Jean-Pierre Grandjean et Denis Chemla, Avocats au barreau de Paris et membres du Conseil de l’Ordre, proposent une tribune sur l'aide juridictionnelle dans laquelle ils reviennent sur l'accord entre la Chancellerie et les représentants de la profession d'avocat et préconisent de financer l'aide juridictionnelle par une nouvelle contribution reposant sur les sommes octroyées au titre des frais de justice.
Un accord sur l'aide juridictionnelle vient d'être trouvé. Le dialogue entre les pouvoirs publics et la profession d'avocat, qui s'est déroulé dans un climat très pesant, aura eu la vertu de rassembler notre profession, dans toutes ses composantes, autour de trois évidences :
1) La revalorisation de l'aide juridictionnelle est nécessaire, pour permettre l'accès de tous aux tribunaux et rétribuer de manière décente les avocats, nombreux, qui assistent les plus démunis en matière pénale comme en matière civile. La justice est une fonction régalienne de l'Etat, c'est pourquoi il lui incombe d'en assurer tant l'accès que le fonctionnement.
2) Le financement de l'aide juridictionnelle ne peut pas être demandé aux avocats. Demanderait-on aux enseignants de financer l'éducation nationale, aux militaires de participer au budget des armées, au corps médical de combler le déficit de la Sécurité Sociale ou aux exportateurs de rétablir par le versement d'un impôt le déséquilibre de la balance des paiements ?
3) Dans un état de droit, exercer des violences policières sur des avocats en robe, au sein même des Palais de Justice, n'est pas tolérable. Nul besoin d'argumenter. L'accord intervenu prévoit que le gouvernement demandera au Sénat de supprimer, dans la loi de finances, la taxation des CARPA qui fut le déclencheur d'un vaste mouvement de protestations et de grèves. L'accord prévoit aussi de revaloriser l'aide juridictionnelle, de 12,5% en moyenne. La discussion se poursuivra, plus tard, sur la question de son financement.
L'aide juridictionnelle est la réponse française à une problématique que d'autres pays traitent de façon comparable, mais en y engageant les budgets nécessaires. Ainsi, même au Royaume-Uni, où règne le libéralisme économique, l'Etat y consacre des budgets beaucoup plus importants qu’en France.
Il incombera au gouvernement de trouver, pour l'aide juridictionnelle, des modes de financement autres que la taxation des avocats eux-mêmes, que personne ne comprendrait.
Or, il n'est pas sûr que toutes les voies aient été explorées. En effet, il existe d'ores et déjà, au civil comme au pénal, deux textes applicables devant toutes les juridictions qui permettent au juge de condamner celui qui perd un procès à verser au gagnant une somme au titre des frais de justice qu'il a exposés, en ce compris les honoraires de son avocat. Le critère est énoncé simplement : "le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée".
L'expérience, devant tous les tribunaux, montre que les montants alloués à ce titre sont très souvent symboliques ; ils ne sont que rarement en rapport avec les frais exposés par le justiciable.
S'il fallait instaurer une contribution au financement de l'aide juridictionnelle, pourquoi ne pas taxer les montants alloués par les juges au titre de ces textes ? Cette taxation serait supportée par les plaideurs ayant perdu leur procès et dont un juge aurait estimé, en tenant compte de leur situation économique, que l'équité justifie de les faire contribuer aux frais exposés par la partie gagnante.
La parcimonie avec laquelle, aujourd'hui, de telles sommes sont allouées laisserait place à une application effective et raisonnée de ces textes, le juge devenant, à travers ses décisions, un acteur du financement de l'aide juridictionnelle.
L'idée d'un timbre de plaidoirie avait été expérimentée, sans succès. Son travers était sans doute d'être payable par tous les justiciables. En revanche, une contribution à l'AJ reposant sur les sommes octroyées au titre des frais de justice ne serait supportée que par les plaideurs ayant perdu leur procès et dont la situation financière serait compatible avec une telle contribution. Plus d'un million de décisions judicaires sont rendues annuellement, rien qu'en matière civile. Il existe donc ici une piste de solution pour le financement de l'aide juridictionnelle. Elle n’exige rien d’autre que l’application de la loi par le juge.
Par Jean-Pierre Grandjean et Denis Chemla Avocats au barreau de Paris, membres du Conseil de l’Ordre