Analyse critique des conclusions de l’Avocat Général Wathelet du 11 juin 2015 à propos des barres Kit Kat (C-215/14) par Alexandre Nappey, Associé, Clairmont Avocats.
Alors que les textes communautaires1 et français2 prévoient expressément l’admission à l’enregistrement des marques constituées de la forme d’un produit ou de son conditionnement, les déposants doivent encore surmonter de nombreuses embuches pour parvenir à l’enregistrement de leurs marques dites non traditionnelles.
Ainsi la forme des célèbres barres Kit Kat commercialisées par le Groupe Nestlé, a été admise à la protection dans de nombreux pays, dont la France, a fait l’objet au Royaume–Uni d’un refus de protection pour une partie des produits désignés, suite à une opposition de la société Cadbury, au motif que ce signe serait intrinsèquement dépourvu de caractère distinctif et qu’il ne l’aurait pas plus acquis par l’usage qui en a été fait.
Nestlé a interjeté appel de cette décision en juin 2013. C’est à cette occasion que la High Court of Justice britannique a décidé de saisir la Cour de Justice des trois questions préjudicielles suivantes :
1) La première question porte sur les conditions d’acquisition du caractère distinctif par l’usage effectué : reconnaissance de la forme et association au produit suffisante ou nécessité d’identification du produit comme provenant exclusivement d’une entreprise déterminée ? « Recognition or reliance »?
2) Les motifs de refus doivent-ils être appliqués cumulativement ?
3) Prise en compte de la manière dont les produits sont fabriqués ?
L'enjeu de ces questions est essentiel pour les entreprises qui souhaitent protéger et défendre à l'encontre des tiers la forme de leurs produits et/ou emballages.
Or, selon l'Avocat général il s'agit de "l'éventuelle possibilité, pour une entreprise, de s'assurer un monopole perpétuel en enregistrant un signe tridimensionnel en tant que marque".
Pourquoi discriminer ainsi les marques tridimensionnelles par rapport aux marques dites traditionnelles qui peuvent être renouvelées sans limitation de durée, alors même que l'office communautaire et les chambres de recours rappellent que l'article 7(1) (b) du RMC ne fait pas de distinction entre les différentes catégories de marque3-4.
Comment alors doivent-être interprétées les conclusions de l'Avocat Général du 11 juin 2015 ? S'agit-il réellement de la mort annoncée des marques tridimensionnelles comme certains5 l'ont déjà commenté, ou au contraire d'un requiem prématuré comme d'autres le laissent entendre6 ?
Sur le premier point, l'acquisition du caractère distinctif par l'usage, l'Avocat Général se contente d'affirmer que la marque doit indiquer l'origine des produits sans confusion possible ce qui correspond à la fonction traditionnelle de la marque telle que définie dans les arrêts Philips/Remington7.
Il ne conditionne pas l'acquisition du caractère distinctif à l'administration d'une preuve complémentaire d'identification de provenance exclusive d'une entreprise déterminée.
Dans ces conditions et en l'absence de toute confusion possible au regard des éléments de preuve apportés, la marque tridimensionnelle représentant la forme des gaufrettes Kit Kat devrait être enregistrée.
L'Avocat Général poursuit en indiquant "par opposition à toute autre marque pouvant également être présente".
Le fait que les gaufrettes Kit Kat soient exploitées en association avec une marque verbale peut-il réellement avoir un impact sur l'acquisition du caractère distinctif de la forme seule ?
L'exigence (inédite !) d'exploitation de la marque figurative de manière isolée en dehors de toute présence d'une marque verbale ne résulte d'aucun texte et va à l'encontre de la jurisprudence de la Cour de Justice.
La combinaison usuelle d'une marque de forme à une marque verbale ne prive pas pour autant la première de caractère distinctif.
En l'espèce c'est précisément la forme nue non associée à la marque verbale qui a été soumise aux personnes interrogées dans le cadre du sondage produit dans la procédure par Nestlé.
La Cour de Justice s'est clairement déjà positionnée sur ce point dans une affaire antérieure8 et il est également établi que sa position a une portée générale, notamment pour déterminer l'existence d'un risque de confusion au sens de l'article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/949.
Nul doute donc que le caractère distinctif d'une marque tridimensionnelle correspondant à la forme du produit peut être acquis suite à l'usage effectué de cette forme associée à une marque verbale.
A titre d'illustration, la bouteille nue commercialisée sous la marque Malibu a ainsi été admise à la protection suite aux preuves d'usage versées aux débats par le déposant10.
Au regard des éléments de preuve produits par la société Nestlé la forme nue des gaufrettes Kit Kat devrait également pouvoir être admise à l'enregistrement.
S'agissant des questions sur l'aspect fonctionnel,
La High Court demande à la CJUE de se prononcer sur le caractère non cumulatif des motifs de refus et sur la prise en compte éventuelle du mode de fabrication des produits.
L'Avocat général conclut d'une part qu'il suffit qu'au moins un des motifs de refus s'applique pleinement et d'autre part que la manière dont sont fabriqués les produits est un élément à prendre en considération s'agissant de l'obtention d'un résultat technique.
Or il est de jurisprudence constante que la recherche de l'obtention d'un résultat technique n'est appréciée qu'au regard de la seule utilisation du produit. Il est dès lors peu probable que la CJUE suive ce raisonnement.
En conclusion, la mort annoncée des marques tridimensionnelles est vraisemblablement un peu prématurée, les conclusions de l'Avocat Général Wathelet, à supposer même qu'elles soient suivies, n'impliquant en aucun cas le rejet de la marque tridimensionnelle correspondant à la forme des gaufrettes Kit Kat.
Rappelons par ailleurs que la Chambre de Recours de l'Office communautaire a déjà admis l'acquisition du caractère distinctif par l'usage effectué de cette forme de barres chocolatées à titre de marque dans sa décision du 11 décembre 2012.
L'admission enfin par l'arrêt du 19 juin 2015 de la forme des figurines Lego à titre de marque, est un élément encourageant pour les titulaires de droits11.
Alexandre Nappey, Associé, Clairmont Avocats
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NOTES
1. Directive 2008/95 du 22 octobre 2008 article 2 et article 4 Règlement RMC
2. Article L.711-1 du Code de la Propriété Intellectuelle
3. Voir par analogie l'arrêt du Tribunal du 3 décembre 2003, T-305/02, « shape of a bottle », point 35
4. Voir l'arrêt de la Cour du 25 octobre 2007, C-238/06 P, « Plastikflaschenform », point 80).
6. Notamment Roland Mallison Taylor Wessing LLP
7. CJUE 18 juin 2002- C-299/99§30
8. Arrêt du 7 juillet 2005, Nestlé, C353/03, Rec. p. I6135, point 30 Have a break have a Kit Kat.
9. CJUE cinquième chambre 18 avril 2013 affaire C12/12 Colloseum/Levi Strauss poches jeans.
10. Décision du 26 novembre 2014 Chambre des recours 2nd Board of Appeal – R 799/2013-2 –