Actions de groupe v. Contentieux de masse : un match sans suspense ?

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Sylvie Gallage-Alwis, associée, et Nikita Yahouedeou, collaboratrice, Signature Litigation examinent le mécanisme de l'action de groupe en France et abordent l'obligation prochaine de transposer la directive européenne sur les actions de groupe (date limite le 25 décembre 2022).

Les actions de groupe ont été introduites en France en 2014 dans le domaine de la consommation. Elles ont ensuite été étendues en 2016 aux domaines de la discrimination, la santé et les cosmétiques, les atteintes aux données personnelles et l'environnement.

Plus de huit ans après cette introduction et à quelques jours de la fin du délai de transposition de la Directive (UE) 2020/1828 du 25 novembre 2020 relative aux actions représentatives visant à protéger les intérêts collectifs des consommateurs, on remarque que le succès a été limité en France si l'on s’attache au nombre de recours introduits et au nombre de cas où la responsabilité du défendeur a été reconnue. Le groupe de travail dédié aux actions de groupe de l'Assemblée Nationale publiait ainsi un rapport en juin 2020 dans lequel il qualifiait ce mécanisme de « décevant » au regard de ces deux critères.

En effet, bien qu'il n'existe pas de registre officiel du nombre d’actions de groupe en France, l'Observatoire des Actions de Groupe décompte un total de 32 actions de groupe intentées en France.

La majorité concerne le droit de la consommation et a été rejetée par les tribunaux, ceux-ci ayant jugé que les conditions pour intenter une telle action n'étaient pas réunies. Trois d'entre elles ont pris fin par voie de transaction. Cela fait donc une moyenne de 4 actions intentées par an, ce qui est très peu comparé au nombre d'actions de groupe intentées aux Etats-Unis ou dans d’autres Etats Membres de l’Union européenne par exemple.

Toutefois, l'année 2022 est une année marquante pour les actions de groupe françaises puisque pour la première fois un tribunal en a admis une et a rendu un jugement concluant à la responsabilité du défendeur. Cette action avait été lancée en 2017 par l’Association d'aide aux Parents d'Enfants souffrant du Syndrome de l'Anti-Convulsivant à l'encontre du laboratoire Sanofi, devant le Tribunal Judiciaire de Paris. L'association regroupe des femmes ayant pris de la Dépakine pendant leur grossesse, ce qui aurait provoqué des malformations physiques et des troubles du neurodéveloppement in utero chez leurs fœtus. L'association soutient que le laboratoire aurait manqué à ses obligations d'information quant aux risques de prendre ce médicament pendant la grossesse.

Par jugement du 5 janvier 2022, le Tribunal Judiciaire de Paris a déclaré l’action de groupe recevable. Il a aussi reconnu la responsabilité de Sanofi en jugeant qu’elle aurait manqué à son devoir de diligence et d'information et aurait commercialisé un produit défectueux.

Si ce jugement offre des enseignements intéressants pouvant guider les associations pour leurs recours futurs (possibilité d’avoir plusieurs groupes, perte de chance de choisir une alternative thérapeutique évaluée à 95 %, délai maximum de 5 ans accordé aux victimes pour se faire connaître, publicité dans dix journaux désignés, etc.), il n’en reste pas moins que l’analyse de la jurisprudence révèle une préférence des demandeurs pour les contentieux individuels regroupés en contentieux de masse.

Une des premières raisons selon nous est la possibilité pour ces contentieux de masse d’être formés et gérés par des avocats, plutôt que sous l’égide d’associations. Même si la question du financement de ce type de contentieux reste un sujet réel pour les confrères, il n’en reste pas moins qu’ils sont plus nombreux à vouloir s’engager dans des recours sur des problématiques plus variées que les associations, en particulier en matière de droit de la consommation et responsabilité du fait des produits.

Par ailleurs, le contentieux de masse permet d’échapper aux règles procédurales interprétées de façon stricte concernant la recevabilité d’une action de groupe.

On note aussi que l’effort qui doit être fait par les demandeurs dans le cadre des contentieux de masse est moindre. En effet, s’agissant de la question de la recevabilité, ils se contentent souvent d’un jeu de conclusions unique sans preuve de leur lien direct avec l’entreprise assignée. C’est l’entreprise qui se retrouve alors à analyser la situation individuelle de chaque demandeur pour tenter d’en exclure certains ou de créer des groupes distincts, les juridictions ayant tendance à renverser la charge de la preuve de quasiment tous les aspects de ces dossiers.

Par ailleurs, ces contentieux s’inscrivent souvent dans la lignée d’une mise en examen, d’une transaction avec la DGCCRF ou d’une CRPC. Dans ce cas, la preuve du fond est moins poussée et c’est encore à l’entreprise de tenter de prouver que les conditions de sa responsabilité civile ne sont pas réunies.

On peut dès lors légitimement se demander si une réforme va être enclenchée de façon à rendre ce mécanisme plus attractif pour les demandeurs : passage à l’opt-out comme aux Pays-Bas et au Portugal, généralisation du financement par des tiers, règle du perdant-payeur, etc. Ou si au contraire, le Gouvernement va entériner un mécanisme où les principes le régissant sont appliqués de façon stricte et dans le respect des principes de la responsabilité civile. Ce que les autres pays européens vont faire à partir de janvier 2023 sera déterminant ainsi que le forum shopping qui s’en suivra.

Sylvie Gallage-Alwis, associée, et Nikita Yahouedeou, collaboratrice, Signature Litigation


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