Le 9 juin 2024, le président Emmanuel Macron a créé la surprise en annonçant la dissolution de l'Assemblée nationale. Cette décision inattendue, intervenant à quelques semaines des Jeux Olympiques de Paris, soulève de nombreuses questions. Le professeur émérite Jean-Louis Clergerie revient sur les précédents historiques de dissolution sous la Vᵉ République et analyse les incertitudes juridiques et politiques entourant cette décision présidentielle aux conséquences potentiellement majeures.
La dissolution surprise de l’Assemblée nationale, décidée précipitamment par le Président Macron le 9 juin, n’a pas fini de faire parler. Il s’agit en effet d’une mesure autant inattendue qu’incompréhensible, qui de plus intervient à la plus mauvaise période, puisque les législatives ont lieu au tout début des vacances d’été et à quelques jours du début des Jeux Olympiques, dans un climat plus que difficile pour la majorité en place. De là à parler de « dissolution suicide » il n’y a qu’un pas !
Un tel événement est pourtant l’occasion de revenir sur un dispositif, celui de l’art. 12 de la Constitution, inusité depuis près de trente ans (1997) et qui n’a d’ailleurs jusqu’à maintenant été utilisé qu’à cinq reprises par les prédécesseurs de l’actuel Chef de l’État (deux fois par le Général de Gaulle, deux fois par François Mitterrand et une fois par Jacques Chirac). Cette dissolution, différente de toutes les précédentes (I) comporte aussi, bien des incertitudes (II).
I – Les précédents
- Le 9 octobre 1962, après le vote de la motion de censure (5 octobre 1962)[1], déposée par les opposants à la révision constitutionnelle visant à instaurer l’élection du président de la République au suffrage universel direct, en utilisant l’art.11 de la Constitution et non l’art.89, qui aurait nécessité l’accord des deux chambres. Les législatives des 18 et 25 novembre 1962 qui ont suivi donneront une majorité écrasante aux partisans du Général de Gaulle.
- Le 30 mai 1968, après les « événements » de Mai 68, le Général de Gaulle conscient du fait qu’il ne pourrait plus gouverner décide une seconde fois de dissoudre l’Assemblée nationale[2], ce qui lui permettra d’obtenir, à l’issue du second tour des législatives du 30 juin 1968, une très large majorité (367 députés sur 498), alors même que quelques jours seulement plus tôt, il était désavoué par des dizaines de milliers de manifestants. Peut-être Emmanuel Macron a-t-il pensé à lui en prononçant la dissolution…
- Le 22 mai 1981, François Mitterrand dissout l’Assemblée nationale, élue en mars 1978 avec une majorité absolue pour la droite et avec laquelle il n’aurait jamais pu gouverner. Les socialistes avaient alors réussi à rassembler une majorité absolue aux élections des 14 et 21 juin 1981.
- Le 14 mai 1988, François Mitterrand, au début de son second mandat, dissout à nouveau l’Assemblée nationale élue en mars 1986, avec une majorité absolue pour la droite, mais cette fois les socialistes n’obtiendront qu’une majorité relative à l’issue des législatives des 5 et 12 juin 1988, aboutissant ainsi à la première cohabitation.
- Le 21 avril 1997, Chirac dissout l’Assemblée nationale, sur les conseils de Dominique de Villepin, du fait de l’aggravation de la situation économique et afin de donner un « nouvel élan » à la France… La « gauche plurielle » (PS, PCF, radicaux de gauche, Verts et Mouvement des citoyens), réussit à rassembler, le 1ᵉʳ juin 1997, au second tour une majorité de 319 sièges, ouvrant la voie à une nouvelle cohabitation, qui durera jusqu’en 2002, la plus longue de la Vᵉ République.
Ces précédentes dissolutions, à l’exception notable de celle du 21 avril 1997, correspondent bien aux deux catégories définies par le politologue Pierre Avril, qui distingue en effet les dissolutions « royales », décidées pour sanctionner un parlement (comme en 1962) et les dissolutions « ministérielles » destinées à clarifier une situation politique (comme en 1968, 1981 et 1988)[3].
Mais qu’en est-il de celle du 9 juin 2024, d’autant que jusqu’à maintenant, les gouvernements Borne et Attal, qui n’ont pu s’appuyer que sur une majorité relative, n’ont jamais été renversés et où un certain nombre de lois ont malgré tout pu être adoptées[4] ?
II – Les incertitudes
Cette nouvelle dissolution pose en effet plus de questions qu’elle n’apporte de réponses à une situation pour le moins complexe et inédite.
Ainsi le Conseil constitutionnel a-t-il été saisi à plusieurs reprises (les 11, 12, 13, 17 et 18 juin 2024) de pas moins de quinze recours dirigés contre le décret n° 2024-527 du 9 juin 2024 portant convocation des électeurs pour l’élection des députés à l’Assemblée nationale et pour certains d’entre eux également sur le décret de dissolution ; un seizième recours (18 juin 2024) ne portait que sur la dissolution de l’Assemblée nationale[5].
Parmi les motifs invoqués, on trouve la question du calcul des délais entre la dissolution et la tenue du premier tour des législatives, prévus par l’art. 12 de la Constitution, en ce qui concerne les territoires ultramarins[6].
Concernant la dissolution proprement dite, il est reproché au Président Macron de ne pas avoir procédé à de réelles consultations du Premier ministre et des Présidents des assemblées, pourtant requises par l’art.12, se limitant seulement à leur annoncer sa décision[7]. Le décret portant dissolution de l’Assemblée nationale, publié au Journal officiel du 10 juin 2024, ne contenait étonnement aucune précision sur la date de son entrée en vigueur.
Ces recours dirigés contre le décret de convocation des électeurs du 9 juin 2024 n’avaient aucune chance d’aboutir, ne serait-ce qu’en raison de la faiblesse de leurs motivations et de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, lequel s’était par ailleurs déclaré incompétent pour statuer sur la validité du décret de dissolution en tant que tel, dans la mesure où « aucune disposition de la Constitution ne lui en donnait compétence » (4 juin 1988, 10 juillet 1997)[8]. Ils ont donc sans surprise été rejetés le 20 juin 2024[9], en attendant de statuer sur les requêtes dirigées contre le décret de dissolution.
Il n’en reste pas moins qu’une lourde défaite de la majorité aux législatives entrainerait inévitablement des appels à la démission du président de la République, totalement impliqué dans la bataille électorale, ce qui ne serait alors pas sans rappeler la pratique britannique, où le Premier ministre, quand il décide de dissoudre la Chambre des Communes, s’engage à quitter son poste en cas de victoire de l’opposition.
Toujours est-il qu’en l’état actuel de la situation, il est difficile, pour ne pas dire impossible, d’envisager le moindre pronostic au risque d’être rapidement démenti par les faits…
Jean-Louis Clergerie, Professeur émérite des Universités en Droit public – Titulaire de la Chaire Jean Monnet - Université de Limoges.
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[1] Le seul cas d’une motion de censure adoptée sous la Vᵉ république par 280 voix (la majorité requise était de 241).
[2] À la demande de son Premier ministre, Georges Pompidou, qui avait alors mis sa démission dans la balance, v. Julian Jackson, De Gaulle, Points 2019, p.1162.
[3] V. Pierre Avril, Commentaire de l'article 12 in La Constitution de la République française, Economica 2009, p. 478.
[4] Ainsi, entre le 16 mai 2022, date de son entrée fonction et le 15 mai 2023, 13 projets de lois ont-ils été définitivement adoptés sous le gouvernement d’Elisabeth Borne.
[5] https://www.conseil-constitutionnel.fr/decisions/affaires-instances?id=32217
[6] Ls premier tour des élections, qui doivent avoir lieu 20 jours minimum après la dissolution (art.12), est prévu le 30 juin et le 29 juin Outre-mer. Le décret prévoit que : « les électeurs sont convoqués le samedi 29 juin 2024 à Saint-Pierre-et-Miquelon, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin, en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane, en Polynésie française et dans les bureaux de vote ouverts par les ambassades et postes consulaires situés sur le continent américain » (art.2), contrairement à ce que prévoit le Code électoral pour la Guadeloupe, la Guyane et la Martinique (artL173, al.2 Code électoral).
[7] La dissolution est un pouvoir propre du président de la République : « Le président de la République peut, après consultation du Premier ministre et des Présidents des Assemblées, prononcer la dissolution de l’Assemblée nationale » (art.12) → pouvoir discrétionnaire.
[8] V. décision n°88-4 ELEC du 4 juin 1988 sur une requête de Monsieur Rosny Minvielle de Guilhem de Lataillade et décision 97-14 ELEC du 10 juillet 1997 sur une requête présentée par Monsieur Jean-Michel Abraham.
[9] V. décision n°2024-32 à 41 ELEC du 20 juin 2024.