Parentalités tardives, où se situe l'intérêt de l'enfant ?

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Elisabeth Deflers - Avocate - Péchenard et AssociésChronique d’Elisabeth Deflers, Associée au cabinet Péchenard et Associés au Département Droit de la Famille et du Patrimoine.

  • A l’âge où elles devraient être grands-mères (peut-être le sont-elles d’ailleurs déjà), certaines femmes n’hésitent pas à recourir à la médecine procréative pour devenir mère à 62, 67 voire 70 ans...
  • Des faits divers ont défrayé la chronique et trouvent pour la plupart leur origine dans des dons d’ovocytes et des fécondations in vitro pratiquées à l’étranger par des médecins prêts à être complices de tous les excès. Les françaises qui ont eu recours à cette méthode ont évidemment la possibilité de venir accoucher en France et d’y être normalement prises en charge par les organismes sociaux.
  • Sans conteste salutaire et miraculeuse, l’assistance médicale à la procréation est cependant depuis plusieurs années volontiers provocatrice à l’égard du droit et de l’éthique, l’éthique étant mal définie et le droit n’étant pas suffisamment clair pour répondre à l’attente énorme que ces progrès scientifiques font naître dans l’esprit des femmes.

La loi française définit l’assistance médicale à la procréation comme étant destinée à répondre à la demande parentale d’un couple. Elle a pour objet de remédier à l’infertilité dont le caractère pathologique a été médicalement diagnostiqué, l’homme et la femme formant le couple doivent être vivants et en âge de procréer (article L 2141-2 du Code de la santé publique). Ce qui pose problème dans cette définition ce n’est ni la notion de projet parental, ni même celle d’infertilité pathologique, mais bien la notion d’hommes et de femmes en âge de procréer.
Etre en âge de procréer, ce n’est pas un âge. Chez les femmes la ménopause intervient entre 42 et 60 ans. Quant aux hommes ils demeurent, semble-t-il, très longtemps en âge de procréer.

La loi ne distingue pas entre les hommes et les femmes pour déterminer l’âge de procréer, il ne s’agit donc pas d’un âge technique mais bien d’un âge « social ». L’âge social qui permettrait de procréer devrait être l’âge qui permet de mener l’enfant à l’âge adulte. L’espérance de vie des hommes, comme celle des femmes, a beaucoup augmenté et, dans le même temps, l’âge moyen de la première maternité en France, comme dans la plupart des autres pays européens, est en constante augmentation.

La première maternité en France se situe en moyenne après 28 ans. Elle était de 24 ans en 1970. La fécondité des 35-39 ans et celle des 40-44 s’est également élevée. A 50 ans la moitié seulement des femmes sont ménopausées, ce qui les maintient biologiquement en âge de procréer. Le modèle familial ordinaire a donc tendance à vieillir parce que la nature s’adapte aux modes de vie moderne et aux modifications sociales.

Les familles recomposées incitent à concevoir des enfants plus tardivement, et une femme et un homme de 50 ans peuvent raisonnablement penser qu’ils ont devant eux un temps suffisant pour élever un enfant et que, par conséquent, la cinquantaine des parents n’est pas contraire à l’intérêt de l’enfant qui sera accompagné jusqu’à l’âge adulte par des parents, fussent-ils plus âgés que la moyenne.
Cependant les excès ne sont pas exempts de risques :

  • risques pour la santé de la mère et de l’enfant qui sont liés à l’âge de la mère ;
  • risques de fausses couches (12 % à 25 ans - 20 % à 37 ans - 30 % à 43 ans - l’augmentation au-delà étant extrêmement rapide) ;
  • risques d’anomalies chromosomiques de l’enfant qui s’accroît avec l’âge de la mère ;
  • complications durant la grossesse liées à l’hypertension ou au diabète.

Les chances de succès de l’assistance médicale à la procréation (AMP) diminuent considérablement avec l’âge des patientes et il faut évidemment tenir compte de cet aspect technique pour ne pas alimenter vainement l’espoir des patientes et pour ne pas générer des coûts disproportionnés et sans intérêt. Le taux d’obtention d’une grossesse conduisant à une naissance vivante par le moyen de l’AMP est d’environ :

  • 30 % entre 30 et 35 ans
  • 20 % à 40 ans
  • 15 % à 44 ans
  • il passe à moins de 10 % dès 45 ans.
  • on considère qu’il est nul ou quasiment nul dès 47-48 ans.

Actuellement, la loi ne donne pas de limite et transfère donc aux médecins la responsabilité de faire ou de ne pas faire une AMP. La seule règle existante est celle de la Sécurité Sociale qui ne rembourse pas les tentatives d’AMP au-delà du 43ème anniversaire. Cela dit, si l’on en a les moyens, il n’est pas interdit de continuer. La discrimination par l’argent n’est évidemment pas satisfaisante.

Actuellement, ce sont les médecins qui décident, ils le font en leur âme et conscience mais peinent à imposer leurs décisions, et ce d’autant plus que les règles différent d’un pays à l’autre et parfois d’une équipe médicale à une autre. Il paraît donc nécessaire de légiférer pour offrir aux demandeurs à l’AMP une plus grande lisibilité et fixer des limites.

La limite doit-elle être la même pour les hommes et les femmes ? Si la limite est différente, quel doit être le fondement de cette disparité ? Doit-on s’appuyer sur la réglementation actuelle de la Sécurité Sociale ? Plus la limite sera restrictive plus on verra se développer le tourisme procréatif vers des pays permissifs et avec lui la discrimination financière et les dérives extrêmes évoquées précédemment. Pour élargir l’accès à l’AMP et fixer un âge limite, il est souhaitable de se préoccuper de l’intérêt de l’enfant.

Est-il de l’intérêt de l’enfant de naître avec des parents plus âgés que la moyenne, et jusqu’à quel point ?

L’intérêt de l’enfant est une préoccupation centrale des législations étrangères, ainsi par exemple la loi fédérale suisse du 18 décembre 1998 sur l’âge de la procréation médicalement assistée, précise que les parents, eu égard notamment à leur âge, doivent, pour accéder à l’AMP, paraître « être à même d’élever l’enfant jusqu’à sa majorité » (article 3). Si le critère n’est guère plus précis que le nôtre, il propose un éclairage précieux sur la notion d’intérêt de l’enfant qui consiste dans la probabilité, pour les parents, de s’occuper de l’enfant à venir jusqu’à l’âge adulte. C’est cette idée qui peut expliquer le refus social de la parentalité tardive.

Certes, même dans le cadre de la procréation « naturelle », un enfant n’est jamais à l’abri de perdre ses parents prématurément, mais puisqu’une limite est ici nécessaire, il semble qu’elle puisse trouver son fondement et sa justification, au-delà des considérations purement médicales, dans l’intérêt de l’enfant. Une loi impliquerait évidemment d’interférer dans les choix du couple et n’exclurait, malgré tout, pas totalement le tourisme procréatif, mais elle permettrait une information fiable des patientes et une plus grande prévisibilité qui constituerait pour elle une aide précieuse.

Il n’est pas raisonnable de faire porter la totale responsabilité d’utiliser ou non une AMP sur le seul médecin en se limitant à parler des risques pour la femme, et des dangers pour l’enfant, sans rechercher efficacement quel doit être dans nos sociétés modernes l’âge maximum de la procréation, au moins lorsque celle-ci doit être techniquement assistée - 45 ans, 50 ans - ?

Il appartient au législateur de déterminer l’âge maximum du recours à l’AMP, précision étant donnée qu’en cas de légalisation de la gestation pour autrui, cet âge purement social pourrait encore être augmenté.

Elisabeth DEFLERS, Avocat à la Cour et Associée au cabinet Péchenard&associés, département Droit de la Famille et du Patrimoine.

Julie CUKROWICZ, Elève avocat, département Droit de la Famille et du Patrimoine.


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