A l’heure actuelle, la France cherche légitiment à se doter de moyens renforcés pour lutter contre la corruption internationale et le projet de loi dit "Sapin II" propose un arsenal de mesures en partie inspiré par les pratiques américaines. Dans le débat actuel, il est instructif d’étudier le droit pénal allemand qui, issu des mêmes traditions juridiques que le droit français, a vu émerger, depuis une trentaine d’années, une pratique dite de "concertation dans la procédure pénale" ("Verständigung im Strafverfahren") dans laquelle, sous le parfait contrôle du juge et à seule initiative, le prévenu et le parquet peuvent s’entendre avec le tribunal sur la sanction applicable.
A l’heure actuelle, la France cherche légitiment à se doter de moyens renforcés pour lutter contre la corruption internationale et le projet de loi dit "Sapin II" propose un arsenal de mesures en partie inspiré par les pratiques américaines. Il est vrai cependant que les outils procéduraux utilisés aux Etats Unis (tel que le "Deferred prosecution agreement") ne paraissent pas seulement violents pour les praticiens du droit (compte tenu des menaces qui pèsent sur la partie qui, souhaitant aller au bout d’une procédure judiciaire, serait jugée de ne pas avoir "coopéré"), mais sont également non conformes aux principes fondateurs de notre système juridique. Comment accepter dans une affaire pénale que la justice devienne l’objet d’un "deal", un procédé où le rôle du tribunal serait marginalisé et où il ne reviendrait plus au juge de faire éclater toute la vérité ni de déterminer les sanctions ?
Dans le débat actuel, il est instructif d’étudier le droit pénal allemand qui, issu des mêmes traditions juridiques que le droit français, a vu émerger, depuis une trentaine d’années, une pratique dite de "concertation dans la procédure pénale" ("Verständigung im Strafverfahren") dans laquelle, sous le parfait contrôle du juge et à seule initiative, le prévenu et le parquet peuvent s’entendre avec le tribunal sur la sanction applicable. Cette pratique, qui dans un premier temps, n’avait pas fait l’objet de disposition spécifique dans le Code pénal ou le Code de procédure pénale, compte tenu de certaines critiques, a finalement été consolidée en 2009 par une loi spécifique.
1) La "concertation pénale" dans un système pénal "inquisitoire"
Du point de vue du juriste français, l’étude du système juridique allemand est d’autant plus instructive qu’il appartient à la même famille continentale des systèmes de droit "romano-germaniques". La procédure pénale accorde la même place au juge en qui concerne la recherche de la vérité et le prononcé des peines en fonction de la culpabilité du prévenu. En Allemagne, comme en France, nous sommes dans le cadre d’un système dit "inquisitoire".
Dans cette tradition juridique il appartient au juge, d’office, d’élucider les faits qui sont déterminants pour le jugement et il appartient à ce dernier d’appliquer, en vertu du "principe de légalité", la norme pénale qui est d’ordre public et ne peut faire l’objet de marchandages. Au cours du procès, le juge a donc recours aux moyens de preuve appropriés, cherche à établir la vérité judiciaire et détermine les sanctions en fonction d’une appréciation circonstanciée de la culpabilité des prévenus.
A l’opposé des systèmes de type "inquisitoire", l’on peut plus facilement s’imaginer un mécanisme de transaction pénale dans un système dit "accusatoire" tel qu’il est pratiqué aux Etats-Unis où le juge joue un rôle plus nuancé en ce qui concerne la recherche de la vérité et où il appartient à l’accusation d’établir la vérité judiciaire qui justifie une condamnation. On peut alors s’imaginer que dans le cadre d’un "deal", le procureur puisse renoncer à poursuivre certains chefs d’accusation sans que l’aboutissement d’une procédure pénale soit nécessaire.
Dans les systèmes européens, est-il possible de laisser de la place à des procédés transactionnels où l’accusation et le prévenu s’entendent sur l’appréciation pénale d’actes délictueux ?
La pratique prétorienne de la "procédure de concertation", s’est répandue en Allemagne depuis une trentaine d’années en l’absence de tout cadre légal spécifique. Elle a pu faire l’objet de vives critiques :
- Le tribunal, compte tenu du système inquisitoire de la procédure pénale, est tenu d’établir les faits sur lesquels est fondée une condamnation. De ce fait, il ne pourrait renoncer à recourir à des preuves qui permettent d’établir la vérité. La concertation serait peu compatible avec ce principe de la recherche de la vérité.
- L’aveu de l’accusé constituerait une preuve insuffisante pour établir la vérité.
Les aveux ne seraient pas toujours crédibles, notamment lorsqu’ils sont le résultat d’un "marchandage" portant sur les sanctions pénales.
- La procédure pénale est publique. Une concertation éventuelle doit être publique et ne doit pas se dérouler de façon occulte.
Néanmoins, malgré ces critiques, la pratique prétorienne de la "concertation dans la procédure pénale" - sans cadre légal - a été approuvée de manière explicite, sous conditions, notamment par une décision de la Cour fédérale de justice de 1997 et dernièrement par une décision solennelle du "Grand sénat" de la Cour fédérale en date du 3 mars 2005. Toutefois, cette dernière décision a formulé un appel explicite au législateur l’invitant à fixer un cadre législatif approprié.
C’est dans ce contexte que la loi du 4 août 2009 ("Gesetz zur Regelung der Verständigung im Strafverfahren") est venue instaurer un cadre légal spécifique pour la procédure de concertation entre les acteurs de la procédure pénale.
2) Un dispositif de "concertation dans la procédure pénale" à l’initiative et sous le contrôle du juge, validée par la Cour constitutionnelle de Karlsruhe
Par la loi du 4 août 2009, un nouvel article 257c a été inséré dans le Code de procédure pénale, un texte qui constitue désormais la référence légale pour la "concertation dans la procédure pénale".
Il est à noter que, comme avant l’entrée en vigueur de la loi, la procédure de concertation a un champ d’application large, sans restriction concernant la nature des délits ni la personne des prévenus (Nota : le droit allemand ne connaît pas la responsabilité pénale de personnes morales).
Les aveux du prévenu, sauf circonstances particulières, constituent un élément obligatoire de la concertation.
Concernant la procédure, il est important de souligner que les magistrats du siège maîtrisent intégralement tous les aspects de la concertation : A sa seule initiative, seulement dans les cas qu’il juge appropriés, le Tribunal a la faculté de prendre l’initiative d’une "concertation".
Le Tribunal précise alors le contenu d’un accord éventuel, faisant apparaître une fourchette de la sanction à prononcer et la suite du déroulement de la procédure pénale.
Dans tous les cas, l’objet de la "concertation" est limité au quantum de la sanction pénale. Par conséquent, la décision concernant la culpabilité de l’accusé et la qualification juridique des faits ne peut faire l’objet d’une concertation.
Si ce dispositif de "concertation" a été validé par la Cour constitutionnelle de Karlsruhe par une décision du 19 mars 2013, la Cour a néanmoins formulé un rappel solennel des exigences constitutionnelles à respecter au cas par cas dans le cadre des procédures de "concertation" : malgré les aveux du prévenu et une entente entre les parties prenantes, il incombera toujours aux tribunaux non seulement d’élucider les faits qui lui leur sont soumis mais aussi de motiver la sanction retenue par une appréciation juridique circonstanciée. Par ailleurs, la procédure doit être publique, transparente et documentée et le prévenu, avant de prononcer des aveux, doit être pleinement informé notamment en ce qui concerne les circonstances qui permettraient une mise en cause des termes de l’accord intervenu entre les parties prenantes.
3) Quel bilan ?
Le système de la concertation est aujourd’hui considéré comme indispensable pour un fonctionnement économique de la justice. La logique de la concertation, selon les observateurs, permettrait de sortir le déroulement du procès d’une logique conflictuelle et d’affrontement, au cours de laquelle des parties usent tous les moyens techniquement possibles pour défendre leurs points de vue. La logique consensuelle conduirait à une meilleure fluidité du procès et, in fine, permettrait d’économiser des ressources de la justice.
Dans la situation actuelle, il est sans doute possible d’affirmer que le processus transactionnel revêt une importance significative pour la qualité et la célérité de la justice allemande : Certains auteurs estiment que plus de 50% des procédures pénales sont terminées avec recours à "la concertation" des parties.
L’observateur français retiendra que le système allemand a été créé dans le cadre et dans le prolongement de la tradition juridique européenne : le tribunal maîtrise intégralement tous les aspects de la concertation pénale (initiative, contenu, sanction, débat public) ; il est tenu par la recherche de la vérité ; la sanction doit être proportionné à la culpabilité de l’accusé.
Enfin, d’un point de vue plus général, le dispositif s’est révélé comme un levier procédural utile et indispensable pour faire face à la complexité des dossiers d’envergure en matière de corruption. La concertation entre les parties prenantes permet de construire un déroulé économe du procès pénal et incite le prévenu à coopérer activement de manière à élucider des circonstances factuelles complexes.
Josef Sievers, Directeur juridique, avocat inscrit au barreau de Düsseldorf