Manipulation d'indices financiers en droits français et européen : des recours peu utilisés par les institutionnels français

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indicesPierre-Yves Rossignol, Associé, Granrut et Caroline Godberg, Avocate, Granrut reviennent sur la manipulation d'indices financiers en droits français et européen.

Différents scandales relatifs à la manipulation d'indices financiers ont éclaté.

- Scandale révélé en 2011 sur la manipulation du LIBOR et de l'EURIBOR qui consistait en la transmission par des banques de fausses informations à la British Banker's Association en charge du calcul des indices interbancaires.

- Scandale révélé en 2012 sur la manipulation du FOREX qui consistait en une entente entre traders de différentes banques visant à coordonner leurs opérations pour influer sur la fixation du taux journalier.

- Le scandale concernant l'ISDAFIX révélé en 2013 qui consistait en la saisie avec retard des informations nécessaires au calcul de l'indice par les brokers en charge de celui-ci, en accord avec certaines banques leur transmettant des informations nécessaires à ce calcul.

Ces scandales ont révélé l'insuffisance de normes nationales et européennes. Nous allons nous concentrer ci-dessous à ISDAFix.

indicesPierre-Yves Rossignol, Associé, Granrut et Caroline Godberg, Avocate, Granrut reviennent sur la manipulation d'indices financiers en droits français et européen.

Différents scandales relatifs à la manipulation d'indices financiers ont éclaté.

- Scandale révélé en 2011 sur la manipulation du LIBOR et de l'EURIBOR qui consistait en la transmission par des banques de fausses informations à la British Banker's Association en charge du calcul des indices interbancaires.

- Scandale révélé en 2012 sur la manipulation du FOREX qui consistait en une entente entre traders de différentes banques visant à coordonner leurs opérations pour influer sur la fixation du taux journalier.

- Le scandale concernant l'ISDAFIX révélé en 2013 qui consistait en la saisie avec retard des informations nécessaires au calcul de l'indice par les brokers en charge de celui-ci, en accord avec certaines banques leur transmettant des informations nécessaires à ce calcul.

Ces scandales ont révélé l'insuffisance de normes nationales et européennes. Nous allons nous concentrer ci-dessous à ISDAFix.

I- Les manipulations en cause et les recours engagés par les assureurs

I- Les manipulations en cause et les recours engagés par les assureurs

ISDAFix, créé en 1998 par ISDA est une référence mondiale pour les échanges d'indices à taux fixe. Il sert à évaluer la branche fixe de l'échange d'indices. Il est également utilisé pour déterminer les valeurs de plusieurs autres instruments financiers et transactions.

L'ISDAFix établit les indices servant à commercer dans les plus grands marchés mondiaux. Ces indices/taux d'intérêts sont notamment utilisés par les assureurs et les fonds de pension.

Il y a un peu plus d'un an, l'ISDAFix aurait été manipulé par plusieurs banques mondiales. Pourtant sa vulnérabilité n'était pas nouvelle.

Les enquêtes en cours pourraient engendrer des amendes conséquentes, des procès d'envergure et d'innombrables demandes en réparation de part et d'autre de l'Atlantique.

Les Manipulations en cause
Ces manipulations ont pris deux formes :

- l'ICAP aurait retardé la publication des indices réels afin de permettre à certaines banques de commercer avant la publication des véritables indices au reste du marché.
- "banging the close": cette seconde forme consiste à commercer en volumes conséquents afin d'influer sur les prix pour ensuite commercer une fois le marché clôturé.

Les victimes
Les victimes sont toutes les personnes tributaires des indices ; c'est-à-dire : les gouvernements, fonds de pension, assureurs ou investisseurs institutionnels,… qui ne faisaient pas parties du montage.

Le préjudice des assureurs
Les assureurs sont les plus grands investisseurs en Europe. Ils détiennent des parts représentant 58% de l'ensemble du PIB Européen.

Etant soumis à ces divers indices, ils subissent, de ce fait, un préjudice important.

Les procédures
L'US CFTC a assigné certaines banques et brokers appartenant à l'ISDAFix, ainsi que des membres de l'ICAP.

Les investigations sont en cours et le FCA poursuit ses investigation au Royaume-Uni, mais des preuves attestant de la manipulation de l'ISDAFix aux dépends des fonds de pension et autres institutions auraient été trouvées.

Il est vraisemblable que des amendes seront prononcées à l'encontre des personnes impliquées dans la manipulation de l'ISDAFix.

Les litiges privés

Il est à prévoir fortement que nombre de procédures vont être diligentées, au Royaume-Uni contre les auteurs de ces manipulations.

Les fondements de ces litiges sont multiples : négligence, dol, conspiration, ou réticence dolosive, et si les conditions sont réunies, des dommages-intérêts pourront être réclamés.

Les préoccupations des assureurs

D&O a une acception large de la notion de "perte". Y sont notamment inclus : le coût des procès (civils ou pénaux), les gains, les jugements et les transactions. Mais certaines exclusions telles que la fraude ou la faute volontaire sont à prévoir.

Un élément est déterminant : avant tout contrat, les assurés doivent rendre publique toute information nécessaire à leur assureur.

Ainsi, en cas de fraude, une abondante jurisprudence considère que les primes payées à l'assureur lui demeurent acquises. L'assureur n'en sera pas redevable.

Bilan pour le Royaume-Uni

Depuis la crise financière de 2008, il apparaît que les cas de manipulation financière n'ont de cesse de se révéler.

Les résultats des investigations du FCA & de la CFTC seront déterminants dans le déclenchement potentiel de procès en masse au Royaume-Uni.

II- Les recours en droit français avant et après la loi de régulation des activités bancaires

II- Les recours en droit français avant et après la loi de régulation des activités bancaires

1- L'action pénale

Avant la loi n°2013-672 du 26 juillet 2013 dite de séparation et de régulation des activités bancaires, le droit français ne prévoyait pas d'infraction liée à la manipulation d'indice de référence. Le Code Monétaire et Financier ne prévoyait que le délit d'initié (art L 465-1 du CMF), la diffusion d'informations fausses ou trompeuses (L 465-2 du CMF), et la manipulation des cours (L 465-2 du CMF).

Les peines communes à ces 3 délits sont fixées par l'article L465-2 du CMF à : "deux ans d'emprisonnement et d'une amende de 1 500 000 euros dont le montant peut être porté au-delà de ce chiffre, jusqu'au décuple du montant du profit éventuellement réalisé, sans que l'amende puisse être inférieure à ce même profit".

Lorsqu'il s'agit d'une personne morale, l'amende peut être portée au quintuple du profit réalisé (combinaison des articles L 465-3 du CMF L131-38 du code pénal).

Les juridictions françaises ne seront compétentes que sous réserves que les éléments constitutifs de l'infraction envisagée aient bien eues lieu sur le territoire français. La nationalité des personnes en cause peut être un critère pris en considération.

2- L'action civile

A la condition que la victime démontre l'existence d'un préjudice personnel directement causé par l'infraction poursuivie, deux chefs de préjudices sont reconnus par la jurisprudence :

- le préjudice né de l'acquisition de titres lors de la diffusion d'informations fausses ou trompeuses (crim. 15 mars 1993)

- le préjudice né de la conservation de titres acquis antérieurement à la diffusion d'informations fausses (T.corr.Paris, 12 septembre 2006).

3- Les sanctions prononcées par l'AMF

La Commission des sanctions de l'AMF est compétente pour prononcer les sanctions correspondant aux infractions mentionnées ci-dessus, sous réserves qu'un élément constitutif de l'infraction ait été commis en France.

4- Saisine et enquête

Le secrétaire général de l'AMF prend les décisions d'ouverture d'enquête à réception d'éléments lui permettant de suspecter la commission d'une infraction. L'AMF dispose d'enquêteurs dotés d'un certain nombre de prérogatives qui sont encadrés par les principes de la "Charte d'enquête". Avant la clôture de l'enquête toutes les personnes mises en cause sont entendues et un rapport d'enquête est transmis au collège de l'AMF qui décidera des suites à donner.

5- Procédure et sanction

a- La procédure

- Le collège de l'AMF est la partie poursuivante en cas de procédure de sanction ;

- Les éléments de l'enquête sont transmis à la commission des sanctions qui désigne un rapporteur pour les besoins de l'instruction, ce rapporteur rédige son rapport après avoir analysé les observations de chaque partie ;

- L'audience devant la commission des sanctions est publique et contradictoire et c'est elle qui délibère ensuite ;

b- Les sanctions (art 621-15 du CMF)

Outre les éventuels blâmes, avertissements, interdictions professionnelles (L.546-1) les sanctions constituent aussi en une amende toujours selon la gravité des manquements commis :

- Pour les professionnels, l'amende peut aller jusqu'à 100 millions d'euros ou 10 fois les profits éventuellement réalisés.

- Pour les personnes physiques sous l'autorité des professionnels ou agissant pour leur compte, l'amende peut aller jusqu'à 15 millions d'euros ou 10 fois le montant des profits réalisés.

- Pour toute autre personne le montant de la sanction peut aller jusqu'à 100 millions d'euros ou dix fois le montant des profits réalisés.

III- Les nouveautés en droit français après 2013

III- Les nouveautés en droit français après 2013

1- L'introduction du délit de manipulation d'indice en droit français

La loi du 26 juillet 2012 a modifié les articles L465-1 et L465-2 du CMF en étendant leur application aux systèmes multilatéraux de négociation, en punissant la tentative au même titre que l'infraction, en créant l'article L465-2-1 qui sanctionne la transmission de données ou d'informations fausses ou trompeuses utilisées pour calculer des indices ou encore le fait d'adopter un comportement aboutissant à la manipulation du calcul d'un indice. Cette nouvelle infraction définie plus largement, n'incrimine pourtant pas la tentative. Par ailleurs les termes figurant dans cet article sont très généraux et permettent d'englober tous les types d'indices de référence.

2- La compétence partielle du procureur de la république financier

Depuis la loi n°2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique, le Parquet de Paris n'a plus compétence exclusive pour connaître des questions d'abus de marché. Cette compétence est désormais attribuée au procureur de la république financier, qui connaitra à titre exclusif des délits d'initié, de diffusion d'informations fausses et trompeuses et de manipulation de cours.

Par ailleurs il ne dispose d'aucune compétence en matière de manipulation d'indices de référence, pour cette infraction le TGI de Paris reste compétent.

IV- L'évolution en droit de l'UE

IV- L'évolution en droit de l'UE

Une évolution est prévue en droit européen que la France semble avoir anticipé. En 2013, les états membres ont prévu l'introduction de sanctions pénales en cas de manipulation d'indices financier.

La commission européenne a rendu le 19 septembre 2013 une proposition de règlement "concernant les indices de référence dans le cadre d'instruments et de contrats financiers". L'objectif de ce texte est de règlementer ex ante les conditions d'élaboration des indices de référence.

Deux autres projets de la commission européenne (un règlement et une directive) relatifs aux opérations et sanctions pénales ont été adoptés en février 2014, pour y inclure la manipulation d'indices de référence.

Les nouveaux textes permettront à la Commission Européenne de poursuivre directement les manipulations d'indices de référence, ce qui n'était jusqu'alors pas le cas.

A propos des auteurs


Pierre-Yves-RossignolPierre-Yves Rossignol

Pierre-Yves Rossignol est associé au sein du cabinet Granrut depuis 1997. Il est spécialisé en droit des assurances (assurance-crédit, assurance-construction et prévoyance). Il intervient devant les tribunaux et les autorités de contrôles (telle que l’ACPR) en français et en anglais. Il pratique également le droit immobilier, le droit de la construction et des produits défectueux. Il intervient comme conseil dans le cadre des opérations de rappel pour vices cachés, pour le compte de constructeurs de matériaux innovants et de nouvelles technologies.




Caroline Godbergcaroline-goldberg

Caroline Goldberg travaille aussi bien en français qu’en anglais, en qualité de collaboratrice au sein des départements "Banque-Assurance" et "Immobilier" du cabinet Granrut. Elle intervient aux côtés de professionnels du milieu des assurances (compagnies d’assurance, intermédiaires) pour les assister dans la mise en place de leur structure en France, les conseiller dans l’élaboration et la négociation de leurs polices, la résolution ponctuelle de leurs questions et les représente en cas de besoin, devant les juridictions compétentes.




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