Laure Lavorel, Directrice Juridique Europe du Sud de ca technologies et Présidente de l’association "Le Barreau en Entreprise" nous propose le point de vue défendu par l’association Le Barreau en Entreprise sur le statut des juristes en entreprise.
La confidentialité qui bénéficie de longue date aux correspondances échangées entre avocats laisse les juristes d’entreprise français à l’écart des grandes décisions stratégiques impactant l’entreprise. Cette absence d’un Legal Privilege est un désavantage concurrentiel clairement identifié par les états-majors des groupes internationaux pour implanter leurs centres de décisions en France.
Les entreprises françaises souffrent d’un handicap concurrentiel méconnu vis-à-vis de leurs homologues internationaux : le statut de leurs juristes. A l’inverse de la plupart des pays développés, les avis des directeurs juridiques ne bénéficient d’aucun privilège de confidentialité et peuvent de ce fait être saisissables et utilisables comme pièces à charge par les tribunaux et autorités de contrôle, qu’ils soient nationaux ou européens. Faute d’être étendu aux juristes d’entreprises, la confidentialité qui bénéficie de longue date aux correspondances échangées entre avocats laisse donc les juristes français à l’écart des grandes décisions stratégiques impactant l’entreprise, cantonnant ceux-ci à un rôle technique de pure validation. Pire, elle amène parfois les entreprises internationales à trancher les grandes décisions stratégiques sans même consulter leur direction juridique locale ! Cette absence de secret professionnel (Legal Privilege) désavantage donc largement les juristes français vis-à-vis de leurs collègues étrangers, quand elle ne les discrédite pas.
A l’inverse, les avocats œuvrant dans des entreprises hors de France sont perçus par les opérationnels et les directions générales comme une extension naturelle de l’entreprise, dont ils participent aux décisions les plus sensibles dans des domaines aussi variés que le marketing, la stratégie ou encore la finance. Réputés indépendants au sein de leur propre entreprise, ils sont de fait mieux acceptés et leur rôle est perçu positivement, et non plus comme une contrainte. En intégrant très en amont les juristes à leur processus de décision, ces dernières y gagnent au final efficacité, fluidité et réactivité. Dans un contexte de compétition internationale aiguë, les juristes français doivent plus que jamais pouvoir se battre ou dialoguer à armes égales avec leurs confrères d’autres pays.
Pour ces raisons, un statut d’avocat en entreprise doit être créé de toute urgence. Ce débat n’est pas nouveau. A l’instar du rapport Guillaume de 2006, le rapport Darrois remis au président de la République il y a plus d’un an a timidement relancé le débat sur la création d’un statut spécifique. Inscrit dans une section spécifique du Tableau de son Ordre avec tous les droits et obligations de l’avocat, l’avocat en entreprise exercerait selon ce rapport un unique client et ne pourrait pas plaider. En revanche, ce dernier ferait bénéficier son employeur du secret professionnel et des règles de confidentialité entre avocats. Ce point est essentiel et doit impérativement être adressé par un cadre légal adéquat. Il en va de l’intérêt du tissu économique français. Si notre pays est resté en 2009 la première destination européenne pour les investissements directs étrangers (IDE), l’absence de Legal Privilege pour les juristes d’entreprise est un désavantage concurrentiel clairement identifié par les états-majors des groupes internationaux pour implanter leurs centres de décisions en France. Faute d’un nouveau statut attendu par les décideurs économiques eux-mêmes, les entreprises risquent soit de délocaliser leurs sièges, soit de choisir des avocats exerçant hors de France pour leurs affaires les plus stratégiques. Bref, de marginaliser le Made in France. Le temps presse.