Après plusieurs mois d’attente, le décret d’application de la nouvelle loi sur la protection des lanceurs d’alerte a finalement été publié le 4 octobre 2022. Dernier acte de la réforme initiée par la directive européenne n°2019/1937, il se traduit par de nouveaux enjeux à anticiper pour les entreprises, essentiels à la bonne gestion de leurs alertes et de leurs risques.
Garantir l’impartialité et l’efficacité du dispositif d’alerte
Cette réforme se traduit tout d’abord par des exigences d’impartialité et d’efficacité renforcées à l’égard des entreprises. Parmi les nouveautés, la procédure d’alerte devra préciser les garanties d’impartialité des personnes chargées de traiter les alertes et s’assurer que les signalements reçus par d’autres personnes ou services leur seront transmis sans délai.
En parallèle, les obligations d’information de l’auteur du signalement sont également renforcées et encadrées par de nouveaux délais (accusé de réception, mesures de remédiation, clôture du dossier…) afin d’assurer l’efficacité du traitement. En particulier, et cela pourra être source de questionnements importants dans certains cas, les entreprises devront se positionner vis-à-vis de l’auteur du signalement sur la possibilité pour celui-ci de bénéficier de la protection accordée aux lanceurs d’alerte.
Il est ainsi recommandé aux entreprises de mettre à jour leurs procédures d’alerte et d’enquête en intégrant ces nouveaux standards d’impartialité, d’efficacité et de communication avec le lanceur d’alerte – et ce de la réception à la clôture de l’alerte.
Renforcer l’attractivité du dispositif d’alerte en interne
La loi permet désormais au lanceur d’alerte de s’adresser directement aux autorités compétentes, sans effectuer un signalement à l’entreprise au préalable. De manière alternative, le lanceur d’alerte pourra également rendre son signalement directement public s’il craint des représailles ou un manque d’efficacité de la part de ces autorités.
Ces possibilités concurrentes au dispositif d’alerte interne pourront affecter la maîtrise des risques au sein des entreprises : celles-ci ne seront pas systématiquement informées des signalements les concernant (par exemple, si une autorité est chargée de traiter une alerte en parallèle de l’entreprise, voire si elle transmet les faits signalés au procureur de la République sans que l’entreprise n’en soit informée).
Afin d’éviter cet écueil, les entreprises ont tout intérêt à renforcer l’accessibilité et la confiance de leurs employés et parties prenantes dans leur dispositif d’alerte afin de les inciter à privilégier ce canal interne – plutôt qu’un signalement aux autorités ou une divulgation publique.
Assurer la protection effective des lanceurs d’alerte
La nouvelle loi étend le champ des informations pouvant faire l’objet d’alertes et ne les soumet plus à certains critères de gravité. En outre, la protection est étendue à un plus grand nombre de personnes en lien avec l’entreprise (anciens employés, candidats, actionnaires, dirigeants, cocontractants…) ainsi qu’aux personnes associées aux lanceurs d’alertes, notamment les « facilitateurs », c’est-à-dire les personnes physiques ou morales qui aident le lanceur d’alerte dans son signalement.
En outre, cette protection est renforcée puisque la loi a étendu le régime d’irresponsabilité des lanceurs d’alertes et a complété la liste des représailles prohibées, en incluant par exemple la mise sur liste noire ou toute atteinte à leur réputation, y compris en ligne.
Dans ce contexte, les entreprises devront s’assurer que ces nouveaux standards de protection sont connus et respectés, au-delà des seules fonctions juridique ou de conformité de l’entreprise. Les entreprises pourront ainsi utilement mettre en place ou renforcer la formation des personnes concernées (managers, relais locaux…) ainsi que le suivi des alertes au niveau du top management (comité éthique, comex, reporting compliance…).
Si un grand nombre d’entreprises a considérablement fait évoluer ses standards en matière de protection des lanceurs d’alerte ces dernières années, elles auront malheureusement peu de temps pour intégrer ces nouvelles exigences puisque la loi, comme son décret d’application, sont d’ores et déjà en vigueur.
Christian Dargham, Avocat associé, Contentieux & Ethique des affaires, Norton Rose Fulbright
Solène Sfoggia, Avocate, Contentieux & Ethique des affaires, Norton Rose Fulbright
Stéphanie Tchanon, Avocate, Contentieux & Ethique des affaires, Norton Rose Fulbright