II. Les initiatives latino-américaines en matière de climat et développement durable
Deux exemples méritent d’être soulignés : l’initiative prise par le Chili d’instaurer une taxe carbone et la nouvelle réglementation péruvienne pour la promotion d’une « finance durable ».
La présidente chilienne Michelle Bachelet a en effet promulgué, fin septembre 2014, un texte instaurant une taxe de 5 dollars (environ 4 euros) par tonne de CO2 rejetée par les installations d’une puissance d’au moins 50 mégawatts. Cette mesure s’inscrit dans le cadre des objectifs climatiques que s’est fixé l’Etat chilien en matière de politique climatique, dont notamment un objectif volontaire de réduction de 20% des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2020 par rapport au niveau de 2007. Cette nouvelle taxe carbone devrait entrer totalement en vigueur en 2018, après une mise en œuvre progressive. L’objectif de celle-ci est d’amener l’industrie de l’énergie a progressivement évoluer vers des sources d’énergies renouvelables et plus propres.
Cependant le Mexique fut le premier pays de la région à avoir pris l’initiative d’instaurer une taxe carbone, au début de l’année 2014. Le mécanisme mexicain, un peu plus élaboré que celui du Chili, permet aux entreprises mexicaines concernées d’utiliser les crédits de carbone, issus de ce mécanisme, pour réduire leur imposition. Un dispositif similaire a également été mis en place au Costa Rica à propos des carburants (8).
Ces mécanismes de tarification du carbone sont à rapprocher de ceux mis en place par de nombreux Etats à travers le monde. Ainsi, le mécanisme susvisé instauré par le Mexique prévoit un rapprochement avec des mécanismes similaires, plus mûrs, existants en Amérique du Nord, dans la perspective de créer un marché commun de quotas d’émissions de gaz à effet de serre. Un premier pas a été effectué en ce sens à travers une entente entre la Californie et le Mexique, en juillet 2014 (9).
Ces initiatives montrent que des mécanismes de participation/responsabilisation des entreprises, notamment celles des secteurs les plus polluants, sont en train d’être mis en place en Amérique latine. Un bon exemple de cette « mise à contribution » du secteur privé, s’appuyant sur les principes de la Responsabilité Sociale des Entreprises RSE, c’est la récente mesure approuvée au Pérou dite de « finance durable ».
En mars 2015, la Superintendencia de Banca, Seguros y AFP (SBS), l’autorité de régulation financière péruvienne, a publié la résolution n°1928-2015, concernant la gestion du risque social et environnemental. Cette norme, qui entrera en vigueur le 1er février 2016, impose des obligations de reporting aux établissements de crédit, dans le but de promouvoir, in fine, une finance durable.
La SBS péruvienne s’est inspiré d’une démarche volontaire proposée au niveau international : les Principes d’Equateur, élaborés en juin 2003 par un groupement d’établissements bancaires et financiers et ayant fait l’objet d’une révision en juin 2013 (10). Il s’agit donc d’un référentiel d’initiative privée, auquel les banques peuvent volontairement adhérer, et ayant pour objet la mise en place par les établissements signataires de procédures internes prenant en compte les enjeux environnementaux et sociaux dans leurs activités de financement de projet.
Les établissements signataires s’engagent à respecter dix principes comprenant notamment une prise en compte des parties prenantes (ou stakeholders) et un reporting transparent. Il s’agit donc d’un instrument international de soft law à destination du secteur de la finance.
Mais la nouvelle règlementation péruvienne va encore plus loin en ce qu’elle met à la charge des établissements bancaires une obligation annuelle de reporting, pouvant donner lieu à des sanctions de la part de la SBS. Il s’agit donc d’un véritable instrument de hard law, contraignant pour les entités concernées. Les acteurs du secteur financier concernés, s’agissant des projets de financement dépassant certains seuils, sont tenus de recueillir diverses informations sur le projet afin de l’évaluer, selon des critères sociaux et environnementaux, et le catégoriser en fonction du risque qu’il présente pour ces enjeux. Un « plan de gestion du risque social et environnemental » est alors élaboré afin de réduire les impacts négatifs du projet. Les établissements financiers vont donc introduire, en fonction de l’évaluation du projet, des clauses supplémentaires dans leurs contrats de crédit sur ce sujet.
Si des obligations de reporting sont déjà bien connues, notamment en France à travers l’article L. 225-102-1 du Code de commerce, l’initiative péruvienne est intéressante car elle déplace la charge de l’évaluation et du reporting sur les établissements bancaires et financiers, disposant de l’expérience et des moyens humains et matériels pour instaurer des procédures de gestion des risques sociaux et environnementaux, ce qui n’est pas toujours le cas des entreprises.
CONCLUSION :
Ces différentes initiatives latino-américaines méritent d’être évoquées dans le cadre de la COP21 comme des exemples novateurs, cherchant à harmoniser les outils financiers et les principes de la RSE, en vue d’instaurer des politiques de lutte contre le dérèglement climatique, plus inclusives et efficaces, en tenant compte des réalités locales.
Patricia Cuba-Sichler
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NOTES
1. En termes d’émissions de CO2 dues à la combustion d’énergie en 2012, la Chine atteignait 8 251 millions de tonnes CO2 (Mt CO2), les Etats-Unis atteignaient 5 074Mt CO2 et l’Amérique latine atteignait seulement 1 225 Mt CO2 selon le Rapport : « Chiffres clés du climat, France et Monde, Édition 2015 », Service des statistiques du ministère de l’écologie et du développement durable.
2. L’Amérique Latine et les Caraïbes sont les régions possédant la plus grande diversité biologique au monde. Le Brésil, la Colombie, l’Equateur, le Mexique, le Pérou et le Venezuela accueillent 60 à 70% de toute forme de vie sur Terre.
3. Instituto Nacional de Investigación en Glaciares y Ecosistema de Montañas - INAIGEM
4. Selon la FAO, sur la période 2010-2015, 2 millions Ha de forêt ont été perdus en Amérique du Sud
5. Ratio de la population pauvre disposant de moins de $ 1,25 par jour en Amérique Latine et Caraïbes : 4,6% en 2011. L’IDH de l’Amérique latine et des caraïbes était de 0,741 en 2013 selon le PNUD, Données du Banque Mondiale.
6. C’est le cas par exemple des pays de l’Alliance du Pacifique – le Chili, la Colombie, le Mexique et le Pérou – qui groupés représentent un marché de 216 millions de personnes, un PIB de 2,12 milliards de dollars US et affichent une croissance de 2,6%.
7. Alors que selon le calendrier initial de la CCNUCC, l’adoption d’un nouveau texte – remplaçant celui du Protocole de Kyoto – devait être adopté à la COP15 de Copenhague, seul un accord de principe a été signé proclamant la nécessité de limiter les émissions de CO2 à moins de 2°C.
8. http://www.journaldelenvironnement.net/article/chili-con-taxe-carbone,50775
9. Article « partenaire du Québec, La Californie tend la main au Mexique cf. http://www.ledevoir.com
10. http://www.equator-principles.com
A propos de l'auteur
Patricia Cuba-Sichler, Avocate aux barreaux de Paris et Lima, Responsable Desk América latina DS Avocats
Patricia Cuba-Sichler est plus particulièrement en charge des dossiers liés au contentieux des affaires et de droit de l’environnement, notamment, dans les domaines des pollutions et nuisances et de la gestion des installations classées. Elle s’intéresse également aux réglementations internationale, communautaire et nationale liées au changement climatique et plus particulièrement aux systèmes, volontaire et réglementaire, d’échange des quotas d’émission de gaz à effet de serre.