Points de vue de Pierre-Olivier Sur, Avocat Associé, Futur Bâtonnier du Barreau de Paris et Yves Mayaud, Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II) sur la réforme pénale.
La nouvelle réforme pénale est-elle juridiquement essentielle ou politiquement opportune ?
Pierre-Olivier Sur : Le problème avec le pénal, c’est qu’il y a une réforme majeure tous les deux ans depuis trente ans… Et pourtant, la question des prisons reste posée en France sans qu’aucun gouvernement n’ait osé s’y atteler : ni sous Nicolas Sarkozy, ni (pour l’instant) sous François Hollande. La réforme Taubira est donc juridiquement essentielle et politiquement opportune ! Car il est temps de choisir entre le « tout carcéral » comme aux Etats-Unis (où la proportion des prisonniers par rapport à la population adulte est dix fois supérieure à celle de la France) - système qui ne règle rien - et les voies alternatives qui, comme en Suède et en Finlande, ont permis de vider les prisons de la moitié de leurs effectifs - sans accroissement de la délinquance.
Yves Mayaud : Elle n'est ni l'une ni l'autre, pour être une réforme de plus, s'inscrivant dans une logique de confrontation entre les libertés et la sécurité. Elle ne réinvente pas le droit, par des solutions inédites, mais ne fait que moduler la politique répressive, dont chacun pourra juger de l'opportunité.
La suppression des peines planchers, symbole ou bienfait ?
POS : Symbole ! Car derrière l’effet annonce des peines planchers, les magistrats pouvaient y renoncer à condition de motiver leurs décisions, ce qu’ils faisaient en général.
YM : C'est un symbole, comme l'a été, en son temps, la création de ces peines. La médiatisation les concernant est un faux débat, puisque le juge a toujours la possibilité de prononcer des peines en dessous du plancher, avec pour contrainte d'avoir à motiver sa décision (n'est-ce pas le travail du magistrat ?). Rien n'est donc fondamentalement changé, hier comme aujourd'hui, de leur création à leur suppression.
Les peines de substitution à l’emprisonnement, type "peine probatoire", constituent-elles un ferment d’immunité pénale ou un instrument de lutte contre la récidive ?
POS : Prenons l’article 7 du projet Taubira1 et constatons que les effets sont inverses au but recherché. En abaissant de deux ans à un an (et à six mois si récidive) le seuil permettant de bénéficier d’un aménagement de peine, c'est-à-dire d’une liberté accompagnée, le projet de loi entraîne mécaniquement un accroissement de la population qui reste en prison (environ 10 000 individus – qui sortiraient aujourd’hui mais demeureraient emprisonnés avec le projet Taubira), ce qui est non seulement absurde, mais franchement scandaleux, puisque contraire à l’esprit du texte tel qu’il est vendu à la Nation.
YM : Dans leur philosophie, ces peines se veulent un instrument de lutte contre la récidive, au nom d'une individualisation que l'on veut la plus efficace possible. Mais il faut bien reconnaître qu'elles sont ressenties dans l'opinion, voire vécues par les condamnés eux-mêmes, comme un ferment d'immunité pénale. Alors la vraie question est posée : la politique répressive doit-elle être théorique ou concéder à l'efficience ?
Le législateur ne doit-il pas s’attaquer en priorité à la question de l’exécution des peines et, donc, à la réalité de celles-ci ?
POS : La peine probatoire est un mode d’exécution de la sanction. Mais alors l’encadrement et le suivi doivent être particulièrement exigeants. En Suède, le ratio d’agents de probation est de 1 pour 25 détenus (contre 1 pour 50 en France). Or le projet Taubira ne s’accompagnera que de l’embauche de 300 nouveaux conseillers en probation à la première année, puis 250 la deuxième année, tandis qu’il faudrait en former 1 500. C’est la raison pour laquelle nous sommes d’accord avec le Sénateur Vallini qui a proposé récemment une expérimentation d’un projet pilote alternatif à la détention dans le ressort de deux ou trois cours d’appel. Eu égard à l’importance de la réforme souhaitée et au peu de moyens dont dispose l’Etat, il faut en effet tester la nouvelle politique carcérale de façon très pragmatique en concertation avec les magistrats et les avocats in situ.
YM : Nous rejoignons la réponse à la question précédente ! Oui, la priorité doit être donnée à la réalité de l'exécution des peines. Sans sombrer dans une fixité historiquement dépassée, et philosophiquement contraire aux droits de l'Homme, il apparaît que moins les peines sont efficientes, plus la justice perd en légitimité. C'est sur ce terrain qu'il convient d'agir, afin de rompre avec le sentiment d'une défaillance institutionnelle. La peine est suffisamment individualisable dans son prononcé, pour ne pas en rajouter lors de son exécution, notamment par des délais trop longs d'application, un manque d'encadrement ou de suivi, voire un laxisme regrettable, qui n'a plus rien à voir avec une politique humaniste.
Propos recueillis par Denis Mazeaud, Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II)
Cet article est extrait du n° 2 de la newsletter Le Monde du Droit Selon Capitant (TELECHARGER LE NUMERO AU FORMAT PDF)