Le "Border Adjustment Tax", première réforme fiscale protectionniste de la Présidence Trump ?

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Bertrand DussertLe projet de réforme de la fiscalité des entreprises, à l’initiative des Républicains de la Chambre des Représentants, prévoit des changements radicaux, dont une baisse du taux de l’impôt fédéral sur les sociétés de 35 % à 20 % et surtout la modification de l’assiette de cet impôt, appelée "Border Adjustment Tax"(ci-après "le BAT") ou taxe d’ajustement aux frontières.

Le BAT, composante essentielle du plan de réforme fiscale Blueprint

Le BAT a pour objectif d’accroître la production intérieure des États-Unis et donc d’y créer des emplois, d’améliorer la compétitivité des entreprises américaines, de décourager les investissements effectués à l’étranger, et de limiter l’érosion de l’assiette fiscale américaine.

Le BAT prévoit d’une part, (i) l’exonération des exportations de biens et services depuis les États-Unis et, d’autre part, (ii) l’assujettissement à la taxe des biens et services en provenance de l’étranger.

Ainsi, lorsqu’une entreprise américaine exportera des biens ou des services, les recettes brutes provenant de ces ventes seront ignorées pour la détermination de l’impôt fédéral sur les bénéfices, alors que les coûts associés auxdites exportations seront déductibles s’ils sont engagés aux États-Unis. Ces sociétés exportatrices pourraient donc potentiellement se retrouver chroniquement déficitaires sur le plan fiscal.

A l’inverse, si une entreprise américaine importe des produits en provenance de l’étranger, leur prix de revient sera ignoré, de telle sorte que leur revente sur le territoire américain sera pleinement taxée sans possibilité de déduction.

Le projet de réforme ne permet toutefois pas de savoir à ce stade si les différentes règles d’application du BAT permettront une consolidation effective des résultats sur le plan fiscal (activité export déficitaire, cf. supra, activité américaine imposable …), ou si des secteurs distincts d’imposition devront être créés.

Le BAT, une "taxe" territoriale, hybride et déjà controversée

A contre-courant de l’écrasante majorité des économies dites "avancées", qui connaissent des régimes d’imposition sur les bénéfices mondiaux, les Etats-Unis souhaitent donc mettre en place un impôt sur les sociétés sur la base d’un principe de territorialité très particulier. La France et Hong Kong, qui sont les deux rares États connaissant également un impôt territorial sur les bénéfices, basent en effet leur législation sur la notion d’entreprise exercée localement, indépendamment de l’origine territoriale du chiffre d’affaires ou des couts qui y sont associés.

Le BAT procède ainsi clairement d’une logique de flux, selon laquelle l’impôt sur les bénéfices doit être déterminé en fonction du lieu de consommation des biens et services, ce qui le rapproche curieusement du mécanisme de la TVA, en vertu duquel les exportations sont exonérées et les importations imposées.

Le BAT va par ailleurs clairement nécessiter une renégociation des conventions fiscales signées avec la plupart des partenaires des États-Unis. En ce qui concerne la France, par exemple, l’article 7 de la convention signée avec les États-Unis prévoit en effet que, pour déterminer les bénéfices d'un établissement stable, sont admises en déduction les dépenses qui ont un lien raisonnable avec ces bénéfices, que ces dépenses soient exposées dans l'État où est situé cet établissement stable ou ailleurs.

Le BAT pourrait enfin être dans certaines situations assimilé à une « mesure tarifaire » dès lors qu’il frappe directement les marchandises ou les services importés sur le territoire américain. En effet, en n’imposant, sans possibilité de déduction, que les produits importés, les sociétés revendront plus cher les produits étrangers, ce qui aura pour conséquence de décourager leur consommation et de favoriser les produits locaux. Nombre de pays s’interrogent ainsi sur le point de savoir si le BAT pourrait être considéré comme contraire aux règles établies par l’OMC en matière d’égalité de traitement entre les produits étrangers importés et les produits nationaux.

Le BAT, s’il voit le jour, aura un impact potentiel très significatif dans le cadre des relations franco américaines et plus généralement pour les grandes puissances exportatrices

Le BAT impactera clairement les exportations françaises destinées à être revendues sur le marché américain, en augmentant le prix de vente au consommateur. Les produits entrant frontalement en concurrence avec des produits made in USA pourraient être ainsi particulièrement affectés.

De nombreux Etats "grands exportateurs" vont se retrouver également impactés (Chine, Allemagne), de sorte qu’il est à craindre que des mesures de rétorsion ne soient rapidement envisagées si l’administration Trump menait à bien cette réforme fiscale.

Une guerre tarifaire mondiale semblerait alors inéluctable.

Bertrand Dussert, Avocat Associé, K&L Gates LLP


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