Jacques-Henry de Bourmont et Alexandre de Konn, avocats, Lefèvre Pelletier & Associés, proposent un bilan de la lutte contre la fraude fiscale.
Une circulaire relative à la lutte contre la fraude a été publiée par le ministère de la Justice et le ministère des Finances le 22 mai dernier. Un plan de lutte contre la fraude aux finances publiques a également été adoptée pour 2014/2015 en complément du dispositif répressifs des lois n°2013-1115 et n°2013-1117 du 6 décembre 2013. Un premier bilan s'impose.
La lutte contre la fraude fiscale a été l’une des préoccupations majeures du gouvernement depuis le mois d’avril 2013. Plusieurs affaires judiciaires récentes, notamment celle visant un ancien ministre du budget pour des faits de fraude fiscale et de blanchiment de fraude fiscale, ont frappé les esprits, particulièrement dans un contexte de déficit public considérable.
En réponse à l’émoi suscité par ladite affaire Cahuzac, plusieurs mesures ont été adoptées concernant la lutte contre les conflits d’intérêts, la corruption et la fraude fiscale, telle que l’instauration d’un procureur de la République financier par deux lois du 6 décembre 2013.
Alors que la lutte contre la fraude fiscale se poursuit, avec notamment l’adoption du plan national de lutte contre la fraude aux finances publiques pour 2014-2015, la question du bilan des mesures déjà adoptées se pose. Or, si les résultats apparaissent positifs, le nouveau dispositif n’en demeure pas moins exempt de toutes critiques.
Jacques-Henry de Bourmont et Alexandre de Konn, avocats, Lefèvre Pelletier & Associés, proposent un bilan de la lutte contre la fraude fiscale.
Une circulaire relative à la lutte contre la fraude a été publiée par le ministère de la Justice et le ministère des Finances le 22 mai dernier. Un plan de lutte contre la fraude aux finances publiques a également été adoptée pour 2014/2015 en complément du dispositif répressifs des lois n°2013-1115 et n°2013-1117 du 6 décembre 2013. Un premier bilan s'impose.
La lutte contre la fraude fiscale a été l’une des préoccupations majeures du gouvernement depuis le mois d’avril 2013. Plusieurs affaires judiciaires récentes, notamment celle visant un ancien ministre du budget pour des faits de fraude fiscale et de blanchiment de fraude fiscale, ont frappé les esprits, particulièrement dans un contexte de déficit public considérable.
En réponse à l’émoi suscité par ladite affaire Cahuzac, plusieurs mesures ont été adoptées concernant la lutte contre les conflits d’intérêts, la corruption et la fraude fiscale, telle que l’instauration d’un procureur de la République financier par deux lois du 6 décembre 2013.
Alors que la lutte contre la fraude fiscale se poursuit, avec notamment l’adoption du plan national de lutte contre la fraude aux finances publiques pour 2014-2015, la question du bilan des mesures déjà adoptées se pose. Or, si les résultats apparaissent positifs, le nouveau dispositif n’en demeure pas moins exempt de toutes critiques.
Présentation du dispositif législatif
Présentation du dispositif législatif
Ce dispositif renforcé de lutte contre la fraude fiscale est principalement issu de trois lois du 11 octobre et du 6 décembre 2013. Trois axes s’en dégagent.
- Instauration du procureur de la République financier
Le procureur de la République financier a été créé par deux lois n° 2013-1115 et n° 2013-1117 du 6 décembre 2013. Ce parquet autonome est institué, depuis le 1er février 2014, au sein du tribunal de grande instance de Paris, sous le contrôle du Procureur général de la Cour d’Appel de Paris.
Cette nouvelle figure juridique inédite dispose d’une compétence nationale en matière d’infractions économiques et financières. La circulaire du 31 janvier 2014 a précisé qu’en matière de délits de nature fiscale, le procureur de la République financier est compétent en matière de fraude complexe prévue aux 1° à 5° de l’article L. 228 du livre des procédures fiscales ou commise en bande organisée, d’escroqueries à la taxe sur la valeur ajoutée lorsqu’elles apparaissent d’une grande complexité et de blanchiment de ces infractions et des infractions connexes.
- Aggravation de la répression
Six nouvelles circonstances aggravantes sont listées par l’article 1741 du code général des impôts tel que modifié par la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, parmi lesquelles figurent la circonstance de bande organisée, de domiciliation fiscale fictive ou encore de recours à un acte fictif.
Les peines ainsi aggravées sont portées à sept ans d’emprisonnement et 2 millions d’euros d’amende.
Le statut de repenti est désormais applicable et permet une réduction de moitié de la peine privative de liberté encourue par l’auteur ou le complice d’un délit de fraude fiscale qui a permis d’identifier les autres auteurs ou complices de ce délit.
L’administration fiscale dispose, depuis la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, d’un délai de six ans pour déposer plainte en matière de fraude fiscale, au lieu de trois ans auparavant.
En matière de blanchiment de fraude fiscale, le nouvel article 324-1-1 du code pénal institue un renversement de la charge de la preuve dès lors que les conditions de réalisation d’une opération ne peuvent s’expliquer autrement que par la volonté de dissimuler l’origine des biens ou des revenus, qui sont alors présumés être le produit d’un crime ou d’un délit.
- Renforcement des procédures d’enquêtes
La loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière a étendu les possibilités de recours à des mesures d’investigation dérogatoires du droit commun, prévues par l’article 706-1-1 du code de procédure pénale, à la fraude fiscale aggravée et au blanchiment de ce délit.
Ainsi les services d’enquête peuvent avoir recours, sous le contrôle de l’autorité judiciaire, à des surveillances, des infiltrations, des interceptions de correspondances téléphoniques, des sonorisations et fixations d’images de certains lieux et véhicules, des captations, conservations et transmissions de données informatiques et des saisies conservatoires.
Afin de spécialiser davantage les services d’enquête, un Office Central de Lutte contre la Corruption et les Infractions Financières et Fiscales (OCLCIFF) a été créé par le décret n° 2013-960 du 25 octobre 2013, au sein de la Direction centrale de la Police Judiciaire.
Cet office central, composé de la brigade nationale de lutte contre la corruption et la criminalité financière et de la brigade de répression de la délinquance fiscale, est compétent pour les infractions mentionnées à l’article 28-2 du code de procédure pénale (fraude fiscale), les atteintes à la probité des personnes publiques et les infractions de droit pénal des affaires. L’OCLCIFF est également compétent pour les faits de blanchiment de ces infractions et pour les infractions qui leur sont connexes.
Les missions de l’OCLCIFF sont diverses : mener des enquêtes judiciaires, assister d’autres services lors de celles-ci, effectuer ou poursuivre à l’étranger les recherches, recueillir et centraliser des renseignements, suivre et exploiter tout dispositif de signalement mis en place. Ces enquêtes sont réalisées soit à l’initiative de l’office, soit à la demande de magistrats spécialisés du parquet ou de l’instruction.
Un an après les annonces du Président de la République suite à l’affaire Cahuzac, ce dispositif législatif a été complété par la circulaire relative à la lutte contre la fraude fiscale du 22 mai 2014.
Afin de déjouer les schémas de fraude fiscale, cette circulaire recommande une intensification et un suivi des échanges entre l’administration fiscale et l’autorité judiciaire.
A ce titre, les services fiscaux sont invités à faire un usage actif de l’article 40 du code de procédure pénale en portant à la connaissance des autorités judiciaires des infractions dont ils ont connaissance à l’occasion de leurs fonctions.
L’administration fiscale doit diversifier ses plaintes, tant à raison de la nature des fraudes que des moyens juridiques mis en œuvre. Son choix doit se porter prioritairement sur les fraudes les plus graves, notamment au regard des enjeux financiers, mais également sur les fraudes fiscales de nature patrimoniale ou internationale.
La circulaire encourage les services de recouvrement à déposer des plaintes pour fraude fiscale contre les personnes qui organisent leur insolvabilité ou font obstacle au recouvrement des impôts par toutes autres manœuvres.
De leur côté, la circulaire prévoit que les parquets doivent veiller à élargir le champ des incriminations liées à la fraude fiscale afin que puissent être sanctionnés des délits connexes, comme le blanchiment ou le recel.
Le procureur de la République doit en outre s’assurer de la réception par l’administration fiscale d’un avis à victime dans les affaires où un délit de nature fiscale est poursuivi. En cas de classement sans suite, elle doit être informée des éléments ayant conduit à une telle décision.
Dans le prolongement du durcissement des sanctions applicables à la fraude fiscale, les parquets sont invités à prendre des réquisitions empreintes de fermeté, notamment en cas de volonté flagrante du contribuable d’échapper à l’impôt, de recours à des manœuvres tendant à égarer l’administration, d’absence de volonté d’amendement du prévenu ou encore en présence d’une récidive légale ou d’une réitération d’infractions.
Enfin, les parquets sont incités à favoriser, à titre de peines complémentaires, les saisies et confiscations ainsi que l’affichage et la diffusion de la décision.
Des règles de compétence qui restent encore floues
Des règles de compétence qui restent encore floues
Le blanchiment de fraude fiscale est une infraction autonome de la fraude fiscale et demeure hors du champ de compétence de l’administration fiscale, contrairement à la fraude fiscale.
Cette autonomie a notamment pour conséquence que le juge judiciaire se retrouve avec la possibilité de mettre en œuvre le délit de blanchiment alors que la qualification de fraude fiscale n’a pas été retenue par le juge administratif ou que l’administration fiscale a pris l’engagement de ne pas déposer plainte.
Cet affranchissement de la compétence du juge administratif octroie au blanchiment un régime déconnecté de celui de la fraude fiscale et constitue une insécurité majeure à laquelle il conviendra de remédier.
Dans des économies ouvertes, le droit pénal fait également partie de l’attractivité du territoire et le nouveau système mis en place, tout à fait légitime dans ses objectifs, doit encore être amélioré afin de clarifier le champ d’application des différentes infractions, et surtout celui des règles de compétence entre le juge judiciaire et le juge administratif Il est entre nous aberrant qu’en 2014 nous en soyons encore là et cela n’est qu’une des nombreuses illustrations de réforme politique conduisant à un empilement législatif sans que la cohérence du système soit analysée sérieusement.
Premier bilan
Premier bilan
Dix milliards d’euros ont été encaissés en 2013 par la Direction générale des finances publiques au titre de la lutte contre la fraude fiscale, soit un milliard d’euros de plus qu’en 2012.
Les contrôles fiscaux menés en 2013 ont permis de notifier des redressements pour un montant global de 18 milliards d’euros, montant proche de celui de 2012 (18,1 milliards d’euros).
Un autre chiffre positif est celui des résultats de la cellule de régularisation, mise en place depuis le 21 juin 2013 pour les avoirs non déclarés détenus à l’étranger.
Sur les 23.191 dossiers reçus, 1.260 ont été traités entièrement pour un montant de 764 millions d’euros versés à l’Etat.
D’ici à la fin de l’année 2014, 1,8 milliard d’euros devraient être perçus. Pour faire une analyse précise des gains réels réalisés, il faudrait cependant mettre en regard le montant des recettes perdues du fait des exilés fiscaux et des transferts de sièges sociaux hors de France. Le bilan risquerait d’être plus nuancé, voire négatif.
Si ces premiers résultats chiffrés sont encourageants, le nouveau dispositif de lutte contre la fraude fiscale reste sujet à interrogation sur le plan juridique. Plus précisément, l’institution d’un procureur de la République financier a soulevé parmi les professionnels du droit différentes questions.
En effet, cette nouvelle institution est confrontée à son exposition au pouvoir politique, à la concurrence des autres parquets ainsi qu’aux particularismes de la procédure fiscale.
Au regard des dossiers à dimension politique que le procureur de la République financier est amené à connaître, la question de son indépendance apparaît centrale. Or, les dossiers qui lui sont dévolus constituent des procédures significatives dont le garde des Sceaux a vocation à être informé. Cette concentration des procédures sensibles entre les mains d’un seul parquet ne le condamne pas à l’inefficacité, mais comporte des risques.
Le procureur de la République financier, s’il dispose d’une compétence exclusive pour les délits boursiers, doit faire face pour ses autres compétences à la concurrence des autres parquets.
Une circulaire du 31 janvier 2014 est intervenue afin de définir les clés de répartition des dossiers entre les parquets. Le parquet territorialement compétent est référent pour recevoir les informations sur la délinquance économique. Toutefois, il doit informer systématiquement le procureur de la République financier des dossiers susceptibles d’entrer dans son champ de compétence. En outre, les plaintes pour fraude fiscale présentant une grande complexité ont vocation à être adressées au procureur de la République financier.
Cette circulaire a également définit certain critères matériels de compétence, comme le retentissement national ou international de l’affaire ou sa grande technicité.
Pourtant elle ne prévoit aucune obligation de dessaisissement du parquet territorialement compétent au profit du procureur de la République financier. Une telle situation est source de potentiels conflits de compétence réglés par les procureurs généraux, voire la direction des affaires criminelles et des grâces qui, selon la circulaire, devra organiser le dialogue.
Ainsi, la création du procureur de la République financier s’accompagne d’une grande complexité procédurale.
Enfin, si l’instauration de ce magistrat spécialisé participe du renforcement des pouvoirs d’enquête en matière de lutte contre la fraude fiscale, il demeure confronté à la spécificité de la procédure fiscale.
Le législateur n’a, en effet, pas levé un obstacle important à la poursuite des infractions fiscales, « le verrou de Bercy ». Il s’agit de la condition de la plainte préalable de l’administration fiscale pour poursuivre les infractions fiscales prévues par l’article L. 228 du livre des procédures fiscales. Cette plainte ne peut être déposée qu’après avis conforme de la Commission des infractions fiscales.
Perspectives
Perspectives
Le dispositif législatif mis en place, notamment par les lois n° 2013-1115 et n° 2013-1117 du 6 décembre 2013, a été complété par le plan national de lutte contre la fraude aux finances publiques pour 2014-2015, adopté le 22 mai dernier par le Comité national de lutte contre la fraude.
Ce plan détaille les priorités gouvernementales en matière de lutte contre la fraude aux finances publiques et présente quatre axes stratégiques :
- Mieux mesurer la fraude, notamment via un partage des bonnes pratiques avec les autorités étrangères ;
- Mieux prévenir et détecter la fraude en améliorant son ciblage via par exemple le data mining ;
- Mieux sanctionner la fraude par la mise en œuvre des sanctions édictées par la loi n°2013-1117 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière du 6 décembre 2013 ;
- Mieux communiquer par une sensibilisation des agents en interne et des campagnes de sensibilisation nationales afin de dissuader les éventuels fraudeurs.
Nous pourrions ajouter également à ces objectifs deux nouveaux axes :
- Appréciation de la compétitivité du système pénal de lutte contre la fraude fiscale au plan européen ;
- Augmenter la sécurité juridique en précisant mieux les contours des infractions fiscales et financières et le règles de compétences entre l’Administration fiscale et le pouvoir judiciaire.
A l’heure du premier bilan, le dispositif législatif de lutte contre la fraude fiscale issu des lois n° 2013-1115 et n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 semble être parvenu à combiner la recherche de l’efficacité et des objectifs politiques. Pour autant, face aux interrogations qui demeurent, notamment quant au procureur de la République financier, ces résultats encourageants devront être confirmés.
A propos des auteurs
Jacques-Henry de Bourmont, avocat associé, Lefèvre Pelletier & Associés
Né en 1968, Inscrit au barreau de Paris depuis 1996
Avocat associé, directeur du département fiscal au sein du cabinet depuis mars 2011
Titulaire d’un DEA de droit des affaires (Université Paris X) et d’un DESS de fiscalité (Université Paris IX Dauphine). Chartered Surveyor » par la RICS (Royal Institution of Chartered Surveyors), France
Co-auteur avec les autres avocats du cabinet et DTZ de :
La règle du jeu –Montage et suivi d’opérations immobilières d’entreprise – Editions Le Moniteur - 2014
Alexandre de Konn, avocat, spécialiste en droit pénal, Lefèvre Pelletier & Associés
Né en 1975 , Inscrit au barreau de Paris depuis 2001
Avocat Collaborateur Lefèvre Pelletier & associés au sein du cabinet depuis 2002, spécialiste en droit pénal des affaires titulaire du certificat de spécialisation en droit pénal
Co-auteur, avec Pascaline Déchelette-Tolot, associé de :
« Le risque pénal dans les opérations immobilières », Le Moniteur - 2009
« Les infractions pénales dans les opérations de construction », Lamy axe droit - 2014