Le Commissariat au droit dans les entreprises : vraie mauvaise idée ou fausse bonne idée ?

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Christophe Roquilly, Professeur à l'EDHEC - Directeur du Centre de recherche LegalEdhec

Christophe RoquillyProfesseur à l'EDHEC et Directeur du Centre de recherche LegalEdhec nous livre son point de vue sur le projet de création d'un Commissariat au droit dans les entreprises présenté par le Bâtonnier de Paris, Christiane Féral-Schuhl.

Bien que les déclarations de Madame le Bâtonnier de Paris, Christiane Féral-Schuhl, au journal Les Echos remontent maintenant à plus d'un mois, et qu'elles aient fait l'objet d'un correctif de sa part, l'idée d'un Commissariat au droit dans les entreprises est soit une "fausse bonne idée", soit une "vraie mauvaise idée", et ce pour plusieurs raisons.

Dans un contexte où les grandes entreprises sont dotées de directions juridiques bien organisées et compétentes, dont certaines sont engagées depuis plusieurs années dans des démarches – parfois très sophistiquées - de cartographie des risques juridiques et de compliance, et où il faut constamment veiller à promouvoir le droit et les juristes comme n'étant pas simplement des gestionnaires de contraintes juridiques mais également des participants-clef à la création de valeur, la mise en place d'un nouveau contrôle bureaucratique est inutile et dangereux. Inutile dans la mesure où l'on peut se demander ce que le "contrôle" ou la "certification qualité" d'un avocat, aussi compétent soit-il, pourrait apporter à une entreprise qui peut disposer en matière de management des risques juridiques d'un savoir-faire très avancé. Dangereux, pour l'entreprise qui devrait supporter le coût vraisemblablement exorbitant d'une vérification de l'ensemble de son dispositif de management des risques juridiques. Il ne s'agit pas, en effet, de simplement vérifier que telle ou telle loi est respectée, mais bien de s'assurer qu'il existe un dispositif de management des risques juridiques permettant à l'entreprise de prendre des décisions en connaissance de cause. Dangereux, aussi, pour l'avocat qui pourrait voir sa responsabilité engagée si ce qu'il a certifié ne méritait pas de l'être. D'ailleurs, sur quoi porterait cette "certification" ? Sur l'absence de risques juridiques ? Sur le fait que l'entreprise a mis en place un dispositif suffisant ( ?), efficace ( ?), efficient ( ?) en matière de risques juridiques ? Sur le fait que l'entreprise est "conforme au droit" ? Il faut savoir de quoi il est question...

L'idée a pu être avancée que ce "Commissariat au droit" serait justifié puisqu'il existe bien un "Commissariat aux comptes". L'argument souffre de toute évidence la critique, ou en tout cas mérite d'être nuancé. D'une part, tous les professionnels du chiffre ne sont pas commissaires aux comptes. Il existe un statut spécifique, avec une responsabilité spécifique. Les avocats accepteraient-ils qu'un statut différent soit créé pour les "commissaires au droit", avec un examen préalable, des règles déontologiques différentes, un régime de responsabilité spécifique, un secret professionnel amoindri ? Par ailleurs, penser que les avocats pourraient être, en la matière, formés en "peu de temps" est un leurre. Le management des risques juridiques est une démarche très complexe, par nature non seulement pluridisciplinaire en matière juridique, mais également parce qu'il exige de tenir compte d'éléments financiers, commerciaux, stratégiques, humains, etc. Ou bien le rôle des avocats "Commissaires au droit" se limiterait à vérifier qu'un document de "rapport de management des risques juridiques" existe et qu'il répond à certains critères. Dans une telle hypothèse, a-t-on besoin de professionnels aussi qualifiés que des avocats ?

Quant à limiter ce "Commissariat au droit" aux petites et moyennes entreprises, qui ne sont généralement pas dotées d'une fonction juridique interne, l'idée peut paraitre plus raisonnable. Mais en réalité, ce dont ont besoin ces entreprises, c'est soit de disposer d'une fonction juridique ayant recours autant que nécessaire à des conseils externes (notamment des avocats), soit d'être accompagnées de manière continue par des professionnels du droit (notamment des avocats) qui pourront – en particulier, mais pas uniquement – lui faire des recommandations en matière de gestion des risques juridiques. Si tel n'est pas déjà le cas, alors il faut effectivement promouvoir l'importance du droit – et du recours à des professionnels du droit - auprès des PME. On peut douter qu'une telle promotion puisse passer par la création d'un "Commissariat au droit".

Pour conclure, ce qui parait urgent n'est pas de créer une nouvelle "fonction" ou un "nouveau" métier qui générerait plus de risque qu'il n'en réduirait, mais bien de construire en France une grande profession du Droit de l'entreprise, contribuant à renforcer l'intégration des questions juridiques au plus haut niveau de l'entreprise, et permettant de développer les prestations juridiques au bénéfice de l'ensemble des acteurs de notre économie. Cette construction devra s'accompagner d'une communication forte, avec la pédagogie nécessaire, auprès des PME afin qu'elles voient les professionnels du droit non pas comme une source de coûts supplémentaires, mais comme des partenaires permanents de leur croissance.


Christophe Roquilly

Professeur à l'EDHEC

Directeur du Centre de recherche LegalEdhec