Article d'Anne Levade, professeur de droit public à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, membre du Club des juristes.
A l’issue des élections législatives, Ensemble !, alliance à laquelle appartient le parti présidentiel La République En Marche, obtient une majorité relative avec 246 sièges, tandis que la Nupes a vu élus 142 députés, le RN 89 et LR et l’UDI 64. Alors qu’aucun parti ne détient la majorité absolue, Emmanuel Macron a assuré vouloir « dialoguer et échanger » avec les oppositions dans « l’intérêt supérieur de la nation ».
Quels sont les défis concrets au lendemain du second tour des élections législatives ?
Au lendemain du second tour des élections législatives, le principal enjeu est de créer les conditions assurant que la France puisse être gouvernée pendant les cinq années qui viennent. Il prend la forme de deux défis.
Le premier doit être relevé par le Président de la République puisqu’il lui revient, en application de l’article 8 de la Constitution, de nommer le Premier ministre puis, sur proposition de celui-ci, les autres membres du Gouvernement.
Ensemble – l’alliance regroupant Renaissance (nouvelle dénomination de La République En Marche), le Modem et Horizons – n’a remporté que 245 sièges sur les 577 que compte l’Assemblée nationale. C’est déjà un très net recul par rapport aux élections de 2017 qui avaient permis à LREM et au Modem de faire élire respectivement 368 et 44 députés. Mais, en outre, cela place les formations politiques qui soutiennent Emmanuel Macron à 44 sièges de la majorité absolue.
Dès lors, soit le Président de la République fait le pari d’un Gouvernement minoritaire qui, en permanence, sera exposé à la menace d’une motion de censure, soit il cherche à constituer une coalition de gouvernement, que celle-ci repose sur le ralliement individuel d’une cinquantaine de députés ou, ce qui serait plus original, sur un élargissement de l’alliance à une nouvelle formation politique moyennant amendement du programme porté par Ensemble.
Cette dernière possibilité est évidemment rendue plus difficile par l’hétérogénéité des oppositions à Emmanuel Macron ainsi que par le caractère résolument « anti-macroniste » de leurs positionnements.
Là réside le second défi et c’est aux formations politiques d’opposition de le relever. La semaine qui s’ouvre est à cet égard cruciale puisque, la législature devant débuter le 28 juin, il revient à chacune de déterminer d’ici là le type d’opposition qu’elle entend incarner et les concessions qu’elle est prête à faire pour éviter la paralysie des institutions.
RN premier groupe d’opposition : quels droits cela lui donne et quels risques ?
En l’état, le Rassemblement national devrait être le groupe d’opposition numériquement le plus important. Le symbole n’est évidemment pas négligeable et c’est la raison pour laquelle Jean-Luc Mélenchon a, sans doute sans illusion, proposé la constitution d’un groupe NUPES à l’Assemblée.
En tant que tel, le groupe RN bénéficiera mécaniquement de la règle de la proportionnelle des groupes qui prévaut dans l’organisation et le fonctionnement de l’Assemblée. Toutefois, pour deux raisons aux moins, cette supériorité numérique au sein des oppositions pourrait ne pas être déterminante. D’une part, elle demeure relative puisque le RN n’a que 89 députés, soit moins que les 112 députés LR du « premier groupe d’opposition » de la dernière législature et pas significativement plus que les 72 députés LFI. Mais, d’autre part et surtout, ni la Constitution qui se contente de renvoyer au règlement de chaque assemblée les règles de la reconnaissance des « droits spécifiques aux groupes d’opposition », ni le règlement de l’Assemblée nationale ne visent particulièrement le « premier » groupe d’opposition ou le groupe d’opposition numériquement le plus important.
Pour ne prendre qu’un exemple, alors même que l’article 39, § 3, du règlement de l’Assemblée nationale prévoit que « ne peut être élu à la présidence de la Commission des Finances (…) qu’un député appartenant à un groupe s’étant déclaré d’opposition », il n’impose en rien qu’il s’agisse d’un député du groupe d’opposition numériquement le plus important. C’est donc la Commission des finances elle-même qui, en application du même article 39, élira son président et ses membres étant désignés à la proportionnelle des groupes, il n’est pas interdit d’imaginer que les groupes des formations alliées dans la NUPES fassent bloc pour assurer la désignation d’un député issu de leurs rangs.
Au regard de l’histoire de la Ve République, en quoi la situation est-elle inédite et quelles leçons tirer du passé pour que le quinquennat se déroule au mieux ?
Ce n’est certes pas la première fois que les formations politiques soutenant le Président de la République n’obtiennent pas la majorité absolue à l’Assemblée nationale ; c’est la situation que la France a connu au lendemain des élections législatives de 1988, c’est-à-dire pendant les cinq premières années du second septennat de François Mitterrand.
Mais elle différait cependant à deux égards de celle que nous vivons aujourd’hui. D’une part, les membres du groupe socialiste et les députés apparentés totalisaient 275 sièges. D’autre part, l’opposition était moins fragmentée et, en particulier, le groupe communiste comptait 25 députés qui pouvaient potentiellement être considérés comme des alliés. De plus, la période fut l’occasion de recourir à 39 reprises à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution qui, depuis la révision de 2008, ne peut plus être utilisé que pour la loi de finances et une autre fois par session.
La période ne peut donc pas être véritablement une source d’inspiration.
En revanche, les élections législatives de 2022 sont l’occasion de rappeler quelques évidences.
D’abord, elles démontrent que le scrutin majoritaire ne produit pas mécaniquement le fait majoritaire. Si jusqu’alors certains partis ne remportaient que peu de sièges, c’est avant tout parce que leur ancrage local demeurait cantonné à quelques circonscriptions.
Ensuite, les formations politiques qui depuis des années se plaignaient d’être sous-représentées à l’Assemblée et réclamaient le passage à la proportionnelle ont avec ce scrutin eu l’occasion rêvée de faire la preuve de leur aptitude au compromis et, par conséquent, à participer au gouvernement du pays.
Enfin, la configuration atypique de l’Assemblée pourrait conduire à ce que soient réactivés des dispositifs que la Constitution comporte depuis 1958 mais que le fait majoritaire avait rendu inutiles, par exemple, les modalités de décompte des voix lors du vote d’une motion de censure qui veulent qu’un député qui s’abstient soit réputé soutenir le Gouvernement. Dit autrement, la Ve République pourrait à nouveau faire la démonstration de son étonnante plasticité.
Anne Levade, professeur de droit public à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, membre du Club des juristes