’est compliqué. La simplification du droit ne finit-elle pas par produire l’effet inverse de celui voulu par le législateur ?

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Bruno Dondero, Professeur à l’Université Paris I Panthéon - SorbonneA force de vouloir simplifier le droit, le législateur ne finit-il pas par parvenir à l’effet inverse ? Ne conviendrait-il pas de procéder à une refonte complète des institutions que l’on entend simplifier, plutôt que de les modifier de manière répétée et par petites touches ? Le travail des différents acteurs du droit, entreprises, avocats, juges, s’en trouverait certainement facilité.

Faire observer que la simplification du droit n’est pas une chose aisée, et que finalement, "simplifier, c’est compliqué", n’est pas seulement une plaisanterie facile. C’est aussi une réalité pour les différents acteurs du droit, et une réalité qui fait sentir ses effets pour chacun d’eux de manière variable. Gare à l’entreprise qui n’aura pas vérifié que le texte dont elle fait application n’a pas été modifié récemment par une loi traitant de dizaines ou de centaines d’autres sujets en même temps. Mais gare aussi à l’avocat qui n’aura pas fait connaître à son client ou à au juge cette évolution, si l’information avait une incidence et relevait de son devoir de conseil.

Plus que jamais, le droit des affaires est une matière complexe et changeante, avec un paradoxe tenant à ce que ces caractéristiques sont dues pour beaucoup à une tendance des rédacteurs de normes à rechercher la simplification du droit. Depuis quelques années, le gouvernement et le parlement ont particulièrement mis l’accent, lors de l’élaboration des nouveaux textes, sur l’objectif de simplification, particulièrement à destination des entreprises. C’est le fameux "choc de simplification" évoqué par nos dirigeants actuels, mais ils ont ici repris une tendance préexistante et se manifestant par une institutionnalisation de la simplification. En 2010, c’était un commissariat à la simplification qui était mis en place par François Fillon, avant que ne soit créé en 2014 un Conseil de la simplification pour les entreprises. Et longtemps avant que des personnes ne soient chargées d’incarner la simplification, le Parlement votait déjà des lois placées sous la bannière de la simplification.

"Cette simplification ne procède pas en faisant table rase des institutions anciennes pour leur substituer un système plus simple et plus moderne"

Le phénomène n’est pas nouveau, mais il s’est accentué ces dernières années, les lois de simplification se succédant à un rythme soutenu.

Cette simplification ne procède pas en faisant table rase des institutions anciennes pour leur substituer un système plus simple et plus moderne. On simplifie par retouches, ce qui a plusieurs inconvénients.

"Pour les entreprises, leurs juristes et leurs conseils externes, cette situation comporte le risque de ne pas avoir identifié à temps un changement de norme noyé dans une masse de modifications ponctuelles"

Un premier inconvénient est la réforme perpétuelle résultant de cette simplification par à-coups. Ce qu’une loi a modifié un peu, une autre loi le modifiera encore un peu… en attendant la suivante. Un exemple peut être retenu parmi d’autres, en matière de conventions réglementées conclues par une société anonyme. La loi Warsmann I du 17 mai 2011 a soustrait à tout contrôle les conventions qui normalement relèveraient du dispositif de contrôle mais portent sur des opérations courantes et sont conclues à des conditions normales. Ce faisant, on ne faisait que revenir à l’état du droit antérieur à la loi sur les nouvelles régulations économiques du 15 mai 2001, soit dit en passant. A cette modification datant de 2011, on en a ajouté une nouvelle en début d’année puisque la loi du 2 janvier 2014 a habilité le gouvernement à intervenir par ordonnance pour soustraire certaines conventions supplémentaires (celles conclues avec une filiale à 100 %) à tout contrôle, mais aussi à renforcer l’information sur d’autres conventions. Le résultat de cette simplification à petits pas, c’est un système juridique en mutation constante, sans grandes réformes de fond mais affecté d’un fourmillement incessant. Pour les entreprises, leurs juristes et leurs conseils externes, cette situation comporte le risque de ne pas avoir identifié à temps un changement de norme noyé dans une masse de modifications ponctuelles.

Cette réforme constante infligée à nos textes au nom de la simplification a pour conséquence supplémentaire de soulever de redoutables questions d’application de la loi dans le temps. Un contrat est en principe soumis au droit en vigueur au jour de sa formation. Mais comment appréhender les textes sur les conventions réglementées, si l’on veut reprendre ce point ? Faut-il appliquer le droit positif tel qu’il existe au jour où la convention est signée, ou bien les règles en vigueur au jour où l’assemblée approuve les comptes de l’exercice, ou bien faire application du système le plus protecteur pour les actionnaires ?

Le produit de la simplification de la loi n’est donc pas une loi simple, mais plutôt une loi martyrisée, comme l’illustre l’exemple de l’article L. 225-102-1 du Code de commerce, texte relatif au contenu du rapport de gestion du conseil d’administration de la société anonyme.

Créé en 2001, ce texte a été modifié huit fois, ce qui conduit donc à neuf versions différentes entre 2001 et 2012. Ne serait-il pas préférable de procéder à une réforme de fond tous les neuf ans, voire plus rarement encore ? Portalis estimait que le législateur ne devrait modifier la loi que "d’une main tremblante".

Aujourd’hui, c’est plutôt encouragé par une imprimante trépidante que gêné par une main peu ferme que le législateur écrit et réécrit la loi !
On peut d’ailleurs se demander si le but vers lequel tend la simplification de la loi n’est pas un mirage.

La loi simplifiée, idéalement, devrait être tout simplement une loi… simple. Mais si c’est le cas, il est possible que l’on n’ait fait que déplacer la difficulté.
Si une situation est complexe et qu’on ne l’encadre que par un texte simple, c’est sur la phase d’application du texte que vont se reporter les difficultés.

L’exemple du délit d’entrave l’illustre. La situation à appréhender est assez complexe, puisqu’on veut que, dans une entreprise, un organisme soit mis en place pour permettre une représentation du personnel et un dialogue avec le chef d’entreprise, et on veut que ce dernier ne gêne pas la mise en place et le fonctionnement de cet organisme. Soit on listait une vingtaine ou une trentaine de comportements qualifiés d’entrave, soit on indiquait que l’entrave était un délit pénal, en laissant au juge la tâche de dire ce qu’était l’entrave. Le législateur a adopté une solution à mi-chemin, en indiquant que la violation de certains articles du Code du travail était constitutive du délit d’entrave, mais il n’a pas été au bout de la démarche. Le résultat est que l’on a un texte relativement court, mais qui suppose de la part du juge un travail d’interprétation et de qualification, d’une part, et de la part du justiciable de prendre connaissance de la manière dont la jurisprudence a fait application du texte, d’autre part.

Le résultat n’est donc pas très heureux, puisque le texte n’est pas si simple que cela, mais requiert tout de même du justiciable (l’employeur, particulièrement, qui voudrait éviter de séjourner en prison pour avoir commis le délit d’entrave) un travail de recherche de la jurisprudence, et même une actualisation constante, car la jurisprudence peut évoluer.

On pourra objecter que la critique est aisée, et l’art difficile. Mais l’art du législateur pourrait aussi consister à ne pas légiférer du tout et à laisser à d’autres sources la mission de définir les normes applicables, comme cela a été fait avec succès en matière de gouvernement d’entreprise.

Bruno Dondero, Professeur à l’Université Paris I Panthéon – Sorbonne, Directeur du CAVEJ (UFR 23), Directeur de Sorbonne Affaires/Finance (IRJS)


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