Une ordonnance du 30 mai 2014 instaure des nouvelles mesures d'encadrement du crowdfunding.
Le crowdfunding, ou « financement participatif », a donné lieu par une ordonnance du 30 mai 2014 à l’instauration de mesures d’encadrement qui n’existaient pas auparavant dans un marché où les acteurs devaient appliquer les règles existantes, souvent inadaptées. Cette ordonnance s’appliquera progressivement à compter du 1er octobre 2014, les décrets d’application correspondants étant prévus dès juillet 2014.
Le crowdfunding se définit comme un "moyen de récolter des fonds auprès d’un large public en vue de financer un projet artistique (musique, édition, film) ou entrepreneurial, le plus souvent via Internet" (1). Ce mode de financement implique une forte dimension affective et fait souvent appel dans un premier temps au cercle familial et amical. Apparu dans les années 2000 et arrivé en France en 2007, le crowdfunding a connu un vif succès dans le monde entier avec près de 2,7 milliards de dollars levés en 2012 (2), dont 59 % aux Etats-Unis, tandis que 735 millions d’euros ont été recueillis en Europe en 2012 (3) et 78,3 millions d’euros en France en 2013 (4).
Il existe trois formes de crowdfunding : des dons pouvant donner lieu à des contreparties diverses (crowdfunding sponsoring), des prêts à titre gratuit ou rémunéré (crowdfunding lending) et des souscriptions de titres (crowdfunding equity).
L’ordonnance du 30 mai 2014 intervient en France alors que la législation communautaire sur le crowdfunding est à l’état d’ébauche et que les Etats-Unis ont déjà légiféré depuis 2012 avec le Jumpstart Our Business Startups, dit "JOBS Act", qui a allégé les contraintes liées à l’offre au public de titres financiers. L’ordonnance vient combler une absence de règles adaptées (I) en tenant compte des particularités du financement participatif (II).
I. Avant l’ordonnance du 30 mai 2014 : des plates-formes soumises à des règles inadaptées et contournées
Jusqu’à l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 30 mai 2014, soit le 1er octobre 2014, les professionnels du crowdfunding doivent, selon la nature de l’activité, s’inscrire dans un statut bancaire ou financier qui leur impose des règles inadaptées à leur activité. Les normes de droit bancaire et financier, visant notamment les établissements prêteurs, l’activité de conseil en investissement financier ou celle de prestataire de services d’investissement les contraignent à des obligations lourdes et inutiles.
Le crowdfunding sponsoring correspond à l’activité d’un "intermédiaire financier qui réalise des encaissements pour le compte de tiers" (5). Les plates-formes doivent donc se voir délivrer un agrément d’établissement de paiement par l’Autorité de Contrôle Prudentiel, sauf si les contreparties des dons ou prêts sont limitées et définies. A défaut, il convient de confier l’activité d’encaissement à un prestataire de services de paiement.
S’agissant du crowdfunding lending, le monopole bancaire interdit à toute personne d’accorder des prêts rémunérés à titre habituel, si bien que ce mode d’exercice n’est que peu pratiqué. Seuls les prêts à titre gratuit ou consentis par des organismes sans but lucratif échappent à cette réglementation et l’on peut assimiler aux prêts à titre gratuit les prêts qui offrent une perspective d’avantages en nature ou de faible valeur destinés à promouvoir le projet (CD, DVD, places de spectacles, …). Par ailleurs, les plates-formes, pour pouvoir effectuer la mise en relation entre les prêteurs et les emprunteurs, doivent conclure un mandat d’intermédiation en opérations de banque et en services de paiement avec un établissement agréé.
S’agissant enfin du crowdfunding equity, les plates-formes doivent, selon leur activité, être agréées en tant que prestataire de services de paiement, d’agent lié et/ou de conseiller en investissement financier. Elles sont également soumises à l’obligation de rédaction d’un prospectus informatif pour les offres de titres financiers à destination du public, soumis au visa de l’Autorité des Marchés Financiers. Des exemptions liées au montant des sommes récoltées permettent dans certains cas d’échapper à l’obligation de rédaction d’un prospectus. Or, dans la pratique, les acteurs du marché cherchent à s’inscrire dans ces exemptions, ce qui mène à favoriser des projets de moindre envergure.
II. L’encadrement du crowdfunding par l’ordonnance du 30 mai 2014 : la création de deux nouveaux statuts juridiques et l’introduction d’une dérogation au monopole bancaire
La réforme visera surtout à réglementer les activités de crowdfunding lending et de crowdfunding equity.
Le Conseiller en Investissement Participatif (CIP) désignera désormais les plates-formes qui permettent, via la fourniture d’un conseil en investissement, la collecte de fonds en vue de la souscription de titres (crowdfunding equity) pour les Sociétés par Actions Simplifiées (art. 1). Le CIP sera soumis à une obligation d’immatriculation, à des règles de bonne conduite dans la présentation des risques aux utilisateurs, s’apparentant à un devoir de mise en garde, à des conditions d’accès et d’exercice (art. 1), à une obligation d’adhésion à une association chargée du suivi de ses membres (art. 9) ainsi que, plus globalement, au contrôle de l’AMF (art. 8). Une exemption à l’obligation de publication d’un prospectus sera par ailleurs introduite, désignant spécifiquement les plates-formes proposant du crowdfunding equity (art. 11).
Un statut d’Intermédiaire en Financement Participatif (IFP) sera également créé afin d’encadrer le crowdfunding lending. L’"Intermédiation en financement participatif consiste à mettre en relation, au moyen d’un site internet, les porteurs d’un projet déterminé et les personnes finançant ce projet" (art. 17). La délivrance du statut d’IFP sera soumise au respect de règles de transparence, de bonne conduite et d’organisation ainsi que d’information aux prêteurs des risques encourus (art. 17). Par ailleurs, un régime plus souple que celui d’intermédiaire en opérations de banque et services de paiement sera créé, avec une obligation réduite de constitution d’un capital minimum ainsi qu’une dispense des règles de possession de fonds propres et de contrôle interne.
Les CIP et IFP devront également souscrire un contrat d’assurance couvrant les conséquences pécuniaires de leur responsabilité civile professionnelle avant le 1er juillet 2016.
On notera que les plates-formes de crowdfunding sponsoring pourront, si elles le souhaitent, opter pour le statut d’IFP (art. 17).
L’ordonnance introduit également une dérogation au monopole bancaire en permettant aux particuliers de consentir des prêts rémunérés aux porteurs de projets, à la seule condition d’avoir été mis en relation avec ce porteur par le biais de l’IFP (art. 15). Un décret d’application devrait plafonner le montant de ces prêts à 1.000 euros (6) par projet et en fixer les modalités, dont notamment la durée maximale du prêt. Cette limite par projet sera peut-être insuffisante pour empêcher certains particuliers de prêter au-delà de leur capacité financière. Il faudra compter pour cela sur le seul bon sens et la prudence des investisseurs, difficiles à garantir face à une finance qualifiée d’émotionnelle plutôt que de rationnelle (7).
Conclusion
Il se pourrait désormais que la sécurisation des opérations, doublée du dynamisme et de la rapidité des opérations de crowdfunding, attire vers les plates-formes des investisseurs qui s’adressaient jusque-là aux banques. Le crowdfunding prône en effet la facilité de financer un projet en faisant appel à un public très large et ceci sans être soumis à certaines contraintes inadaptées imposées par la réglementation bancaire. La réforme intervenue par l’ordonnance du 30 mai 2014 pourrait donc constituer un vecteur vers un nouveau marché.
Il n’en demeure pas moins qu’un des acteurs du financement participatif reste à l’abri des règles introduites par l’ordonnance : le porteur de projet. En effet, dans le cas où l’objectif de récolte est atteint, il n’existe toujours aucune garantie, en dehors de celles prévues par le droit commun, quant à la réalisation effective du projet financé. Il aurait été judicieux de soumettre le porteur de projet à certaines contraintes ou sanctions liées à la réalisation du projet. Cet absence, ou oubli, est regrettable, ceci d’autant plus qu’un tel encadrement aurait constitué une protection pour les investisseurs.
Audrey Benois et Géraldine Brasier Porterie, Avocats, Stehlin & Associés avec la participation d’Auriane Siegwart
NOTES
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1- Guides AMF du 14 mai 2013 à destination du grand public ainsi que des plates-formes et porteurs de projets.
2- http://www.crowdsourcing.org/editorial/2013cf-the-crowdfunding-industry-report/25107
3- http://ec.europa.eu/internal_market/finances/docs/crowdfunding/140327-communication_fr.pdf
4- La foule au secours du Financement, Droit et Patrimoine, 2014, 235 – Association du Financement Participatif (Baromètre)
5- Guide AMF du 14 mai 2013 à destination des plates formes et porteurs de projets
6- La foule au secours du Financement, Droit et Patrimoine, 2014, 235
7- http://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-98939-crowdfunding-finance-emotionnelle-ou-rationnelle-1006967.php