Le jugement du Tribunal administratif de Montreuil du 14 novembre 2024 (TA de Montreuil 14 novembre 2024, n° 2304169) illustre l'application rare de l'article L. 600-7 du code de l'urbanisme, condamnant des voisins pour recours abusif contre un permis de construire. Explications par Magalie Dejoux, avocate chez De Gaulle Fleurance & Associés.
Contexte
Par un jugement n°2304169 en date du 14 novembre 2024, le Tribunal administratif de Montreuil a fait application de l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme et a condamné les auteurs d’un recours contre un permis de construire, voisins immédiats du projet, à verser des dommages et intérêts, en raison du caractère abusif dudit recours.
Ce jugement est important pour les porteurs de projets car les décisions fondées sur l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme sont excessivement rares, le juge rejetant quasi-systématiquement les demandes fondées sur cet article.
Une double condamnation sur les fondements des articles L. 600-7 du code de l’urbanisme et R. 741-12 du code de justice administrative
L’article L. 600-7 du code de l’urbanisme prévoit que : « Lorsque le droit de former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager est mis en œuvre dans des conditions qui traduisent un comportement abusif de la part du requérant et qui causent un préjudice au bénéficiaire du permis, celui-ci peut demander, par un mémoire distinct, au juge administratif saisi du recours de condamner l'auteur de celui-ci à lui allouer des dommages et intérêts. »
Il en ressort que, dans le cadre d’un recours à l’encontre d’un permis de construire, le pétitionnaire peut produire un mémoire distinct demandant la condamnation du requérant à lui verser une indemnisation, compte tenu du caractère abusif du recours. Il devra alors démonter (i) un comportement abusif du requérant lequel (ii) cause un préjudice au pétitionnaire.
En pratique, les juridictions administratives font preuve de prudence dans l’application de cet article et rejettent quasi-systématiquement les demandes sur ce fondement, afin de ne pas restreindre excessivement le droit fondamental au recours. En effet, les rares décisions ayant admis un recours abusif concernent des cas où les requérants sont dépourvus d’intérêt à agir (CAA Versailles, 3 octobre 2019, n° 18VE01741), des recours entachés de nombreuses irrecevabilités (CAA Versailles, 3 octobre 2019, n° 18VE01741, TA de Lille, 18 juillet 2024, n° 2103736) ou encore lorsque les requérants ne présentent aucun moyen sérieux de nature à démontrer l'illégalité du permis de construire en litige (TA de Lyon, 17 novembre 2015, n° 1303301).
Le juge semble d’autant moins admettre un comportement abusif du requérant lorsque celui-ci est voisin immédiat du projet (CAA Marseille, 10 novembre 2020, n° 18MA05252 ; CAA Douai 2 juin 2020, n° 19DA02089), notamment lorsque le projet est d’une envergure telle qu’il est de nature à entraîner « une perte de perspective visuelle et d’ensoleillement » (CAA Lyon 29 avril 2021, n° 20LY00927).
Il sera relevé que le juge peut, dans le cadre de son office et sur le fondement de l’article R. 741-12 du code de justice administrative, infliger à l'auteur d'une requête qu'il estime abusive une amende dont le montant ne peut excéder 10 000 euros.
Il a ainsi infligé une telle amende dans un cas où un requérant avait acquis un appartement situé à proximité d’un projet uniquement dans le but de se constituer artificiellement un intérêt à agir (CAA de Marseille, 20 mars 2014, n° 13MA02161) ou encore dans le cas où un propriétaire n’a pas justifié d’un intérêt suffisant pour agir, faute de démontrer une nuisance résultant d’un projet situé à 200 mètres de son bien (CAA Marseille, 20 mars 2014, n° 13MA02236).
Un recours abusif excédant la défense des intérêts légitimes
Dans cette affaire, les requérants, voisins immédiats, avaient connaissance du projet de construction dès l’achat de leur bien. Ils avaient également négocié une baisse du prix d’acquisition de leur bien compte tenu des nuisances potentielles résultant de la réalisation des travaux de construction sur la parcelle voisine.
Malgré ces circonstances, ils ont contesté le permis de construire et ont refusé toutes les tentatives de médiation qui leur ont été adressées.
Le Tribunal a relevé que ce recours ne répondait pas à la défense d’un intérêt légitime mais à une logique d’obstruction, en dépit de modifications apportées au projet pour limiter son impact sur leur propriété. Ce raisonnement repose sur l’exigence d’un usage raisonnable du droit à contester un permis de construire.
Le juge a donc condamné les requérants au versement d’une somme de 2 000 euros en réparation du préjudice des pétitionnaires sur le fondement de l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme. Il a également sanctionné ce recours abusif par la condamnation des requérants au versement d’une amende civile du même montant sur le fondement de l’article R. 741-12 du code de justice administrative.
La décision du Tribunal administratif de Montreuil démontre ainsi que les juridictions administratives peuvent sanctionner des comportements abusifs sur les fondements des articles L. 600-7 du Code de l’urbanisme et R. 741-12 du Code de justice administrative, notamment lorsque les requérants sont dépourvus d’intérêt légitime à agir. Toutefois, il peut également être constaté que les montants de ces condamnations restent encore faibles et ne permettent pas de réparer intégralement le préjudice financier subi par le pétitionnaire.
Vers une responsabilisation accrue des requérants ?
La décision du Tribunal administratif de Montreuil du 14 novembre 2024 constitue une illustration très rare mais exemplaire de l’application de l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme fondée sur la notion d’intérêt légitime à agir.
Elle contribue à l’émergence d’une jurisprudence bienvenue pour lutter contre les recours abusifs, même si les condamnations pécuniaires des requérants restent assez modestes.
À cet égard, il peut être relevé que même si l’admission de recours abusifs permet de décourager certains requérants à agir de manière illégitime, il semblerait néanmoins opportun de réparer l’intégralité du préjudice financier subi par le pétitionnaire lorsque ces recours sont reconnus.
À défaut d’une réparation satisfaisante par le juge administratif, l’opportunité d’une saisine du juge judiciaire pour obtenir une réparation du préjudice peut légitimement se poser. Cette solution apparaît toutefois contraignante pour le pétitionnaire victime du recours abusif et se voyant contraint d’initier une procédure judiciaire pour tenter d’obtenir une juste réparation de son préjudice.
Dans un souci d’efficacité et de responsabilisation des requérants, il serait souhaitable que les juridictions administratives trouvent un équilibre satisfaisant préservant à la fois le droit légitime au recours tout en procédant à une réparation juste du préjudice du pétitionnaire.
Magalie Dejoux, avocate chez De Gaulle Fleurance & Associés