Par un arrêt du 17 septembre 2021 (CA Paris, Pole 5, Chambre 2, 17 septembre 2021, RG 19/2042), la Cour d’appel de Paris a tranché en faveur de la validité de la marque semi-figurative vente-privée en considérant notamment que si l’expression « vente privée » n’est qu’une désignation générique et usuelle des services proposés, l’adjonction d’un papillon rose confère au signe complexe son caractère distinctif et permet au public d’identifier ces services comme provenant d’une entreprise déterminée. La protection ainsi accordée ne saurait cependant conférer de droits sur le seul élément verbal non distinctif.
L’enregistrement d’une marque et la protection qui en découle ne sont valables qu’à condition que le signe présente un caractère distinctif. L’objectif est double : le signe protégé ne doit pas priver les concurrents de l’entreprise titulaire de l’usage d’un terme qui leur est indispensable, tout en permettant l’identification de l’origine du produit ou service pour lequel il est utilisé. En particulier, les signes se limitant à la description d’une caractéristique du produit ou service ou à la reprise de leur désignation usuelle ne sont pas reconnus comme distinctifs. La récente décision de la Cour d’appel permet de préciser l’existence et l’étendue de la protection d’un signe complexe composé d’un élément verbal descriptif auquel est adjoint un élément figuratif ornemental.
Par un jugement du 3 octobre 2019 (TGI Paris, 3 octobre 2019, RG n° 16/11737), le tribunal de grande instance avait initialement considéré que la marque semi-figurative reproduite ci-dessous composée de l’élément verbal « vente-privee.com » accompagné d’un papillon rose n’avait pas de caractère distinctif :
L’argument retenu était que l’élément verbal dominant renvoyait à l’expression « vente privée » qui se limite à décrire les services proposés. Ce caractère descriptif n’était pas remis en cause par l’élément figuratif du signe complexe dès lors que ce papillon rose, de faible dimension par rapport au reste du signe, n’était qu’exclusivement décoratif. A défaut de distinctivité intrinsèque, le signe était cependant reconnu distinctif par l’usage mais annulé pour dépôt frauduleux. Ce jugement est infirmé en appel (CA Paris, 17 septembre 2021, RG n° 19/20427) tant sur l’absence de distinctivité intrinsèque que sur le caractère frauduleux.
S’agissant du caractère distinctif, la Cour d’appel rappelle qu’il doit être apprécié en tenant compte du signe pris dans son ensemble. En conséquence, l’élément figuratif n’a pas à être écarté de l’appréciation au motif qu’il ne serait que décoratif par rapport à un texte prépondérant. Les juges reconnaissent, comme en première instance, que le texte seul se limite à une désignation descriptive des services proposés. L’élément figuratif consistant en un papillon de couleur rose est en revanche « parfaitement arbitraire » au regard des services en cause et « participe à la distinctivité du signe pris dans son ensemble ». En l’état, il n’était donc pas nécessaire de démontrer l’acquisition du caractère distinctif par l’usage de la marque.
Face à un signe complexe, le fait que l’un de ses éléments présente un caractère distinctif permet ainsi au signe pris dans son ensemble d’être valablement protégé – même si l’élément dominant n’a qu’un caractère descriptif.
Concernant ensuite le caractère frauduleux du dépôt, la décision permet de préciser l’étendue de la protection accordée. La jurisprudence et désormais le Code de la propriété intellectuelle admettent l’annulation d’une marque lorsqu’elle est déposée de mauvaise foi, ce qui suppose que le dépôt soit effectué dans l’intention de priver autrui d’un signe nécessaire à son activité. En première instance, la fraude était déduite de la monopolisation par la société déposante des termes « vente-privee » au détriment de ses concurrents et des intentions d’appropriation du terme « vente privée » exprimées par son dirigeant. Cependant, cette analyse est infirmée en raison de la confusion réalisée entre l’expression descriptive et le signe effectivement protégé. En l’espèce, les concurrents ne sont pas privés de l’usage de l’expression « vente privée » car la marque en cause est un signe complexe qui ne peut selon la Cour d’appel « conférer de droits sur la seule expression ‘vente privée’ qui n’est pas apte à distinguer les services en cause ».
Ainsi, et de manière logique, la protection du signe complexe n’emporte pas protection de la seule expression usuelle ou descriptive qui pourra toujours être librement utilisée par les concurrents du déposant.
En pratique, cet arrêt valide la stratégie de dépôt consistant à procéder à l’ajout d’un signe ornemental à une expression descriptive / non distinctive pour obtenir l’enregistrement de l’ensemble. S’il est a priori indifférent que l’élément figuratif ne soit que l’accessoire d’un élément verbal descriptif, encore faut-il s’assurer qu’il soit suffisamment distinctif en lui-même. Attention donc à ne pas accoler un logo / élément décoratif qui serait lui-même descriptif des produits et/ou services visés au dépôt. En outre, la protection obtenue portera sur le signe complexe dans son ensemble et cette technique ne pourra permettre au déposant de priver ses concurrents de l’utilisation des termes du langage courant indispensables à leur activité.
Par ailleurs, cette décision nous semble pragmatique dans le sens qu’elle permet de protéger des marques pas forcément intrinsèquement distinctives mais qui sont devenues très « connues » et « reconnues » par les consommateurs du fait de leur usage intensif, notamment souvent par le biais d’une communication originale.
Clément Monnet, Counsel , Avocat au Barreau de Paris , Norton Rose Fulbright LLP