Réseaux sociaux : Entre protection de la vie privée et sanction des utilisateurs

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Emmanuelle BEHR, Associée, RedlinkLa presse s’est faite le relais de la résistance de Twitter face aux demandes de la justice américaine de lui communiquer les détails des tweets et des coordonnées de certains utilisateurs. Twitter se fonde sur les spécificités de la procédure américaine et de la garantie constitutionnelle protégeant la vie privée.

 

 

 

 

1. La frontière entre espace public et espace privé sur les réseaux sociaux


Sur un site internet ouvert à tous, le droit commun s’applique sans distinction et les propos ou les contenus accessibles peuvent faire l’objet de poursuite par exemple sur le fondement du droit de la presse ou du droit d’auteur. Sur un réseau social, la frontière est tenue entre vie publique et vie privée et il est difficile d’anticiper les conséquences judiciaires attachées aux déclarations faites par leurs utilisateurs. Ainsi, une injure raciste n’est pas sanctionnée de la même manière sur un espace public (jusqu’à six mois d’emprisonnement et 22.500 euros d’amende) que sur un espace privé (750 euros d’amende).

Les premières jurisprudences françaises sur les sanctions à attacher aux contenus postés sur les réseaux sociaux ont été rendues dans le cadre des relations de travail. Il s’agissait plus particulièrement de savoir si les propos d’un salarié sur son entreprise ou sa hiérarchie pouvaient motiver un licenciement pour cause réelle et sérieuse. Tandis que le salarié, victime d’une telle mesure, considérait qu’il s’agissait de correspondance privée, l’employeur estimait, pour sa part, que ce comportement constituait un abus de liberté d’expression et que le support de communication qu’est Facebook dépassait la sphère privée.

La jurisprudence des tribunaux français a dégagé un critère permettant de qualifier la correspondance de privée ou de publique en fonction des destinataires potentiels du message. Ainsi, selon la configuration du compte de la personne qui écrit ou sur lequel les propos sont écrits, les messages seront, ou non, accessibles à des personnes indéterminées inconnues de l’auteur. C’est donc le paramétrage du compte et l’accessibilité des messages à des personnes indéterminées qui excluent la qualification de correspondance privée (CPH Boulogne Billancourt 19 novembre 2010, 10/00850 et 10/00853 ; CA Besançon, ch. soc. 15 novembre 2011, n°10-02642).

La preuve de ce critère doit être rapportée, à défaut, la faute de l’auteur ne pourra être caractérisée (CA Rouen, 15 novembre 2011, n°11/01830).

Si ce critère peut effectivement s’avérer utile pour les propos tenus sur Facebook (site à l’origine destiné à une communauté étudiante destinée à réunir ses connaissances directes), la qualification des contenus postés sur Twitter devrait donner lieu à un débat moins fourni. En effet, Twitter est par défaut un espace public où tout un chacun peut avoir accès aux messages des utilisateurs sans même être inscrit, l’idée étant qu’ils soient partagés et repris par une majorité de followers.

2. Comment faire cesser les propos répréhensibles sur les réseaux sociaux


Une fois que la preuve du caractère public du message a été rapportée, encore faut-il pouvoir agir pour le faire supprimer ou solliciter la réparation du préjudice qu’il a causé. En France, la victime peut agir contre l’hébergeur (le réseau social) ou contre l’auteur des propos litigieux.

a. Agir contre le réseau social


La Loi pour la Confiance dans l’Economie Numérique (LCEN) n°2004-575 du 21 juin 2004 distingue la responsabilité des hébergeurs de celle des éditeurs de contenus sur internet. Les hébergeurs ne sont pas responsables des contenus illicites publiés sur leur réseau, sauf si, après en avoir eu connaissance, ils n’ont pas agi promptement pour retirer ces informations ou en rendre l’accès impossible.

Les exploitants de réseaux sociaux sont considérés comme des hébergeurs, dès lors qu’ils ne sont pas l’auteur des propos et contenus publiés sur les sites.

Ainsi, toute personne ayant un intérêt à faire retirer un contenu litigieux peut en notifier le réseau social en respectant la forme et les informations listées à l’article 6.I.3 de la LCEN (Civ. 1., 17 février 2011, n°09-13.202). Si le réseau refuse de retirer le contenu, pour que sa responsabilité soit engagée il faut que « le caractère illicite de l’information dénoncée soit manifeste ou qu’un juge en ait ordonné le retrait » (Cons. const. 10 juin 2004, n°2004-496).

Par ailleurs, l’article 6.I.8° de la LCEN prévoit un mécanisme spécifique permettant de solliciter du juge qu’il ordonne sur requête ou en référé aux hébergeurs, « toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication public en ligne ».

La difficulté viendra de ce que les réseaux sociaux importants ont leur siège aux Etats-Unis et refuseront de se soumettre à une décision des tribunaux français.

b. Agir contre l’auteur des propos


Il est souvent bien plus difficile d’agir contre l’auteur des propos ou contenus litigieux. Il se cache la plupart du temps sous un pseudonyme sans que les destinataires des messages ne puissent l’identifier.

Les réseaux s’opposent par principe à la communication des éléments relatifs à leurs membres et ne s’exécutent que s’ils y sont contraints judiciairement.
Celui qui a un intérêt à trouver l’auteur du contenu litigieux posté sur un réseau social peut alors soutenir une requête sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile autorisant le juge à ordonner une mesure d’instruction in futurum. L’ordonnance ainsi obtenue enjoindra le réseau social en cause de communiquer

En effet, l’article 6-II de la LCEN impose aux hébergeurs et aux fournisseurs d’accès à internet (FAI) la conservation des données de connexion des internautes ayant contribué à la création d’un contenu mis en ligne, pendant une durée d’un an. Le décret n°2011-219 du 25 février 2011 détaille ainsi les données à conserver (notamment l’identifiant de la connexion à l’origine de la communication, l’identifiant utilisé par l’auteur de l’opération, la nature date et heure de l’opération, les adresses de courrier électronique).

Soit ces données permettent d’identifier l’auteur (par exemple l’adresse de courrier électronique utilisée comporte les nom et prénom) soit il sera alors nécessaire de soutenir une nouvelle requête pour solliciter du FAI les coordonnées précises de l’auteur à partir de l’adresse IP fournie par le réseau social.

Dès lors la victime du contenu litigieux pourra agir contre son auteur.

Même si le chemin judiciaire peut paraître long et fastidieux, la France s’est aujourd’hui dotée des moyens utiles et efficaces pour ménager vie privée et ordre public sur les réseaux sociaux.

Emmanuelle BEHR, Associée du Cabinet REDLINK.