Le Monde du Droit a interrogé Jérémie Mani, Président de Netino, entrepreneur dans le web depuis 10 ans, pour qui la réponse juridique n'est pas la seule solution face à la recrudescence de propos haineux sur les réseaux sociaux.
Bonjour Jérémie Mani, à la suite des attentats qui ont touché la France en janvier dernier, le gouvernement a annoncé une surveillance renforcée d'internet. Y-a-t-il des risques d'atteinte aux libertés ?
Bonjour Arnaud,
Effectivement, on entend ça et là des personnes qui craignent cette éventuelle restriction de liberté. C’est d’ailleurs relayé dans les médias.
Pourtant, en lisant les commentaires d'internautes, j'ai quand même l'impression, qu'il y a beaucoup plus de gens prêts à accepter des contrôles (car ils n'ont sans doute pas à avoir peur) que de personnes craignant d'être contrôlées par les autorités. Et une grande majorité de gens que ce débat ne passionnent pas.
Il faut noter que le gouvernement a publié, dès décembre 2014 (donc avant les attentats), un décret d’application de l’article 20 de la loi de programmation militaire. Ce texte donne aux services de l’État un large accès aux appels téléphoniques, SMS, échanges Internet des Français. L’État a depuis un moment déjà la possibilité de surveiller Internet, sans contrepouvoir si ce n’est une commission sans réel pouvoir, la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS).
S'agissant des réseaux sociaux, on a assisté à un déferlement de propos haineux. Des procédures ont été engagées pour "incitation à la haine, à la haine raciale et à la violence" ou encore pour "apologie de terrorisme avec des condamnations". La réponse juridique est-elle la seule solution à ce type de propos ?
Clairement, la réponse est non ! Ce n'est pas la seule solution. On peut par exemple citer le contre-discours et l'organisation de celui-ci en essayant d'amener des débats, de placer les gens tenant des propos haineux devant les limites de leurs argumentations. La plupart n'ont jamais eu de contre-débattant en face d'eux pour pouvoir réfuter leurs préjugés racistes ou antisémites.
Néanmoins, on constate qu'il y a très peu de condamnations suite à de tels propos. Ce n’incite pas les internautes à la retenue.
A titre personnel, je suis convaincu que s'il y avait plus de condamnations, le nombre de propos illégaux écrits sur la Toile chuterait fortement.
On ne peut pas les empêcher de penser à mal, par contre, si on peut éviter qu'ils clament cette pensée haut et fort sur les réseaux sociaux comme c'est le cas aujourd'hui, on aura gagné en sérénité au sein des débats.
Les réseaux sociaux ne sont pas une zone de "non-droit" comme certains l'imaginent, quelles sont les bonnes pratiques à observer pour les entreprises ?
En ouvrant un espace d'échange sur internet ou sur les réseaux sociaux, il faut être prêt au dialogue, prêt à échanger avec les internautes.
Il faut cependant rester conscient qu'un certain nombre de personnes ne rejoindront pas cette logique, mais se serviront juste de votre audience - notamment si elle est forte - pour véhiculer leur propre thèse nauséabonde.
A ce moment-là, j'incite fortement les marques et les médias à conserver une certaine autorité, en retirant certains propos et en bannissant toutes personnes qui ne viendraient pas dans cette logique de dialogue constructif.
Aujourd'hui on entend assez souvent des marques qui auraient peur de retirer des propos en disant "on va nous accuser de censure".
Certain internautes se plaignent, il est vrai, de "censures", mais ils sont beaucoup moins nombreux que les Internautes se plaignant de propos agressifs ou racistes, en ligne.
Ce qui est visé par le retrait d’un commentaire, ce n'est pas le fond, mais plutôt la forme. Ces internautes ont toujours la possibilité de réécrire, avec plus de retenue dans leurs propos et sans virulence.
Propos recueillis par Arnaud Dumourier