Action sociale ut singuli : Attention à l’irrecevabilité !

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Par un arrêt destiné à la publication au bulletin en date du 9 novembre 2022, la Cour de cassation juge irrecevable une action sociale engagée sans que la société intéressée ne soit représentée par un mandataire ad hoc (Cf – Cass com 9 nov 2022 n°20-19.077, PB : Jurisdata n°2022-018484). Faute de tirer les enseignements de cette décision qui réécrit l’article R 223-32 du Code de commerce, les praticiens de droit des sociétés pourraient bien se heurter au mur de l’irrecevabilité.

Recevabilité de l’action sociale

Rappelons d’abord brièvement ce qu’est une action sociale.

Il s’agit d’une action intentée au nom et dans l’intérêt d’une société, soit par l’intermédiaire de ses représentants légaux, soit par un ou plusieurs de ses associés ou actionnaires pour obtenir réparation d’une faute d’un dirigeant.

Lorsque cette action est engagée par un ou plusieurs associés ou actionnaires, elle est alors dénommée « action sociale ut singuli ».

La recevabilité de l’action ut singuli est subordonnée à la mise en cause de la société par l’intermédiaire de ses représentants légaux (Cf – article R 223-32 alinéa 1er du Code de commerce).

Le Juge peut désigner un mandataire ad hoc

L’article R 223-32 en son deuxième alinéa prévoit que « le tribunal peut désigner un mandataire ad hoc pour représenter la société dans l’instance, lorsqu’il existe un conflit d’intérêt entre celle-ci et ses représentants légaux ».

Forts de ce second alinéa, en cas de conflit d’intérêt entre d’une part, le ou les dirigeants assignés et d’autre part, la société, les praticiens avaient pour habitude de laisser à l’appréciation du tribunal le choix de désigner ou non un mandataire ad hoc.

L’espèce soumise à la Cour de cassation

Dans l’espèce soumise à la Cour suprême, le dirigeant de la société avait opposé une fin de non-recevoir [1] à l’action engagée au motif que la société (une SARL) ne pouvait être considérée valablement mise en cause faute de désignation d’un mandataire ad hoc dès lors que les faits de l’espèce caractérisaient un conflit d’intérêt.

L’intérêt de l’argumentation du dirigeant reposait sur le postulat que dès lors que l’action sociale n’était pas dirigée contre ses prédécesseurs, le dirigeant qu’il était se trouvait par définition en conflit d’intérêt avec la société et que, dans ces conditions, cette dernière ne pouvait pas être représentée autrement que par un mandataire ad hoc.

En première instance comme en appel, la fin de non-recevoir fut rejetée.

La cour d’appel motiva sa décision comme suit : « si l’action ut singuli exige, en raison de sa nature sociale, la mise en cause régulière de la société par l’intermédiaire de son représentant légal, l’absence de désignation d’un mandataire ad hoc ne constitue pas une condition de recevabilité de l’action ».

La cour relève en outre que le dirigeant mis en cause ne formait aucune demande à l’encontre de la société et qu’il ne sollicitait pas lui-même la désignation d’un mandataire.

La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel et procède à cette occasion une véritable réécriture de l’article R 223-32 du Code de commerce.

Elle décide qu’en cas de conflit d’intérêt, le juge doit (même d’office) désigner un mandataire ad hoc, étant pourtant rappelé que l’article R 233-32 dispose que le juge peut désigner un mandataire ad hoc.

De la faculté laissée au juge, on passe à une obligation pour celui-ci, sanctionnée par l’irrecevabilité de l’action.

En outre, et c’est sans doute là l’apport essentiel de l’arrêt, le conflit d’intérêt est caractérisé dès lors que le dirigeant est assigné tant à titre personnel qu’en sa qualité de représentant de la société.

La morale pour les praticiens

La morale de l’histoire est donc la suivante : dès lors que le dirigeant assigné est encore le représentant légal de la société, la désignation d’un mandataire ad hoc s’impose.

S’ils veulent éviter un risque d’irrecevabilité de l’action sociale ut singuli, les praticiens du droit des sociétés devront donc désormais demander la désignation d’un mandataire ad hoc pour mettre en cause valablement la responsabilité du dirigeant en exercice de la société, qu’un conflit d’intérêt ait été factuellement caractérisée ou non.

La portée de la solution dégagée

La décision ici commentée est rendue en matière de SARL. Sa solution ne veut-elle pour autant que pour cette forme de société ?

Selon la doctrine, la solution s’imposerait à tout le moins dans les SA et SAS et, possiblement, dans les autres formes de sociétés (Cf – Droit des sociétés LexisNexis février 2033 n°2 par Jean-François Hamelin).

Il est vrai que les fondements juridiques de la Cour de cassation comme la rédaction de l’attendu de principe sont de nature à faire penser que cette solution pourrait être entendue largement.

En effet, la Cour de cassation se réfère expressément au principe de l’excès de pouvoir qui prévaut, bien sûr, au-delà d’une forme de société spécifique.

Les praticiens sont donc prévenus.

Etienne Rocher, associé, Herald

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[1] Rappelons que l’irrecevabilité ou fin de non-recevoir est définie comme tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix et la chose jugée.


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