Arrêt Viveo : un PSE ne peut être annulé en cas d’absence de motif économique

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Marijke Granier, Viveo & PSE, Associée Cabinet MGG LegalLa Chambre sociale de la Cour de cassation a rendu le 3 mai dernier un arrêt très attendu. Il annule l’arrêt de la Cour d’appel de Paris qui avait conclu à la nullité de la procédure de licenciements collectifs, et donc du PSE (Plan de Sauvegarde de l’Emploi ou "plan social"), en raison de l’absence de cause économique préexistante.

Dans cette affaire, le comité d’entreprise de la société Viveo France, éditeur de logiciels informatiques, contestait un plan social visant 64 des 180 salariés de l'entreprise qui avait été annoncé quelques semaines après son rachat par le groupe suisse Tenemos. Estimant que le projet s’inscrivait uniquement dans une logique de profit, le groupe étant en excellente santé financière dans ce secteur d’activité, le comité entendait bloquer la procédure de licenciement.

En première instance, le comité d’entreprise avait été débouté de sa demande d'annulation du plan social mais la Cour d’appel de Paris lui avait finalement donné raison le 12 mai 2011, en retenant que la procédure de licenciement collectif engagée par la société Viveo France n'était pas fondée sur un motif économique.

Le défaut de motif économique viciait en amont la procédure de licenciement collectif et rendait sans objet la consultation du comité d’entreprise, ce qui devait entraîner l’annulation de la procédure de consultation engagée et « tous ses effets subséquents », PSE compris.

Cet arrêt avait fait grand bruit d’autant qu’il s’inscrivait dans une vague de décisions similaires rendues par les juges du fond dans les affaires Sodimedical (CA Reims, 3 janvier 2012) et Ethicon (TGI Nanterre, 21 octobre 2011).

Jusqu’à ces décisions polémiques, il était pourtant clairement établi que le juge pouvait annuler une procédure de licenciement collectif uniquement en cas d’absence ou d’insuffisance du PSE. En revanche, l’absence de motif économique, contrôlée a posteriori par les juges du fond, ne pouvait qu’entraîner le paiement d’indemnités pour défaut de cause réelle et sérieuse par l’employeur défaillant, mais en aucun cas la nullité de la procédure.

Une clarification par la Cour de cassation était donc très attendue aussi bien par les entreprises, qui redoutaient une validation de l'immixtion du juge dans leur gestion, que du côté des syndicats, qui espéraient ouvrir une brèche sur la question des licenciements « boursiers » en disposant ainsi d’un moyen pour les faire annuler.

Par son arrêt du 3 mai 2012, qui casse la décision de la cour d’appel de Paris, la Chambre Sociale de la Cour de cassation rappelle que l’article L.1235-10 du code du travail ne permet pas d'invalider un plan de licenciement même s'il n'a aucun fondement économique.

Elle souligne que seule l'absence ou l'insuffisance du PSE soumis aux représentants du personnel entraîne la nullité de la procédure de licenciement pour motif économique et que les juges ne peuvent pas annuler un PSE pour défaut de cause économique.

Elle ne fait donc en réalité qu’appliquer strictement le principe "pas de nullité sans texte".

Si la décision de la Cour d’appel avait été validée, tout licenciement jugé dépourvu de motif économique aurait conduit le juge à ordonner la poursuite du contrat de travail ou à prononcer la nullité du licenciement. La nullité du licenciement signifiait ainsi la possibilité pour le juge d’ordonner la réintégration du salarié à la demande de ce dernier ou, si cette réintégration était devenue impossible, le versement au salarié d’une indemnité ne pouvant être inférieure à la rémunération des douze derniers mois.

Cet arrêt de la Cour de cassation réaffirme finalement que les juges du fond ne peuvent s’immiscer dans la gestion de l’entreprise.

S’ils peuvent contrôler la valeur d’un PSE au regard des exigences de la loi (qui peut entrainer l’annulation de la procédure de licenciement et des licenciements eux-mêmes), ils ne peuvent vérifier la cause économique du licenciement qu’a posteriori et ne la sanctionner que par l’octroi de dommages-intérêts au bénéfice du salarié licencié. Il n’est alors plus question de remise des parties en l’état et donc de réintégration ou d’indemnité d’un montant minimum de douze mois de salaire.

Certains interpréteront cette décision, pourtant conforme à la jurisprudence traditionnelle de la Cour de cassation, comme une autorisation pour les employeurs de licencier alors qu’ils ne disposent d’aucun motif valable dès lors que le PSE est généreux et que sont provisionnées les indemnités de licenciements pour cause réelle et sérieuse en cas de contentieux après la notification des licenciements.

En réalité, en droit, seul le législateur pourrait étendre les cas d’annulation des PSE et des licenciements subséquents aux cas où la cause économique du licenciement n’est pas établie. Reste à savoir ce que proposera en la matière le nouveau gouvernement.

 

 

Marijke Granier, Avocat associé, Cabinet MGG Legal