Marque communautaire, usage dans un pays et action en déchéance : alerte pour les gestionnaires de portefeuilles de marques

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Elodie Rochoux, juriste Inlex IP ExpertiseElodie Rochoux, juriste chez INLEX IP Expertise, nous propose son analyse sur l'arrêt OMEL / ONEL rendu par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) le 19 décembre 2012 en matière de marque.


Depuis plusieurs années, l’OHMI considère que "l’usage sérieux de la marque dans un seul état membre vaut pour la communauté" (exemple de l’arrêt Taxor Cosmetic AG contre Coswell S.P.A du 4 juin 2007). La CJUE vient de nuancer cette appréciation dans un arrêt du 19 décembre 2012.

La question importante soulevée par l’arrêt OMEL : l’usage dans un seul état membre peut-il valoir pour l’ensemble de la Communauté ?

La société LENO était titulaire d’une marque communautaire ONEL déposée en 2002 en classes 35, 41 et 42. Le 27 juillet 2009 la société HAGELKRUIS dépose la marque BENELUX OMEL pour désigner des produits et services identiques et similaires. La société LENO, estimant que la marque OMEL crée un risque de confusion avec sa marque ONEL forme opposition contre cette marque. Le défendeur invoque alors la déchéance des droits de la société LENO et demande à cette dernière de fournir des preuves d’usage de sa marque communautaire.

Par décision du 15 janvier 2010, l’Office du BENELUX rejette l’opposition au motif que la société LENO "n’avait pas démontré avoir fait un usage sérieux de sa marque ONEL au cours de la période de 5 ans précédant la date de la publication du dépôt contesté". L’Office estime en effet que l’usage sérieux de la marque ONEL démontré aux Pays Bas ne suffit pas à caractérisé l’usage de cette marque dans le reste de la Communauté.

Dans ce contexte, la Juridiction de renvoi décide de poser une question préjudicielle à la CJUE afin que cette dernière tranche la question de savoir ce qu’il faut entendre par "usage sérieux dans la Communauté", et par extension, si l’usage dans un seul état membre peut valoir pour l’ensemble de la Communauté.

L’appréciation de l’usage sérieux dans la communauté doit "faire abstraction des frontières du territoire des états membres".

La Cour n’exclut pas la possibilité que l’usage dans un seul état membre puisse caractériser un usage sérieux dans la Communauté et indique "qu’il n’est pas exclu que, dans certaines circonstances, le marché des produits ou des services pour lesquels une marque communautaire a été enregistrée soit, de fait, cantonné au territoire d’un seul état membre". Néanmoins, il convient de souligner l’expression "dans certains circonstances" employée par la Cour qui montre que l’usage dans un seul état membre ne confère pas de manière automatique un usage sérieux dans l’ensemble de la Communauté. On voit ici poindre une appréciation différente de celle adoptée par l’OHMI.

Cette nuance est à nouveau soulignée par la Cour lorsque cette dernière refuse d’établir un seuil à partir duquel le caractère sérieux de l’usage serait atteint en indiquant "qu’il est impossible de déterminer a priori, de façon abstraite, quelle étendue territoriale devrait être retenue pour déterminer si l’usage de ladite marque a ou non un caractère sérieux. Une règle de minimis, qui ne permettrait pas au juge national d’apprécier l’ensemble des circonstances du litige qui est soumis ne peut donc être fixée".

Vers une approche multifactorielle de l’usage sérieux

On voit donc se dégager une appréciation multifactorielle de l’appréciation du caractère sérieux de l’usage, confirmée par la Cour qui conclut sa décision en indiquant que l’appréciation de l’usage sérieux doit tenir compte de "l’ensemble des faits et des circonstances pertinents tels que notamment les caractéristiques du marché en cause, la nature des produits ou des services protégés par la marque, l’étendue territoriale et quantitative de l’usage ainsi que la fréquence et la régularité de ce dernier". A titre d’exemple, le marché de référence influera nécessairement sur l’appréciation géographique de l’usage sérieux. Ainsi, si l’usage sérieux pourra être constitué par l’exploitation dans un seul état membre concernant les marchés de niche, il n’en sera certainement pas de même concernant les marchés importants…

L’appréciation du caractère sérieux de l’usage semble donc, de la même manière que l’appréciation qui est faite du risque de confusion, être soumise à un certain nombre de facteurs interdépendants qui doivent être appréciés au cas par cas. L’usage d’une marque dans un seul état membre de la Communauté ne permet donc pas de manière automatique, de se voir reconnaître un usage sérieux dans l’ensemble de la Communauté.


Ce qu’il faut retenir :

- Le maintien d’un droit de marque est lié à l’usage sérieux.

- Le risque d’action en déchéance est un point très important à prendre en compte car il affecte l’existence même du droit de marque.

- La jurisprudence OMEL a été interprétée de manière erronée par certains auteurs.

En effet, si la CJUE invoque la possibilité que l’usage sérieux vaille pour l’ensemble de la Communauté, il s’agit d’un cas d’exception et non de la règle applicable. En effet, la règle générale dégagée par la CJUE est celle selon laquelle l’appréciation de l’usage sérieux repose sur une approche multifactorielle.

- Nous n’avons pas de visibilité sur l’impact de la jurisprudence OMEL de la CJUE.

Néanmoins, les titulaires de marques communautaires doivent se poser les questions suivantes :

• Mon droit de marque communautaire est-il solide ?
• Dois-je baser mon opposition ou action sur ma marque communautaire enregistrée depuis plus de 5 ans et donc susceptible de faire l’objet d’une action en déchéance reconventionnelle ?

En effet, Il existe un risque que la marque communautaire soit déclarée nulle si cette dernière est exploitée dans un seul pays, ce qui pourra être considéré comme un usage insuffisant.

Il conviendra ainsi d’effectuer une étude (notamment en amont d’une action) afin de déterminer si l’usage de la marque communautaire est suffisamment impactant pour valider cette dernière.

Dans cette optique, les questions à se poser sont notamment les suivantes :
• Pays d’exploitation (un ou plusieurs pays)
• Analyse de l’usage au regard du marché de référence
• L’usage correspond-il bien à la marque ?
• L’usage fait de la dénomination correspond-il bien à un usage à titre de marque ?

 

Elodie Rochoux, juriste INLEX IP Expertise


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