L’intelligence juridique au service du droit

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L’utilisation des nouvelles technologies dans le contexte actuel d’inflation législative et réglementaire devient centrale. Elle permet l’analyse exhaustive et contextualisée des décisions de justice qui détermineront la solution applicable à chaque espèce. L’intelligence juridique constitue le grand chantier pour les juristes de ce 21ème siècle.

Les technologies permettent d’une part l’automatisation des tâches répétitives et fastidieuses dégageant du temps pour l’humain, et d’autre part l’apprentissage de raisonnements dont le résultat peut être généralisé par induction proposant des solutions à son utilisateur. Ceci nous amène immédiatement au travail du juriste qui raisonne par déduction, induction ou par analogie, indépendamment de sa position de juge, d’avocat ou de conseil d’entreprise.

Comme le pensent certains philosophes du droit - notamment l'école réaliste du droit incarnée par Alf Ross, Norberto Bobbio ou Michel Troper -, la norme juridique est issue des décisions des juridictions devenues définitives et applicables à chaque litige, et non des énoncés législatifs ou réglementaires. Les nouvelles technologies, au premier rang desquelles « l’intelligence artificielle » permettent donc d'affiner l'analyse juridique en s’appuyant non seulement sur les textes législatifs et réglementaires mais surtout sur les décisions de justice sur lesquelles se fondera l’argumentaire en cas de contentieux.

Open data et aide à la décision

L'émergence de l' « intelligence juridique » a pu voir le jour dans le contexte de l'Open data des décisions de justice. La mise en place effective de l'open data engendre un changement de paradigme. L’information juridique est partout, il devient nécessaire d’organiser les flux pour accéder rapidement à l’information qui compte, ainsi que le permettent les plateformes d’intelligence juridique.

En France, la création du service public de diffusion par un décret du 7 août 2002, puis la loi du 23 mars 2019 de réforme pour la justice systématisant la publicité en ligne gratuite, et l'arrêté du 29 avril 2021 déterminant un calendrier allant jusqu’en 2025 pour toutes les juridictions, ont été autant d'étapes au déploiement des données juridiques en ligne. L’augmentation de cette matière première a permis de renforcer l’efficacité et la fiabilité des algorithmes juridiques en France.

Cependant, plusieurs critiques sont régulièrement adressées à l’intelligence artificielle du droit. Il est souvent souligné par exemple que l’emploi des algorithmes en matière juridique aurait pour effet d’automatiser le droit. En réalité, il existe pour le citoyen administré un « droit de ne pas faire l'objet d'une décision fondée exclusivement sur un traitement automatisé »[1]. Seuls les traitements autorisés par la loi peuvent y déroger, sous réserve d’une garantie des droits fondamentaux du citoyen.

Gains de temps, coûts moindres et solution négociée

Le principe exclut la vocation normative de l’algorithme employé et le conçoit simplement comme une aide à la décision. A ce titre, plusieurs domaines du droit s’y prêtent. En amont de la réalisation d’un projet, l’utilisation d’un algorithme permet d’intégrer les contraintes juridiques pertinentes et d’écarter les risques de contentieux par la suite. Cette opportunité est bien utile pour économiser du temps et surtout des sommes très conséquentes.

En proposant un panel exhaustif et cohérent de décisions de jurisprudence, un chemin qui est bien souvent très étroit peut être déterminé, y compris lorsqu’aucune solution ne fait clairement autorité sur un point précis. Les modes amiables de règlement des litiges, qui sont désormais à l’honneur mais qui restent soumis à un corpus juridique toujours plus complexe et contraignant, bénéficient également de l’utilisation des algorithmes. L’intelligence artificielle permet de clarifier ces écueils et de favoriser une solution négociée en homogénéisant la règle de droit.

L’intelligence juridique au service de l’intelligence économique

Enfin, la certitude des normes juridiques applicables est centrale pour sécuriser un projet ou un investissement économique dans un environnement inconnu. Dans de nombreux pays émergents, les cadres juridiques en vigueur sont bien souvent le décalque de législations ou de règlementations antérieures de pays dit "développés", comme par exemple les codes des contrats publics en Afrique francophone. Les solutions adoptées par les juridictions locales sont souvent inaccessibles, faute d’open data. L’utilisation de l’intelligence artificielle permet de dégager des solutions pertinentes, par analogie avec les décisions des juridictions du pays à l’origine du texte, tel que le Conseil d’État français.

L’utilisation des algorithmes renforce, outre la prévisibilité de la norme dans des pays où l’accès au droit est minimal, la place du juriste dans l’intelligence économique. Cette approche comparatiste renforce les grandes places de droit, telles que la France, le Royaume-Uni ou les États-Unis. Ainsi, l’intelligence artificielle uniformise l’application de la norme et sécurise les projets selon des standards internationaux. Couplée à l’open data, elle permet d’appréhender le droit dans son intégralité. En plus de rendre le juriste plus « intelligent », les plateformes en ligne redonnent sens à la promesse de sécurité juridique et de garanties légales des droits des citoyens.

Etienne Jaboeuf, avocat au barreau de Paris, délégué à la protection des données

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[1] Article 22§1 du Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données)


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