La corruption dans tous ses états

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Christian Dargham

Christian Dargham, Avocat associé en éthique des affaires et contentieux au sein du Cabinet Norton Rose Fulbright fait le point sur la lutte contre la corruption.

Rarement la France aura-t-elle placé trois des siens dans un top 10 international. Depuis la fin du mois de mai 2013, avec la transaction de 398 millions de dollars signée par Total avec le Département américain de la justice (DOJ) et la Securities and Exchange Commission (SEC), trois groupes français font désormais partie des dix sociétés ayant payé les plus gros montants au DOJ et à la SEC pour mettre fin à des poursuites pour corruption. Seule l'Allemagne fait aussi bien (avec notamment Siemens qui a dû payer 800 millions de dollars). Avec leur Foreign Corruption Practices Act (FCPA) d'application très extra-territoriale de 1977, les États-unis ont décidé de faire la chasse aux sociétés - surtout non-américaines d'ailleurs (une seule société américaine fait partie du top 10) - qui, aux yeux des autorités de ce pays, versent des pots-de-vins ou procurent des avantages illicites, quelle qu'en soit la forme, directement ou à travers des intermédiaires, pour décrocher un marché ou conclure une transaction.

Une récompense financière pour les “alerteurs”

La chasse aux contrevenants n'est pas près de s'arrêter, même si tous les pays n'y participent pas avec la même efficacité. Ainsi, le Dodd-Franck Act américain offre une récompense pouvant atteindre 30 % des montants qui auront été recueillis à un "alerteur" qui permettrait la découverte d'agissements illicites, notamment de corruption. Même si cette réglementation ne s'applique qu'aux groupes ayant des titres au États-unis, il suffit de faire le calcul sur la base des montants évoqués plus haut pour se convaincre qu'un salarié de ce groupe ou celui d'un partenaire de celui-ci n'hésitera pas à dénoncer des actes ou même de simples tentatives de corruption.

De même, le Royaume-Uni a, depuis deux ans, mis en place la loi anti-corruption la plus sévère de la planète (elle aussi d’application très extra-territoriale) qui prévoit notamment, outre de lourdes sanctions pénales, une amende d'un montant illimité. Le UK Bribery Act prévoit surtout une présomption de culpabilité pour l'entreprise lorsque l'un de ses collaborateurs ou un tiers "associé" (agent, intermédiaire, consultant, joint-venture...) a commis un acte de corruption pour le compte de cete entreprise, même à son insu. La seule défense ouverte à l'entreprise pour combattre cette présomption est alors de démontrer qu'elle avait mis en place des mesures adéquates, à savoir une politique de conformité effective.

La France, elle aussi, dispose d'un arsenal juridique pour sanctionner la corruption, notamment celle d'agents publics à l'étranger. S'il est vrai qu'elle appliquait mollement cette disposition, elle a été sèchement pointée du doigt par un rapport de l'OCDE d'octobre 2012 qui critiquait notamment le nombre très limité de poursuites d'actes de corruption internationale alors que les sociétés françaises sont très présentes sur le marché de l'exportation, notamment dans les pays émergents connaissant un taux de corruption élevé. Enfin, certains pays émergents n'hésitent plus à poursuivre des sociétés étrangères et/ou leurs dirigeants pour corruption, même si les poursuites sont parfois motivées par des arrières-pensées politiques.

De lourdes conséquences en cas de poursuites

Il n'est pas besoin de s'attarder sur les conséquences catastrophiques de la corruption pour les pays où elle a lieu, notamment en termes de frein au développement. Les conséquences pour les groupes qui sont poursuivis - et ils le sont, de plus en plus, dans plusieurs pays à la fois car les régulateurs et les procureurs se coordonnent de plus en plus entre eux - peuvent également être dévastatrices : lourdes sanctions pénales pour la personne morale et ses dirigeants ; grosses amendes ; des millions d'euros d'honoraires d'avocats et de consultants pour mener les enquêtes internes, mettre en place les mesures correctives et pour la surveillance de l'efficacité de ces mesures, sans compter le temps consacré par les dirigeants, et les fonctions juridique et compliance pour ce faire ; exclusion des marchés publics et des projets financés par la Banque Mondiale ; actions judiciaires des partenaires et/ou des concurrents pour annulation des contrats en cause, voire même de potentielles class actions ; baisse des cours de bourse. Et, surtout, une atteinte à ce qu'il y a de plus cher pour l'entreprise et ses collaborateurs : la réputation.

Malgré ces risques très importants qui sont loin de relever de la théorie (il suffit de demander à ceux qui ont été poursuivis), beaucoup de groupes français, en ce compris certains qui sont très exposés, que ce soit en raison de leur secteur d’activité et/ou de leur présence géographique, n’ont toujours pas mis en place les procédures minimales, comme par exemple celles préconisées par la Banque Mondiale ou celles qui seront proposées dans le cadre de la norme ISO anti-corruption qui est en train d’être mise en place : politique de conformité solide ; fomation efficace des personnels, en particulier ceux qui sont à risque (les fonctions achat ; les forces de vente...) ; analyse des risques en matière de corruption ; audits spécifiques lors d’acquisitions ; fonctions dédiées, notamment pour traiter efficacement les incidents remontés...

Au-delà du risque de sanctions et sans sombrer dans l’angélisme, cette lutte active contre la corruption a surtout un effet vertueux. Et il est parfaitement possible, comme le confirment les chiffres de certains groupes qui ont une politique très active en matière de compliance, de faire du business propre. Et rentable.

 


Christian Dargham, Avocat associé en éthique des affaires et contentieux au sein du Cabinet Norton Rose Fulbright.

 


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