Lourdes sanctions à l’encontre de deux sociétés et de leur dirigeant sur le fondement de la loi anti-cadeaux

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François Dauba, avocat et Hugues Villey-Desmeserets, associé au sein du cabinet BCTG Avocats François Dauba, avocat et Hugues Villey-Desmeserets, associé au sein du cabinet BCTG Avocats commentent un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 29 mars 2017 qui a condamné deux entreprises ainsi que leur dirigeant commun au paiement d’amendes comprises entre 40.000 euros et 75.000 euros pour violation de la loi anti-cadeaux.

Le 29 mars 2007, la Cour d’Appel de Paris a condamné deux entreprises ainsi que leur dirigeant commun au paiement d’amendes comprises entre 40.000 euros et 75.000 euros pour violation de la loi anti-cadeaux.

Dans le cadre de cet arrêt, la Cour rappelle de manière didactique un grand nombre de principes régissant le dispositif anti-cadeaux en vigueur au moment des faits (1). Par certains aspects, la Cour en propose également une lecture extensive conforme à la volonté du législateur d’étendre le champ d’application de ce dispositif depuis l’ordonnance du 19 janvier 2017 (2).

Rappel des faits 

Les sociétés SAS GACD et SAS PROMODENTAIRE, qui assuraient des prestations, produisaient ou commercialisaient des produits pris en charge par les régimes obligatoires de sécurité sociales, étaient poursuivis pour avoir proposé des avantages à leurs clients chirurgiens (chaînes hifi, séjours à New-York, etc.) de manière directe ou indirecte (cumul de points convertibles en divers cadeaux, octroi de produits gratuits aux conjoints des chirurgiens, etc.).

Les deux sociétés ainsi que leur dirigeant commun avaient été relaxées en première instance (1) . Le Procureur de la République avait interjeté appel de cette décision.

Un arrêt confortant l’interprétation du champ d’application du dispositif anti-cadeaux

Dans le cadre de son analyse des faits, la Cour d’appel de Paris rappelle plusieurs principes fondamentaux relativement au champ d’application du dispositif anti-cadeaux.

La Cour indique tout d’abord que la détention d’un seul produit remboursable dans le portefeuille d’une société suffit à l’assujettir aux obligations de la loi anti-cadeaux dans le cadre de ses relations avec les professionnels de santé, y compris lorsque ces relations concernent des produits non-remboursables de son portefeuille (p.38).

La Cour précise ensuite que le seuil de la « valeur négligeable » des cadeaux qui est toléré s’élève à 30 euros par an et que la fixation d’un seuil supérieur par une société dans le cadre de sa procédure interne n’est pas acceptable (p. 46).

La Cour rappelle également les critères de distinction entre une remise commerciale et un cadeau :

la remise constitue un avantage commercial accordé au cabinet médical et vient en réduction du prix d’achat mentionné sur le tarif. Elle est autorisée ;
le cadeau s’adresse aux personnes physiques et n’a aucune incidence sur les comptes de la structure professionnelle de l’acheteur. Il est interdit.

La Cour juge énonce par ailleurs qu’un mécanisme de cumul de points en contrepartie de l’achat de produits de santé ne peut être assimilés à un système de remises ou de ristournes si les points sont convertissables en cadeaux. Il s’agit d’un système de fidélisation des professionnels de santé, ce qui est par nature interdit.

Enfin, et de manière intéressante, la Cour ne se contente pas de déduire l’existence de l’élément intentionnel – indispensable pour caractériser le délit en matière pénale – de la simple qualité de professionnel du secteur des intimés. La Cour d’appel, caractérise l’existence d’un élément intentionnel du fait de la connaissance du dispositif anti-cadeaux par le gérant et d’une volonté manifeste de le contourner dans la mesure où la politique commerciale des deux sociétés ne visait qu’à inciter les professionnels de santé à être clients sur la base des nombreux avantages (p.45).

Un arrêt proposant une lecture extensive du champ d’application du dispositif anti-cadeaux

Au-delà de l’énoncé de ces principes confortatifs, la Cour d’appel de Paris propose également une lecture élargit le champ d’application du dispositif anti-cadeaux.

D’une part, la Cour adopte une interprétation large de la notion de « produit pris en charge par la sécurité sociale ». Après avoir constaté que certains produits (amalgames, anesthésiant, ciments, etc.), qui ne font pas partie de la liste de l’article L 165-1 du code de la sécurité sociale, sont nécessaires pour réaliser l’acte dentaire remboursé par l’assurance maladie et son donc pris en charge par l’assurance maladie, la Cour d’appel en déduit que ces produits sont soumis au dispositif anti-cadeaux (p. 44 et 45).

D’autre part, la Cour rappelle que la notion d’avantage doit s’entendre largement et inclut « les cadeaux divers ou libéralités, la prise en charge de frais ou de voyages, la mise à disposition gratuite de matériel, les avantages en numéraire, les remises ou ristournes sur l’achat de matériel » (p. 40).

Enfin, la Cour retient une approche large des bénéficiaires des avantages en estimant que les assistants dentaires, qui ne sont pourtant pas visés par le dispositif anti-cadeaux, ne peuvent recevoir des avantages (p. 46).

Conclusion :

Au-delà du caractère particulièrement didactique de cet arrêt quant à la définition du champ d’application du dispositif anti-cadeaux, son intérêt réside dans le fait que les juges du fond semblent adopter une lecture extensive de ce dispositif.
La violation de la loi anti-cadeau étant sanctionnée pénalement, une telle interprétation n’allait pas nécessairement de soi.
Cet arrêt confirme, par le niveau élevé des sanctions retenues notamment, que les professionnels de santé, dans le cadre de la mise en œuvre de leur politique commerciale, ne peuvent se borner à retenir une interprétation restrictive du champ d’application du dispositif anti-cadeaux au motif de l’interprétation stricte d’un texte pénalement sanctionné.

Ce rappel est important dans le contexte d’une réforme récente des textes applicables (2) qui pose plusieurs problèmes d’interprétation mais qui s’inscrit de manière évidente dans une logique de durcissement du régime légal applicable en la matière.

François Dauba, avocat et Hugues Villey-Desmeserets, associé au sein du cabinet BCTG Avocats

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NOTES

(1) Jugement du Tribunal de grande instance de Paris du 22 mai 2015

(2) Il est rappelé que ce dispositif a été modifié par l’ordonnance du 19 janvier 2017


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