Le Conseil d’Etat propose de mieux encadrer les états d’urgence

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La section du rapport et des études du Conseil d’Etat a dévoilé, le 29 novembre 2021, son étude annuelle consacrée aux états d’urgence intitulée « Les états d’urgence : la démocratie sous contrainte ». La haute juridiction administrative propose une nouvelle grille de lecture et d’emploi de ce régime d’exception à travers 15 propositions.

Des situations, un outil d’exception

L’étude reflète les problématiques ressorties à plusieurs reprises lors des trois dernières années. De novembre 2015 à mars 2020, la France passe d’un état d’urgence antiterroriste à un état d’urgence sanitaire. « Péril imminent », « catastrophe » ou « calamité » : si le Conseil d’Etat tente, dans son rapport, de rappeler le processus de mise en place d’un tel mécanisme, en droit comme en fait, il a notamment pu dresser un diagnostic poussé des pathologies rencontrées au fil du temps, au nom de l’Etat de droit et de la démocratie.

Tirer un enseignement de ces états d’urgence

Si le rapport constate que nombreux sont les justiciables qui ont usité de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) ainsi que du référé-liberté pour dénoncer des mesures considérées comme abusives ou des mesures d’exception incorporées dans le droit commun, il précise toutefois que cet état d’urgence « est utilisé depuis toujours par les démocraties pour s’armer temporairement en vue de mieux lutter contre une crise majeure ».

Il reste néanmoins une panoplie d’interrogations relatives à la gestion progressive d’un tel mécanisme c’est à dire la question de son usage prolongé, à la sortie de cet état d’urgence alors que la menace est persistante mais aussi à toute la question de la déstabilisation des institutions, à la banalisation du risque, à la cohésion sociale, etc.

Un régime à consolider

La Haute juridiction administrative estime à ce titre que l’utilisation de l’état d’urgence peut être « un outil efficace aux effets négatifs croissants » si un tableau des risques et des avantages n’est pas dressé avant sa prochaine utilisation. Dès lors, les enjeux essentiels sont étayés : esquisser des limites à ne pas franchir et garantir de solides garde-fous procéduraux et des contre-pouvoirs effectifs.  

C’est pourquoi la section du rapport et des études du Conseil d’Etat a élaboré 15 propositions, sur la base de multiples consultations et d’analyses, visant à améliorer les conditions de mise en œuvre de l’état d’urgence en France. Ces propositions sont réparties en 3 axes et visent à :

  • Mieux définir et circonscrire les états d’urgence
  • Mieux organiser la puissance publique
  • Adapter les contrôles aux enjeux spécifiques des états d’urgence

Des solutions concrètes pour l’avenir ?

Les propositions incluses dans ce premier axe permettraient somme toute d’adapter un cadre global, juridique et opérationnel à ce mécanisme ainsi qu’à sortir de cet amalgame régulièrement pris pour cible entre « état d’urgence » et « gestion de crise ».

Le deuxième point fait état des faiblesses révélées lors des deux dernières mises en œuvre du processus de l’état d’urgence. Entre insuffisance de capacité d’anticipation, inadéquation des structures de pilotage interministériel et émiettement des compétences, l’étude propose de confier au Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale les compétences et moyens qui lui permettraient de piloter la gestion de crise. A cela est démontrée la volonté de clarifier les responsabilités et l’articulation entre l’Etat et les collectivités territoriales, et ce, par le biais de schémas d’interventions pour chaque grand type de crise.  

Enfin, le rapport propose un rééquilibrage des pouvoirs de l’exécutif en matière de police administrative par l’instauration de contrôles parlementaires et juridictionnels. A l’heure où l’article 16 et l’état de siège demeurent explicitement mentionnés et encadrés par la Constitution française, l’étude préconise l’inscription du cadre de mise en œuvre des états d’urgence au sein même de ce texte fondamental : modalités de déclenchement, de prorogation, de contrôle de constitutionnalité. D’autre part, le rapport prévoit un encadrement de la possibilité de légiférer par ordonnance pour mettre fin au phénomène d’inflation normative. Une place plus importante devrait, selon cette analyse, être octroyée au Parlement, afin qu’il exerce un contrôle renforcé des mesures qu’il estimera importantes. Les prérogatives attribuées aux commissions d’enquête devraient être attribuées à une commission permanente de chaque assemblée parlementaire, pendant la durée de l’état d’urgence, de même qu’il devrait être activé un comité de liaison entre le Conseil d’Etat et la Cour de cassation dès l’enclenchement de l’état d’urgence, ce qui permettrait ainsi d’examiner les questions de droit susceptibles de justifier un « regard croisé » des deux ordres de juridiction. 

Léa Verdure