La pénalisation grandissante du droit fiscal

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Emmanuel Dubois, Avocat associé spécialiste en droit fiscal chez Forensis Avocats revient sur la pénalisation grandissante du droit fiscal.

Le premier ministre Fillon ayant déclaré en septembre 2007 être à la tête d’un « Etat en situation de faillite », les services de Bercy ont rapidement été invités à plancher sur les moyens les plus efficaces et rapides de recouvrer le maximum de recettes fiscales en renforçant notamment les contrôles et la lutte contre la fraude. De la lutte contre les paradis fiscaux initiée dès 2008 aux passerelles créées entre Tracfin et Bercy en 2009, le droit fiscal connaît aujourd’hui un pas supplémentaire vers sa pénalisation grandissante avec la création de la première brigade française de police judicaire fiscale. Quelles sont les premières leçons à tirer de ces récentes évolutions législatives ?

On sait que les contrôles fiscaux reposent principalement sur les preuves produites par les services de Bercy au soutien de leurs redressements, preuves obtenues à la suite d’un examen sur pièces et/ou par l’exercice du droit de communication dont ces services disposent auprès des tiers.

Si la DGFIP a toujours refusé de « pénaliser » la recherche de ces preuves, elle avait en revanche accepté dès 1985 (Loi de finances pour 1985 du 29 décembre 1984) le principe de visites domiciliaires sur autorisation judiciaire préalable pour les impôts directs et la TVA (LPF, art.16 B), les impôts indirects (LPF, art. L. 38) et les droits de douane (C. douanes, art. 64).

Mais, face à la technicité et à la complexité des opérations traitées par les contribuables et à l’internationalisation grandissante des échanges pécuniaires, ces procédures lourdes et coûteuses, associées aux pouvoirs limités offerts aux agents des services fiscaux, apparaissent comme dépassées.

Le législateur a corrigé le tir dans sa loi de finances rectificatives n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 (article 23 portant création d’un article 28-2 du Code de procédure pénale) instituant le nouveau droit d’enquête judiciaire assuré par un service d'officiers fiscaux judiciaires.

Ces inspecteurs fiscaux judiciaires (inspecteur de catégorie A et contrôleurs de catégorie B) sont habilités à mener des enquêtes judiciaires sur réquisition du procureur de la République et exercent leur mission sous le seul contrôle de ce dernier et de la chambre de l’instruction (C. proc. pén. art. 224 à 230).

Ils peuvent aussi agir sur commission rogatoire d’un juge d’instruction.

Dans le cadre légal des enquêtes préliminaires de police judiciaire, ces agents pourront ordonner des gardes à vue fiscales et des perquisitions fiscales.

Le décret n° 2010-1318 du 4 novembre 2010 parachève cette organisation répressive en créant la Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale, toute nouvelle police judiciaire fiscale.

Composée des officiers fiscaux judiciaires créés en 2009, elle comprend également des officiers et agents de police judiciaire, la brigade étant rattachée à la Direction centrale de la police judiciaire sous la tutelle du ministre de l’Intérieur.

Cette toute nouvelle brigade sera chargée :

-    d’animer et coordonner, à l’échelon national et au plan opérationnel, les investigations de police judiciaire et les recherches fiscales ;
-    d’effectuer ou poursuivre à l’étranger les recherches liées aux infractions fiscales ;
-    de centraliser les informations relatives à cette forme de délinquance en favorisant leur meilleure circulation ;
-    de fournir une assistance documentaire et analytique, à leur demande, aux services de la police nationale et de la gendarmerie nationale.

Cette brigade sera en liaison avec TRACFIN et coopèrera à l’échange de renseignements prévus par les accords signés en ce sens par la France avec d’autres Etats dans le cadre du renforcement de la lutte contre la fraude fiscale et les paradis fiscaux.

Le droit fiscal se pénalise progressivement par l’application de procédures prévues dans le Code de procédure pénale : enquêtes préliminaires, perquisitions, interception des correspondances, écoutes téléphoniques, saisies, gardes à vue, flagrants délits…

Mais il demeure naturellement de nombreuses zones d’ombre qui ne manqueront pas de susciter des contentieux : il en est ainsi par exemple de la qualification pénale de la « falsification » d’identité, de documents ou de structure, de l’interposition pénalement répréhensible dans des paradis fiscaux de certaines structures (dont les trusts), du secret professionnel des conseils des contribuables qui ne sera plus opposable en présence d’une « complicité » de fraude fiscale liée à certains conseils donnés, des perquisitions dont ces même conseils pourront faire l’objet, des saisies et perquisitions au domicile d’un dirigeant d’entreprise dans le cadre d’une prévention visant sa société, ou encore des conséquences d’irrégularités procédurales d’une enquête préliminaire sur des redressements fiscaux en cours fondés sur des éléments probatoires obtenus dans le cadre de ladite enquête…

Enfin, la prescription triennale du délai de reprise de l’administration fiscale risque de fâcheusement s’étendre au détriment du contribuable.

En effet, le nouvel article L. 188 B du Livre des procédures fiscales prévoit que les omissions ou insuffisances d’imposition pourront être réparées jusqu’à la fin de l’année qui suivra la décision mettant fin à la procédure et au plus tard jusqu’à la fin de la dixième année qui suivra celle au titre de laquelle l’imposition était due.

Bref, à l‘instar du Code de la route et de sa lutte contre la délinquance routière, le droit fiscal se met au diapason et entend lutter massivement contre la délinquance fiscale sous toutes ses formes (évasion, paradis fiscaux, montages off-shore, politique des prix de transfert…).

Reste cependant à s’entendre sur les termes du délit et à savoir si cet arsenal répressif va entraîner mécaniquement un accroissement du nombre des plaintes pénales pour fraude fiscale.


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