Alors que la Cour de cassation livre encore son interprétation des décrets Magendie entrés en vigueur en 2011, le décret n° 2016-660 du 20 mai 2016, applicable à compter du 1er août 2016, relatif à la justice prud'homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail vient étendre leur application devant la chambre sociale des cours d'appel.
Les articles 28 à 30 de ce décret, publié au Journal officiel le 25 mai 2016, instituent désormais une représentation obligatoire, soit par avocat, soit par défenseur syndical. À compter du 1er août 2016, les praticiens du droit social vont non seulement devoir éviter les multiples pièges nés de la procédure Magendie, mais encore faire face à cette dualité, jusque-là inconnue, d'une représentation obligatoire qui ne sera pas l'apanage de la profession d'avocat et qui engendrera inévitablement des questions supplémentaires.
- Comment faudra-t-il faire appel et se constituer devant la chambre sociale à partir du 1°’ août 2016 et quelles seront les décisions concernées ?
Si, jusqu’au 31 juillet 2016, les parties pourront toujours relever appel devant le greffe de la cour d’appel conformément à l’article 932 du Code de procédure civile, celles-ci devront nécessairement solliciter l’intervention d’un avocat à compter du 1°’ août 2016, puisque la représentation devient obligatoire devant la chambre sociale. Plus précisément, l’employeur devra saisir un avocat inscrit dans le ressort de la cour d’appel, et le salarié aura lui seul la possibilité d’être représenté soit par un avocat, soit par un défenseur syndical, lequel est institué également devant le conseil de prud’hommes.
Si c’est un avocat qui se constitue pour l’appelant et pour l’intimé, les dispositions de l’article 930-1 du Code de procédure civile s’appliqueront obligatoirement. Ainsi, appel, constitution et échange de conclusions auprès du greffe devront être régularisés par voie électronique, c’est-à- dire par le Réseau privé virtuel des avocats, à peine d’irrecevabilité relevée d’office.
En effet, ce n’est qu’en cas de preuve par l’avocat que l’acte ne pouvait être transmis par voie électronique à la cour, en raison d’une cause étrangère et extérieure, qu’il pourra être remis par voie papier au greffe (CPC, art. 930-1, al. 2) ou adressé le premier jour ouvrable suivant par notification électronique (CPC, art. 748-7).
Si c’est un défenseur syndical qui représente le salarié en appel, celui-ci ne dispose bien évidemment ni d’une clé e-barreau pour s’identifier, ni du RPVA, pour relever appel. Dès lors, le nouvel article 930-2 du Code de procédure civile précise que l’article 930-1 ne s’applique pas. Le texte prévoit alors que la déclaration d’appel est remise au greffe en autant d’exemplaires qu’il y a de parties destinataires, plus deux.
La remise sera constatée par la mention de sa date et le visa du greffier sur chaque exemplaire, dont l’un sera immédiatement restitué. Mais il appartiendra alors au défenseur syndical, et non au salarié, d’accomplir les formalités propres à cette déclaration d’appel.
En raison de cette dualité, une circulaire du Garde des sceaux du 5juillet 2016 précise que dans la mesure où la constitution par avocat n’est pas systématique, la procédure devant la chambre sociale échappe à l’application de l’article 1635 bis P du Code général des impôts et au paiement du timbre fiscal de 225 €, et ce quel que soit le mode de représentation choisie, que l’une ou l’ensemble des parties soient représentées par un avocat ou par un défenseur syndical.
Quant aux décisions concernées, le décret du 20 mai 2016 précise qu’il est relatif à la justice prud’homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail, et la représentation obligatoire ne s’imposera que sur appel des décisions du conseil de prud’hommes, à l’exclusion donc de celles des tribunaux des affaires de sécurité sociale. L’objet du décret, relatif à la première instance, à l’appel et à la résolution amiable des différends, précise d’ailleurs en exergue « adaptation de la procédure prud’homale en premier ressort et en appel ››.
- Est-ce que l’avocat et le défenseur syndical pourront intervenir devant toutes les cours de France et comment les conclusions seront-elles notifiées ?
A compter du 1 août 2016, dès lors que l’appel sera instruit selon les règles de la représentation obligatoire, l’appel, la constitution et la notification des conclusions devront nécessairement répondre aux règles de postulation en vigueur. Si un avocat plaidant, hors le ressort de-là cour d’appel, pourra bien évidemment intervenir, l’avocat postulant devra donc être inscrit dans le ressort de la cour d’appel auprès de laquelle l’appel est formé. Aucune règle de territorialité n’est prévue pour le défenseur syndical, salarié protégé, dont le statut entrera également en vigueur le 1 er août 2016 (L. n° 2015-990, art.259) et pour lequel les décrets d’application ne sont pas encore publiés.
Inscrit sur une liste arrêtée par l’autorité administrative sur proposition des organisations d’employeurs et de salariés, on peut imaginer que n’importe quel défenseur syndical pourra représenter un salarié même hors la cour d’appel amenée à statuer sur le litige, mais le maintien d’une déclaration d’appel par voie papier permet de penser qu’une solution « locale ›› devrait prédominer.
S’agissant des conclusions, et au-delà même de la question de la territorialité, la véritable interrogation est celle de la forme et de la preuve de la notification dans les délais imposés par les décrets Magendie, Car si l’horodatage de l’échange des conclusions avec le greffe et entre avocats, via le RPVA, permet de savoir exactement si les délais de procédure ont été respectés, il ne pourra en être de même avec le défenseur syndical. Si l’on se réfère à l’article 930-2 nouveau du Code de procédure civile, il est mentionné que "Les actes de procédure effectués par le défenseur syndical peuvent être établis sur support papier et remis au greffe". Le terme choisi d’une simple possibilité étonne, alors que l’irrecevabilité sera encourue par l’avocat qui choisirait toute autre forme de notification avec le greffe que celle du RPVA (mail, télécopie, etc.) et l’on perçoit surtout bien mal les contours d’une notification des écritures entre défenseur syndical et avocat, alors même que le respect des délais Magendie s’imposera.
Une circulaire du garde des Sceaux du 27 mai 2016 indique seulement que le défenseur syndical aura recours à une notification par voie papier auprès du greffe et de l’avocat adverse et que ce dernier devra notifier parle RPVA ses conclusions au greffe, et par voie de notification, sans autre précision, au défenseur syndical. Or, comment les parties choisiront-elles le meilleur mode de notification entre elles lorsqu’elles seront représentées par un avocat et un défenseur syndical, puisqu’en telle matière elles supportent la preuve que la notification des conclusions a été accomplie dans les délais des articles 908 et suivants du Code de procédure civile ? Ainsi, les parties devraient avoir recours à la notification par lettre recommandée avec accusé de réception ou à la signification par voie d’huissier, ayant à l’esprit qu’il faudra que leurs échanges aient nécessairement date certaine et que la remise devra être effectuée à l’intérieur des délais des articles 908 et suivants, quitte à anticiper, selon le mode de notification, sur lesdits délais. Voilà en tous cas une nouvelle source de jurisprudence à venir.
- Avocat et défenseur syndical devront-ils respecter les nombreuses obligations imposées par les décrets Magendie ?
Si le texte est uniquement dérogatoire en ce qui concerne la communication par voie électronique au seul profit du défenseur syndical, il n’existe en l’état aucune disposition qui lui permettrait de s’affranchir des dispositions des articles 901 à 916 du Code de procédure civile. La circulaire du garde des Sceaux du 27 mai 2016 précise d’ailleurs bien que l’appel répondra maintenant aux articles 901 et suivants du Code de procédure civile, ou encore aux règles de la procédure à jour fixe de l’article 917 dudit code. Ainsi les exigences calendaires imposées à peine de caducité de la déclaration d’appel et d’irrecevabilité des conclusions par les articles 902 et suivants du Code de procédure civile s’appliqueront à l’ensemble des parties, quel que soit le mode de représentation. Devant les exigences de la procédure d’appel avec représentation obligatoire, une interprétation dans le sens d’une dualité dans les obligations procédurales serait inévitablement contraire à l’article 6, § 1 de la Convention EDH. À de nombreuses reprises, la Cour de cassation a rappelé au sujet des articles 902 ou encore 908 et suivants du Code de procédure civile, que les décrets Magendie n’étaient pas contraires à la Convention EDH, et l’on imagine mal dès lors comment le dispositif viendrait sanctionner seulement une partie et pas l’autre, sans atteinte aux principes du procès équitable et d’égalité des armes. Les délais devront d’autant plus être surveillés que la Cour de cassation empêche le plus souvent toute régularisation. En pratique, la notification du jugement par le conseil de prud’hommes privera le plus souvent l’appelant de la possibilité de former un nouvel appel en cas de caducité (à la différence d’autres contentieux, lorsque la signification est laissée à l’initiative des parties) puisque l’intimé qui ne notifie pas ses conclusions dans le délai de l’article 909 du Code de procédure civile n’est plus recevable à former un appel principal quand bien même la décisionn’aurait pas été signifiée et qu’il y aurait intérêt (Cass. 2* civ., 13 mai 2015, n° 14-13.801 : JurisData n° 2015-011130) ou à soulever un moyen de défense ou un incident d’instance (Cass. 2° civ., 28 janv. 2016, n° 14-18.712 : JurisData n°2016-001068).
- En quoi dès lors cette nouvelle procédure différera de celle actuellement connue devant les chambres sociales ?
Les parties ne pourront plus conclure selon un éventuel calendrier de procédure, qui n’était qu’indicatif, mais devront respecter le schéma de base imposé en appel : 3 mois pour conclure à peine de caducité, 2 mois pour répondre et former appel incident à peine d’irrecevabilité, 2 mois pour répondre à un appel incident à peine d’irrecevabilité. D’autres obligations procédurales, nées des décrets Magendie et interprétées depuis par la Cour de cassation, devront être également respectées, comme par exemple en cas d’appel provoqué ou de non-constitution de l’avocat du salarié ou de l’employeur.
En outre, les principes de la procédure écrite s’appliqueront, et notamment ceux posés exclusivement en appel par l’article 954 du Code de procédure civile qui impose, notamment, de viser les pièces au soutien de chaque prétention et surtout de récapituler l’ensemble des demandes sous forme de dispositif (pendant du nouvel article R. 1453-5 du Code du travail qui impose désormais les mêmes obligations en première instance). Alors que la chambre sociale était jusque-là tenue de statuer sur l’ensemble des prétentions, même non contenues dans le dispositif des conclusions, la Cour désormais ne statuera que sur celles contenues dans ce dispositif. En cas d’omission, la sanction sera immédiate : la demande ne sera pas jugée. Aucune omission de statuer ne pourra être présentée puisque, précisément, la cour sera tenue par le dispositif des parties et elle
ne pourra donc, comme l’a déjà jugé la Cour de cassation, rétablir une contradiction entre le corps des conclusions et leur dispositif. La chambre sociale va également connaître le rôle majeur du conseiller de-là mise en état, dont les attributions sont considérables et nettement renforcées par les dernières jurisprudences de la Cour de cassation, qui lui donnent un rôle prépondérant dans le traitement des questions de procédure. Ainsi, en cas d’exception de procédure ou d’incident d’instance, le salarié ou l’employeur ne pourra plus invoquer le moyen dans ses écritures au fond, mais il devra conclure sur incident à peine d’irrecevabilité et parfois in límine litis devant le conseiller de la mise en état.
Enfin, "dommage collatéral" de cette représentation obligatoire en appel, les règles de l’unicité et de la péremption de l’instance sont supprimées (abrogation de C. trav., art. R. 1452-6 à R 1452-8).
Cela est parfaitement logique, puisque ce sont maintenant les dispositions des articles 564 et suivants relatifs aux demandes nouvelles interdites en cause d’appel, qui s’appliqueront, et que les règles en matière de péremption différent généralement en matière de procédure orale lorsque les parties n’ont pas à accomplir elles-mêmes de diligences. En revanche, pour toutes les instances introduites devant le conseil de prud’hommes avant le 1er août 2016, les règles anciennes perdureront.
- Comment l’audience de plaidoirie se déroulera désormais devant la chambre sociale ?
Puisqu’il s’agira d’une procédure écrite, les parties ne pourront ajouter de prétentions non-contenues dans leurs écritures et donc dans leur dispositif. Les dossiers, ne visant que les pièces régulièrement produites, devront être communiqués à la cour 15 jours avant la date de plaidoirie, notamment afin qu’un rapport d’un magistrat de la chambre puisse être établi à l’audience et que la discussion puisse être orientée sur quelques points de droit. C’est donc la fin de la prééminence de l’oralité que l’on connaît devant la chambre sociale.
Bien évidemment, la plaidoirie ne sera possible qu’à la condition que les obligations procédurales aient été, en amont, respectées (signification, assignation, conclusions). En effet, dans l’hypothèse où la déclaration d’appel serait jugée caduque de manière définitive, il n’y aura pas d’audience. Et si les conclusions sont jugées irrecevables, l’intimé sera réputé ne pas avoir conclu. Non seulement il ne pourra plus produire ses pièces, puisqu’elles viennent au soutien de ses écritures (Cass. ass. plén., 5 déc. 2014, n° 13-27.501 :JurisData n° 2014-029486), mais il ne pourra pas plaider devant la chambre sociale, qui pourra seulement entendre l’appelant.
Romain Laffly, avocat associé – Lexavoué Lyon, spécialiste en procédure d’appel