Réaction de Bruno Thouzellier à "l'arrêt Moulin" de la CEDH du 23 novembre 2010

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Bruno Thouzellier a rejoint le cabinet SarrauThomasCouderc en octobre 2008, en qualité d’Associé en charge du nouveau département «droit pénal des affaires corporate ». Ancien Président de l’Union Syndicale des Magistrats, Bruno Thouzellier a été membre de la commission Coulon sur la dépénalisation du droit des affaires, de la commission Guinchard et représentant de la France à l’Association Européenne des Magistrats. Bruno Thouzellier, véritable expert du droit pénal des affaires, accompagne désormais au quotidien la clientèle d’entreprises et leurs dirigeants du cabinet SarrauThomasCouderc.

 

Rappel du contexte de l'arrêt de la CEDH

Une avocate  française mise en garde à vue sur demande d’un juge d’instruction dans une affaire de stupéfiants a saisi la CEDH après que ses recours nationaux aient été rejetés. La CEDH a jugé que la garde à vue de cette avocate ne répondait pas aux exigences de l’Article 5 §3 de la Convention en ce que les magistrats du Parquet qui contrôlent la garde à vue, du fait de leur statut, ne remplissent pas l’exigence d’indépendance à l’égard de l’exécutif.

Votre réaction ?


On sentait que depuis l’arrêt Medvedyev la CEDH allait se prononcer par une décision de principe sur le statut du Parquet français. C’est chose faite. Les conséquences risquent d’être lourdes sur le fonctionnement de la justice pénale en France. La première est d’ores et déjà que toute garde à vue peut être contestée devant un tribunal correctionnel pour avoir été contrôlée par une autorité non judiciaire. Lorsqu’on sait qu’il y a eu près de 800 000 gardes à vue en 2009, on imagine les conséquences sur le fonctionnement de la justice pénale mais aussi des enquêtes policières. La garde à vue va se trouver dans une « zone de non droit » jusqu’à ce qu’une réforme intervienne.

L'affaire Woerth-Bettencourt a-t-elle pesé sur l'arrêt de la CEDH ?

Ce n’est pas certain. Mais le débat polémique sur le rôle du Parquet dans cette affaire n’a pu que conforter l’analyse que portent les juges de la CEDH sur le statut du ministère public français très clairement considéré comme une émanation des autorités gouvernementales.

Garde à vue : concrètement, comment le fait que le procureur décide d'une prolongation nuit-il aux libertés fondamentales du prévenu ?

La CEDH considère qu’un procureur, rattaché hiérarchiquement au ministre de la justice, ne peut être neutre dans son contrôle de la garde à vue. Cela sous-entend qu’il va  prendre une décision favorable aux enquêteurs au détriment de la présomption d’innocence du gardé à vue. Personnellement, je ne partage pas ce point de vue car les procureurs français sont des magistrats et non des fonctionnaires de l’action publique. Mais la suspicion sur leur indépendance fragilise à l’extrême leur légitimité judiciaire.

Arrêt de la CEDH : est-il judicieux de remettre à plat l'indépendance du parquet dès maintenant (à l'occasion de la révision de la garde à vue), ou d'attendre la réforme du procès pénal ?

Tout est lié dans cette affaire. Puisque la CEDH s’arroge le droit de déclarer que les procureurs français ne sont pas indépendants, il ne peut plus y avoir de garde à vue contrôlée par le Parquet sauf à réformer son statut pour en faire une autorité judiciaire au sens de la CEDH. Cela implique de modifier leur mode de nomination (avis conforme du Conseil Supérieur de la Magistrature) et peut être aussi de couper leur lien hiérarchique avec le gouvernement.

Rôle du parquet au quotidien : que nous montrent les grandes affaires en cours ? L'agitation du corps judiciaire est-elle légitime ?


Beaucoup de polémiques sur fond de luttes politiques. La justice quotidienne ne reflète pas cette agitation médiatico-judiciaire qui peut, légitimement, créer une réelle incompréhension chez les magistrats français.

Evolution du statut du parquet : le gouvernement va-t-il devoir prendre en compte l'avis de la CEDH ? Le Conseil Constitutionnel va-t-il devoir être saisi sur la question pour faire bouger la ligne de l'Elysée ?


Le gouvernement va devoir soit réformer le statut du Parquet, soit confier à des juges du siège le contrôle des garde à vue. Le conseil constitutionnel s’est déjà prononcé sur cette question et à donné au gouvernement jusqu’à l’été pour réformer.


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