La clause attributive de juridiction potestative

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Ozan Akyurek, Avocat, Jones DayLes conventions de for prévues par la Convention de Bruxelles ont vu leurs conditions de validité s’assouplir au fil du temps et ce, afin de répondre aux besoins du commerce international.

Contrairement à ce qui est prévu en droit français où cette possibilité est réservée aux seuls commerçants, les conditions de validité de clauses prorogeant la compétence territoriale d’une juridiction sous l’empire de la Convention de Bruxelles puis du Règlement CE n° 44/2001 du 22 décembre 2000 demeurent souples.

Toutefois, cette faveur pour la prorogation volontaire de compétence trouve une limite dans la contrariété avec l’objectif dudit Règlement et dans le cas présent, avec le caractère potestatif d’une telle prorogation. C’est en effet ce qui ressort d’un arrêt récent rendu par la Cour de cassation le 26 septembre 2012 sous l’empire du Règlement n° 44/2011.

En l’espèce, une cliente titulaire d’un compte auprès d’une banque luxembourgeoise, ouvert par l’intermédiaire d’une société financière française, estimant que ses fonds faisaient l’objet d’une mauvaise gestion, a assigné la banque ainsi que la société financière en responsabilité devant le juge français.

Afin de contester la compétence des juridictions françaises, la banque s’est alors prévalue d’une clause selon laquelle "les litiges éventuels entre le client et la banque seront soumis à la juridiction exclusive des tribunaux de Luxembourg. La banque se réserve toutefois le droit d’agir au domicile du client ou devant tout autre tribunal compétent à défaut de l’élection de juridiction qui précède".

La Cour d’appel de Paris, qui rejeta l’exception d’incompétence, fut approuvée par la Haute Juridiction qui estima, en effet, que la clause aux termes de laquelle la banque se réservait le droit d’agir au domicile de la cliente ou devant « tout autre tribunal compétent » ne liait, en réalité, que la cliente qui était seule tenue de saisir les tribunaux luxembourgeois et que dès lors « elle revêtait un caractère potestatif à l’égard de la banque de sorte qu’elle était contraire à l’objet et à la finalité de la prorogation de compétence couverte par l’article 23 du Règlement Bruxelles I. »

Avant l’adoption du Règlement CE n°44/2001, la Convention de Bruxelles prévoyait déjà que pour être valable la clause de prorogation de for devait être consentie entre deux parties dont l’une au moins était domiciliée sur le territoire d’un Etat contractant et pouvait désigner n’importe quel tribunal d’un Etat contractant ou encore attribuer une compétence générale aux tribunaux d’un des Etats contractants et ce, sous réserve des règles de compétences exclusives en matière d’assurances et de contrats conclus avec les consommateurs. Ces conditions de validité demeurent toujours d’actualité.

En outre, alors qu’à l’origine la convention de prorogation de for devait résulter d’un écrit, désormais, depuis l’entrée en vigueur du Règlement précité, la convention verbale avec confirmation ainsi que la transmission de l’accord par voie électronique sont également admis.

En tout état de cause, s’agissant de la désignation de la juridiction, les textes et la jurisprudence font preuve d’un grand libéralisme et ce, même dans des cas de désignation imprécise (1)

Ajoutons également que le cas où la clause serait stipulée en faveur d’une seule partie, hypothèse qui doit être rapprochée de celle qui nous retient ici, à savoir la stipulation d’une clause attributive de juridiction potestative, était déjà envisagé par l’article 17 de la Convention de Bruxelles qui lui conférait un caractère facultatif. C’est ainsi que le dernier alinéa de l’article 17 disposait que "si une convention attributive de juridiction n’a été stipulée qu’en faveur de l’une des parties, celle-ci conserve le droit de saisir tout autre tribunal compétent en vertu de la présente convention".

Pour autant, l’article 23 du Règlement Bruxelles I ne reprend pas cette disposition, ce qui ne signifie pas que ce principe est remis en cause : la proposition de Règlement présentée par la Commission ne commente pas cette omission et la doctrine s’accorde à considérer que le nouveau Règlement n’abroge pas cette hypothèse validée par la CJUE (2).

Cette situation doit être rapprochée de celle qui nous intéresse puisqu’il s’agissait, en l’espèce, d’une clause attributive de juridiction à la faveur d’une seule des parties laquelle était tenue de saisir les tribunaux luxembourgeois, l’autre partie demeurant libre de saisir n’importe quelle juridiction compétente.

Au regard de la jurisprudence de la CJUE, une telle clause demeurait valable dans la mesure où celle-ci était nécessairement facultative.

Or, au regard du droit français, une telle clause s’analyse en une clause potestative.

En effet, en droit interne, la potestativité d’une obligation signifie que la naissance ou l’exécution de celle-ci dépend de la seule volonté d’un seul contractant. Ainsi, l’article 1170 du Code Civil définit la condition potestative comme étant "celle qui fait dépendre l’exécution de la convention d’un événement qu’il est au pouvoir de l’une ou l’autre des parties contractantes de faire arriver ou empêcher". L’article 1174 du même Code poursuit en disposant que « toute obligation est nulle lorsqu’elle a été contractée sous une condition potestative de la part de celui qui s’oblige. » Sur ce point, la jurisprudence est venue préciser qu’il s’agissait d’une nullité d’ordre public (3).

Cette prohibition des obligations potestatives s’explique par le dogme en droit contractuel français du rapport d’égalité entre les parties, corollaire d’un autre dogme du droit français qui est celui de la force obligatoire des conventions. En effet, selon ce dernier, tout ce qui est contractuel dit juste. En vertu de ce principe, dès lors que la convention de prorogation de compétence a été acceptée par chacune des parties et ce, même si cette prorogation ne s’effectue qu’au bénéfice de l’une d’entre elles, elle devrait être réputée valable et juste puisque consentie…Un tel raisonnement ne peut être admis en présence d’une obligation potestative puisqu’il conduit à vider de sa substance l’engagement du débiteur et rompt toute égalité entre les parties dans leurs rapports contractuels.

L’arrêt rendu par la Première chambre de la Cour de cassation le 26 septembre 2012 est une nouvelle démonstration de l’application de ces principes. C’est ainsi que la Haute Juridiction admet implicitement le caractère abusif d’une stipulation conférant le bénéfice d’une prorogation de compétence à une seule des deux parties à un contrat. Elle justifie cette solution en affirmant qu’une telle stipulation serait en contrariété avec "l’objet et la finalité" du Règlement. Or, comme nous l’avons vu précédemment, l’esprit du Règlement vise à ce que soit préservée l’effectivité des consentements quand bien même la prorogation de compétence serait à la faveur d’une seule des parties…

En outre et comme parfaitement relevé par un auteur (4), il est assez surprenant qu’en l’espèce la Cour de cassation se livre à une appréciation in abstracto du caractère abusif de la stipulation litigieuse, c'est-à-dire en raison de son existence et de ses modalités. En effet, en matière de clauses abusives, l’appréciation du caractère abusif doit être effectuée in concreto par le juge saisi d’un litige portant sur un contrat déjà conclu, l’appréciation in abstracto étant réservée aux seuls organes saisis d’une demande de suppression de clause dans un type de contrat à savoir le pouvoir réglementaire et la commission des clauses abusives…

Quoi qu’il en soit, que la clause soit privée d’effet du fait de son anéantissement comme le retient les juridictions française ou qu’elle voit seulement sa portée amoindrie par le caractère facultatif inhérent à ce type de clause selon le droit communautaire, le résultat demeure le même, la partie liée par une telle clause retrouve alors sa liberté de saisine à l’instar de la partie favorisée par la possibilité d’un choix discrétionnaire du tribunal amené à trancher le litige. Cela devrait donc conduire en pratique à rendre inutile la stipulation de toute prorogation de compétence à la faveur d’une seule des parties.

 

(1) CJUE, 9 nov. 2000, aff. C-387/98, Corek Maritime GmbH c/ Handelsveem BV et a., Rec. CJCE 2000, I, p. 9337 : dans cette affaire la clause insérée attribuait compétence aux juridictions du « pays du lieu du principal établissement du transporteur » ; la CJUE, se fondant sur le principe de l’autonomie de la volonté des parties (pt 14), a posé en principe que l’article 17 n’exige pas, pour la validité de la clause, qu’il soit possible d’identifier la juridiction compétente par son seul libellé.
(2) CJCE, 24 juin 1986, aff. 22/85, Rudof Anterist c/ Crédit Lyonnais
(3) Cass. Soc. 9 juillet 1996, Bull. civ. V, n° 269
(4) Etienne Cornut, JCP G, n° 41 du 8 octobre 2012, p. 1815


Ozan Akyurek
Cabinet Jones Day
Avocat au barreau de Paris