Nicolas Guérin (Cercle Montesquieu) : "Nous avons un combat à mener pour enfin parvenir à l’unification des professions du droit en France"

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Nicolas Guérin, Président du Cercle MontesquieuLe Monde du Droit a interrogé Nicolas Guérin suite à son élection à la présidence du Cercle Montesquieu.

Quelle est votre réaction suite à votre élection à la tête du Cercle Montesquieu ?

Je ne vous cache pas que j’ai d’abord ressenti une certaine fierté pour la confiance dont mes pairs ont fait preuve à mon égard en me désignant. J’ai choisi le métier de juriste il y a bien longtemps. Après avoir commencé des études de mathématiques, j’ai en effet décidé de me réorienter vers le droit. Diplômé d’un DESS en droit des affaires et fiscalité et de l’Institut de droit des affaires de Paris II, j’ai, à la différence de la plupart de mes camarades de promotion, persisté dans ce choix d’une carrière dans l’entreprise plutôt que vers la profession d’avocat libéral. Mais j’étais loin de m’imaginer à l’époque que j’allais devenir directeur juridique d’un grand groupe international et encore moins être élu quelques années plus tard Président du prestigieux Cercle Montesquieu. Cette désignation est un honneur, mais aussi une grande responsabilité. Un honneur, parce que la renommée de cette association est évidente et qu’elle a su ces dernières années prendre de plus en plus de poids dans le monde du droit. Mais aussi une très grande responsabilité, il me faut faire aussi bien que mes 7 prédécesseurs et me montrer digne de Denis Musson qui ces trois dernières années a fait un travail considérable pour développer le Cercle et promouvoir la profession.

Quels sont les axes de votre mandature ?

Le travail extraordinaire mené par Denis Musson ces dernières années me permet tout d’abord de m’appuyer sur de solides bases : 330 membres dont 55 nouveaux membres en 2015, 11 commissions réunissant les membres autour de thèmes variés : Affaires internationales, CAC40, DJ au féminin, Finance et Bourse, Gouvernance et Ethique, Industrie et commerce, Management des DJ, Santé, Justice Economique ou encore Employabilité. Le Cercle est également doté d’une solide gouvernance avec trois vices présidentes, Anne-Sophie Le Lay (directrice juridique de Renault), Béatrice Bihr (directrice juridique de Teva) et Bénédicte Wautelet (directrice juridique du Figaro), un secrétaire général en la personne de Martial Houlle (directeur juridique de Direct-Energie) et d’un conseil d’administration composé de 21 membres dont certains vont se voir doter de véritables portefeuilles leur permettant d’agir au nom et pour le compte du Cercle Montesquieu. Je souhaite également créer un comité des Présidents qui pourront par leur expérience à la tête du Cercle Montesquieu m’apporter leur expertise dans cette mandature.

Ces bases et ce fonctionnement dont la collégialité sera augmentée, vont me permettre de renforcer les actions et contributions du Cercle sur les sujets de place. L’idée très simple est de réunir les directeurs juridiques, les universitaires, les associations, les avocats et tous les professionnels du droit autour de thématiques de fond, comme par exemple, la réforme du droit social, l’évolution de la justice, le numérique, et de proposer une vision commune à tous ces usagers du droit qui soit de nature à faire progresser la qualité et l’efficacité du droit en France.

Il nous faudra également nous ouvrir à l’international car nos métiers sont, d’ores et déjà, très internationaux. Les initiatives en la matière ont été nombreuses ces deniers mois : Paris Place du droit, action de solidarité avec nos collègues juristes syriens, conférence sur le Traité transatlantique… . Il faudra poursuivre ces efforts et envisager, le cas échéant, d’ouvrir à l’étranger des antennes du Cercle Montesquieu pour nos membres qui y disposent d’implantations.
Je souhaite également que le Cercle par ses actions puisse contribuer à l’unification de notre profession. Cela passe nécessairement par un renforcement des relations et des échanges avec les autres associations de juristes nationales ou internationales. Ces derniers mois ont été l’occasion de nombreux travaux communs avec l’AFJE dont je salue, ici, la Présidente Stéphanie Fougou. Nous devons poursuivre ce mouvement.

Nous avons d‘ailleurs un combat commun à mener pour enfin parvenir à l’unification des professions du droit en France.

Que pensez-vous des dernières discussions sur l'avocat en entreprise ?

J’imagine que vous faites référence au dernier rapport présenté lors de l’assemblée générale du CNB en mars dernier. Je regrette tout d’abord que le CNB n’ait pas consulté les entreprises et leur direction juridique avant de proposer ce statut d’avocat libéral en entreprise. Si les entreprises développent depuis des années en leur sein des directions juridiques, c’est sans doute parce qu’elles apprécient la qualité des prestations proposées et l’adéquation de ces prestations avec leurs besoins au quotidien. Ces juristes, ces « business partners », ces « tiers inclus » comme on se plait à les définir sont efficaces justement parce qu’ils font partie de l’entreprise, parce qu’ils y travaillent de manière très étroite avec les « opérationnels » dans l’intérêt et pour l’entreprise. La proposition est faite tout simplement en négation de cette situation, elle crée une fiction, un besoin des entreprises qui n’existe pas. La proposition faite au CNB est par ailleurs surprenante, elle s’appuie sur des motifs qui sont exactement ceux qu’on nous oppose depuis des années pour expliquer qu’il n’est pas possible de reconnaitre aux juristes d’entreprise un statut d’avocat (dépendance à l’égard d’un client unique, capacité à plaider pour le compte de l’entreprise etc.). J’espère qu’un dialogue pourra s’instaurer permettant de revenir à une solution plus proche des réalités et besoins des entreprises pour qu’enfin nous puissions avoir une profession unifiée capable de faire face aux défis, aux dangers, et ils sont nombreux qui nous attendent dans ce grand mouvement de mondialisation de l’économie.

Croyez-vous que le numérique va changer profondément le rôle du Directeur juridique ?

Le rôle et sa valeur sans doute pas, en revanche la manière d’exercer les missions oui. Le directeur juridique est un véritable conseil opérationnel de l’entreprise, sa valeur réside notamment dans son intégration au sein de l’entreprise, dans sa connaissance étroite des métiers et des risques de son groupe et dans la contribution à l’élaboration des stratégies incluant le domaine juridique. Le numérique ne change rien à cela; il est juste un accélérateur de mouvements, il constitue dès lors une formidable opportunité pour les juristes.

Le numérique permet notamment un meilleur accès à l’information externe comme interne, il permet une diffusion au plus grand nombre et de manière quasi instantanée, il propose une multitude de nouveaux outils et de nouveaux usages (forum, chat, réseau sociaux, MOOC, etc.) plus rapides et plus efficaces.

La suppression des distances qu’il permet offre de nouvelles possibilités en termes de gestion des équipes et de management. Elle permet de recruter des collaborateurs avec des contraintes réduites de lieu et de temps (potentiellement meilleur recrutement et optimisation des coûts) avec des profils adéquats (internationaux). Elle permet, aussi, de faire évoluer le management avec un management de projets à distance et la possibilité de faire appel à des collaborateurs ponctuellement sans les déplacer de leur position de travail.

Le management et le pilotage de la fonction s’en trouvent également simplifiés. Il est plus aisé de marketer une offre de service juridique dès lors que l’on dispose de nouveaux outils permettant d’évaluer en temps réel l’impact de la fonction sur l’activité de l’entreprise. Le numérique permet la compilation et le traitement de données qu’elles soient juridiques (Knowledge management et bases contractuelles permettant de capitaliser au cours du temps sur l’expérience et l’expertise de ses équipes où qu’elles se trouvent et de réduire les risques puisque l’on élimine/encadre progressivement les risques identifiés au cours du temps) ou bien chiffrées (nouveau format de reporting qualitatif, adjonction de reporting quantitatif – tableau de bord, time sheet, suivi des risques en temps réel, adaptation des ressources aux besoins, etc.).

La formation qui est au cœur de nos métiers s’en trouve également facilitée avec l’apparition de nouveaux modes de formation plus ludiques et donc potentiellement plus efficaces (film, jeux, etc…) ; avec des formations plus faciles à suivre accessibles tout le temps que l’on peut stopper et recommencer lorsqu’on a un moment de disponible (formation sur des serveurs toujours accessibles) ; mais aussi des formations moins coûteuses (les formateurs ne sont sollicités que pour construire la formation, mais pas pour la dispenser et les formations sont facilement déployées sans coûts d’infrastructures).

Le numérique change enfin la relation au travail et avec quelques précautions peut augmenter la qualité de vie au travail avec par exemple la possibilité de faire du télétravail, de répartir ses heures de travail différemment.

Le numérique est une chance et certainement pas une contrainte.

Propos recueillis par Arnaud Dumourier (@adumourier)


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