I ♥ Paris, c’est fini !

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Patrick-Boiron KGA AvocatsPatrick Boiron, Associé du département NTIC chez KGA Avocats revient sur la fin de la protection des signes "I ♥ Paris" et "J’♥ Paris".

Depuis qu’en 1977, est apparu le célèbre slogan : "I ♥ New York", les déclinaisons ont fleuri, qu’il s’agisse de noms de villes ou de produits. C’est ainsi que dans les années 1980, une personne physique française a déposé les marques : J’♥ Paris et I ♥ Paris.

Le titulaire de ces marques vend ainsi, par l’intermédiaire d’une société licenciée exclusive dans pas moins de 150 points de vente à Paris de nombreux produits sur lesquels figurent les fameuses mentions : "J’♥ Paris" ou "I ♥ Paris". Tout aurait continué paisiblement encore pendant longtemps si une autre société ne s’était avisée de déposer en 2010, à titre de marque "I ♥ La Tour Eiffel" et "Paris, je t’♥". Ses demandes ayant été frappées d’opposition, cette société a décidé d’assigner le propriétaire des marques "I ♥ Paris" et "J’♥ Paris" devant le Tribunal de grand instance de Paris en nullité de marque et en concurrence déloyale (TGI Paris, 3ème chambre, 1ère section, 13 décembre 2011).

Une première décision est venue prononcer la nullité des marques incriminées pour défaut de distinctivité, ce qui, convenons-en, n’a rien de surprenant. Mais l’affaire ne devait pas en rester là. Le propriétaire des marques annulées a fait appel ; la Cour d’appel a confirmé la décision du Tribunal de grande instance et le propriétaire s’est pourvu en cassation (Cour d’appel de Paris, arrêt du 8 mars 2013, RG 11/22809).

La Cour de cassation, dans un arrêt de la Chambre commerciale du 6 janvier 2015 (pourvoi n° 13-17.108), a rejeté le pourvoi. Elle est venue rappeler que la marque est un signe servant à distinguer des produits et services et que le caractère distinctif d’un signe de nature à constituer une marque s’apprécie à l’égard des produits ou services désignés et par rapport à la perception que le public auquel cette marque est destinée peut en avoir. Au cas particulier, la Cour d’appel avait défini le public pertinent comme une "personne d’attention moyenne désireuse de conserver une trace de son passage à paris et qui, pour ce faire, se rendra dans un magasin dédié aux produits touristiques". Cette analyse du public pertinent se fonde sur une décision de la CJCE du 4 mai 1999 "Windsurfing" qui est venue dire que "le caractère distinctif d’une marque doit être apprécié par la perception des milieux intéressés qui sont constitués par les consommateurs de ces produits ou de ces services".

Or ce public ne percevra certainement pas les marques incriminées comme lui garantissant que les produits sur lesquels les marques sont apposées proviennent d’une entreprise déterminée ; au cas particulier, la société licenciée du propriétaire de la marque et ce, malgré l’apposition d’étiquettes au nom de cette société, sur les produits.

Cette affirmation est confortée par l’analyse sémantique des deux signes complexes litigieux. La juxtaposition de la séquence : "J’♥" ou "I ♥" et du toponyme Paris est des plus banales, depuis que cette appellation est apparue en 1977. Il s’agit de signes "décoratifs" et tous les touristes sont habitués à voir ce type de composition qui n’évoque pas un produit particulier mais, de manière générique, un souvenir quelconque. Ainsi la fonction d’identification d’origine des marques n’est pas remplie pour les produits en cause.

A noter que la Cour d’appel ouvre une possibilité qui n’a pas été saisie par les appelants. Puisque l’analyse conduisant à apprécier la nullité de la marque se fonde sur celle du public pertinent et sur la perception qu’il peut avoir des produits vendus sous les marques litigieuses, il s’agit d’une appréciation nécessairement subjective qui peut être contestée.
Aussi la Cour relève que "les appelants ne versent aucun sondage susceptibles d’en juger autrement". Est-ce à dire que si un sondage avait été réalisé auprès des consommateurs des produits en question, qui aurait montré que ces derniers liaient les marques en cause à des produits d’origine précise, la décision de la Cour d’appel aurait été différente ? Voilà peut-être une piste à retenir en matière de preuve dans le futur.

En conclusion, la protection des signes "J’♥ Paris" et "I ♥ Paris" a vécu. Il faut s’en réjouir car le but de la protection qu’apporte le droit des marques ne doit pas avoir pour effet de freiner le développement du commerce, bien au contraire. En s’arrogeant un monopole injustifié sur un signe somme toute banal, le propriétaire des signes incriminés a bénéficié d’un monopole qui a généré une rente de situation contestable.

Patrick Boiron, Associé du département NTIC chez KGA Avocats


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