A l’occasion d’une conférence organisée par le MEDEF le 2 mars dernier, le rôle déterminant que les entreprises peuvent jouer afin de garantir les souverainetés économique, industrielle et numérique, et la compétitivité internationale de la France était au cœur des débats.
Face aux sanctions commerciales, aux lois extraterritoriales américaines et aux ambitions chinoises, comment les entreprises françaises peuvent-elles défendre la souveraineté et la compétitivité de la France ? C’est à cette question qu’ont tenté de répondre les intervenants du colloque « Souveraineté & compétitivité des entreprises : plus de temps à perdre ! » qui s’est tenu au MEDEF le 2 mars dernier à l’initiative du Comité Souveraineté et sécurité économiques des entreprises présidé par Laurent Giovachini, Président de la Fédération Syntec et Directeur Général Adjoint de Sopra Steria.
« La guerre commerciale que se livre les Etats-Unis et La Chine, la remise en cause systématique du multilatéralisme, l’avènement de systèmes qui combinent économie de marché et restriction de libertés démocratiques, remettent en question la mondialisation heureuse » a indiqué Geoffroy Roux de Bézieux, président du MEDEF en ouverture de cette conférence. Plus récemment, l’usage exponentiel de l’extraterritorialité des lois par les Etats-Unis, la recrudescence de cyberattaques sont des « chocs qui ont faire comprendre aux entrepreneurs que la souveraineté n’était pas forcément un gros mot et qui fallait peut-être se poser la question de ce que cela voulait dire au 21ème siècle dans le monde économique ».
La souveraineté en question
Selon Edouard Bourcieu, représentant de la Commission Européenne en France et en Belgique pour les questions commerciales, « la souveraineté c’est ne pas se laisser dicter son agenda, peser sur le cour des choses, être capable de changer les règles du jeu avec une forme d’autonomie ».
Il observe un vrai changement d’état d’esprit à l’échelle européenne. Cela a pris forme notamment avec la communication adoptée l’année dernière par la Commission européenne qui décrit la Chine comme « un rival systémique, un concurrent stratégique » et fait l’unanimité au sein du conseil européen. La Chine n’est plus seulement une terre d’opportunités mais également une source de menaces majeures pour le système économique et social européen.
De même, il existe un changement dans les relations entre l’Union européenne et les Etats-Unis.
« Nous avons basculé d’un monde où les échanges commerciaux étaient fondés sur des règles vers un monde où les rapports de force sont beaucoup plus prégnants avec un système commercial multilatéral qui est en grand danger ».
En outre, aujourd’hui, la dimension économique est indissociable de la dimension technologique et des enjeux en termes de sécurité. Il faut être capable de rentrer dans ce jeu de rapport de forces même si l’Union européenne a un système fondé sur des règles qu’elle a intérêt à défendre »et avoir une approche plus intégrée comprenant les questions de sécurité, les enjeux économiques et technologiques. Concrètement, cela se traduit par un renforcement de l’arsenal commercial (mesures antidumping, antisubventions) mais aussi par la coordination européenne en matière de contrôles des investissements étrangers dans des secteurs stratégiques, l’établissement de conditions équitables de concurrence, la réciprocité en matière commerciale (ex : marchés publics), renforcement de la capacité de réaction en cas d’agression étrangère, défense des intérêts de l’UE avec ses partenaires commerciaux (contre mesures ou contre sanctions), la mise ne place d’un procureur commercial européen.
Par ailleurs, selon Bertrand Le Meur, directeur-adjoint des Affaires internationales, stratégiques et technologiques au secrétariat général de la Défense et de la Sécurité Nationale (SGDSN), « il n’y a pas de souveraineté sans prospérité ». Le SGDSN est là, dans un contexte de souveraineté, pour garantir une certaine sécurité économique, prospérité à notre tissu. « La question de notre souveraineté économique est la question de notre capacité à être les acteurs de notre destin »c’est-à-dire la capacité à faire en sorte que les décisions qui conditionnent l’autonomie stratégique et la capacité à faire du commerce ou avoir la sécurité d’approvisionnement dont on a besoin soient prises en France « sans influence étrangère excessive ».
Un système européen de souverainetés partagées
Nikolaus Meyer-Landrut, ambassadeur d’Allemagne en France indique que nous vivons dans un système européen de souverainetés partagées. Ainsi, dans certains domaines comme le commerce, la concurrence, la compétence d’agir a été transférée au niveau européen alors que dans d’autres domaines ce n’est pas le cas. Selon lui, trois éléments décrivent la souveraineté économique :
- Sens important de la capacité d’agir : savoir mettre en action ses capacités
- Capacité de défendre ses intérêts (en matière commerciale, investissements dans secteurs clés…)
- Veiller à éviter des dépendances trop fortes dans les domaines stratégiques
L’Europe soit retrouver la maîtrise de ces moyens de paiement car la souveraineté c’est avant tout maintenir ces centres de décision sur le territoire national. Benoit de la Chapelle Bizot, directeur Général par intérim de la Fédération Bancaire Française (FBF) Pour ce faire, il estime que le droit européen de la concurrence doit être fixé aussi selon cet objectif.
Apporter une réponse à la souveraineté offensive des Etats-Unis et de la Chine
Les Etats-Unis et la Chine mènent une politique de souveraineté offensive par le droit, la politique industrielle, la protection du marché, les subventions, les fusions pour faire des géants industriels.
La Direction générale des entreprises (DGE) essaie d’apporter une réponse à cette souveraineté offensive de ces deux ensembles économiques. « Nous avons essayé d’apporter une réponse en termes d’organisation, d’identification de nos entreprises stratégiques, de protection de ces entreprises, de renforcement de l’arsenal législatif », explique Thomas Courbe, Directeur général des entreprises
Au-delà de cet aspect défensif, la DGE mène aussi une politique de souveraineté offensive qui passe par une stratégie de reconquête industrielle. Dans le cadre du pacte productif annoncé par le président de la République Emmanuel Macron, une réflexion sur les marchés stratégiques a été engagée. De même, la DGE investit dans les innovations de rupture pour franchir des étapes plus rapidement dans certains domaines.
En outre, une politique de financement est mise en place avec deux fonds :
- le fonds Lac D’argent de BPI pour les grands groupes afin de stabiliser le capital des grandes entreprises françaises
- le fonds créé suite au rapport Tibi qui va permettre de mobiliser les financements privés pour accompagner la croissance des start-up
Thomas Courbe considère également que deux outils peuvent permettre de répondre à l’extraterritorialité du droit américain :
- l’Agence Française Anticorruption (AFA)
- la rénovation de la loi de blocage pour protéger les entreprises françaises
C’est aussi le sentiment de Laurent Giovachini qui a conclu cette conférence : « Notre souveraineté ne doit pas reposer sur une approche défaitiste, mais sur la capacité de leadership de nombreuses entreprises françaises et européennes sur la scène mondiale » et qui souligne également l'importance de se doter des outils technologiques et juridiques pour protéger les données sensibles des entreprises.
Arnaud Dumourier (@adumourier)
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