Xavier Chassin de Kergommeaux, avocat au Barreau de Paris et associé chez Gide revient sur l'insertion des minorités au sein des cabinets d'avocats.
Le Barreau de Paris est le reflet à peine déformé de notre société. En matière de diversité, les avocats, plus que les autres, doivent lutter contre l'injustice, appliquer le principe d’égalité des chances et intégrer les richesses de la mixité dans le fonctionnement quotidien de leurs cabinets. Il ne s’agit pas seulement d’un devoir moral mais de l’intérêt supérieur de la profession. En cette période de crise et de transition où le lien social se fragilise, agir pour la diversité évite la sclérose des esprits. Une telle politique mobilise des ressorts et des valeurs personnelles, à commencer par la justice et l’équité, qui constituent autant de leviers de motivation pour les collaborateurs et les associés.
L’Ecole du Barreau a la chance d'accueillir chaque année de nombreux élèves représentatifs des minorités, visibles ou non, ayant fait le choix de devenir avocats. J’ai la conviction que cette diversité est une vraie chance et que la nécessaire modernisation de notre Barreau ne pourra s’effectuer qu’avec une ouverture à tous ceux qui sont animés par la même ambition d’exercer et de servir notre profession.
L’accueil et l’intégration des minorités ne s’imposent pas comme une évidence à toutes les entreprises, cabinets d’avocats compris. La difficulté vient probablement d’un certain confort à rester "entre soi", d’une peur primale de la différence et des craintes que cette différence nuise à la cohésion de l’équipe.
Or tout dépend de ce que l’on nomme "cohésion" et des critères que l’on décide d’appliquer pour y parvenir. Je crois à la force de la collégialité pour l’exercice de notre métier : confronter ses analyses, qu’elles soient juridiques, stratégiques ou managériales, est un gage de qualité des décisions. Et plus le spectre des solutions envisagées et analysées est large, plus les options auront de chances d’être innovantes. Cette collégialité n’est que partielle si les profils représentés au sein de l’équipe sont uniformes, et faire coexister au sein d’une même équipe des profils différents est un moteur de cohésion. Elargir d’emblée l’éventail des candidatures, loin des préjugés, permet de découvrir des profils d’excellente qualité, motivés, talentueux et engagés. Encore faut-il se donner les moyens "d’intégrer et de faire coopérer de manière efficace des personnes présentant des caractéristiques sociologiques différentes, considérées comme légitimes".1 Il faut également admettre et souhaiter le changement que la diversité impliquera dans la structure d’exercice : une étude2 a analysé les performances comparées d’un groupe culturellement homogène et d’un groupe hétérogène pour atteindre un objectif déterminé. Aussi artificielles que puissent être les conditions de réalisation de cette étude, il est intéressant de constater que, pendant les premières semaines, le groupe hétérogène a eu plus de difficultés notamment à s’accorder sur les priorités et sur les méthodes pour parvenir au résultat escompté. Mais ces difficultés se sont estompées rapidement, pour laisser place à un avantage comparatif au profit du groupe hétérogène, susceptible d’offrir un croisement d’analyses différentes et un éventail plus large de solutions. C’est précisément le gage de l’excellence et de l’innovation.
En matière de diversité, la lutte contre les discriminations ne peut être mesurée statistiquement compte tenu de l’interdiction d’établir des segmentations liées notamment au type physique, à la religion ou aux origines. Il est toutefois nécessaire d’agir sur certains leviers pour parvenir à la diversité. Annoncer clairement le principe de la non-discrimination est un élément indispensable. Bien que cela puisse paraître un affichage de bons sentiments ou un simple rappel de la loi, cela permet notamment d’éviter l’auto-censure de ceux qui participent au recrutement. Cela permet aussi aux meilleurs collaborateurs, quel que soit leur profil, de se projeter dans l’avenir au lieu de se créer un plafond de verre que la politique de diversité a précisément pour objet de casser. Il convient aussi d’accompagner les équipes pour stimuler la cohésion. De ce point de vue notamment, une politique de diversité gagne à être conçue, annoncée, assumée et accompagnée dans le temps pour être à la fois crédible et efficace. Si nous autres, avocats, ne sommes pas à même d’agir pour faire changer les choses, qui le fera ?
Xavier Chassin de Kergommeaux, Avocat au Barreau de Paris, associé Gide, Candidat au Conseil de l’Ordre (élections des 15 et 16 décembre 2015)
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NOTES
1. La diversité, levier de performance… sous condition de management - Chaire Management & Diversité de l’Université Paris Dauphine