Liberté religieuse dans l’entreprise : Quelles limites ?

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Emmanuelle Sapène et Romain Aupoix - Avocats - Péchenard et AssociésComment s’articulent le droit d’expression des convictions religieuses et la pratique d’une religion avec les impératifs de l’entreprise ? C'est une question sur laquelle Emmanuelle Sapène et Romain Aupoix, avocats au cabinet Péchenard et Associés, ont accepté de se pencher.

Au delà des principes généraux affirmés par le Code du travail tels le respect des libertés individuelles des salariés ou l’interdiction des discriminations à raison des convictions religieuses, certaines dispositions du Code du travail ainsi que les solutions posées par la jurisprudence apportent des réponses concrètes aux questions qui peuvent se poser au quotidien.

Les absences pour fêtes religieuses

En premier lieu, il convient de rappeler que les absences du salarié doivent être préalablement autorisées par l'employeur et qu'une absence non autorisée est une faute qui peut être sanctionnée.

Ainsi, à titre d'exemple, il a été jugé que reposait sur une cause réelle et sérieuse le licenciement d'une salariée de religion musulmane qui n'était pas venue travailler le jour de la fête de l'Aïd el-Kebir, malgré le refus de son employeur de l'y autoriser (Soc. 16 décembre 1981 n° 79-41300). Les absences, y compris pour fêtes religieuses, doivent en conséquence être préalablement autorisées par l'employeur.

Reste que le salarié ne devant faire l'objet d'aucune discrimination à raison de ses convictions religieuses, les refus opposés aux demandes d'absences doivent reposer sur des éléments objectifs ayant trait à l'organisation et au fonctionnement de l'entreprise, que l'employeur devra être en mesure d'étayer en cas de contentieux. C'est notamment ce que rappelle la Halde (devenu le Défenseur des droits depuis le 1er mai 2011) dans une délibération 2007 -301 du 13 novembre 2007.

Les demandes spécifiques de départ en congés payés

Des demandes de départ en congés payés concomitantes à des périodes de fêtes religieuses peuvent être formées par certains salariés.

Or, il est important de rappeler que la période de prise des congés payés qui comprend obligatoirement la période du 1er mai au 31 octobre est fixée par la convention collective applicable ou, à défaut par l’employeur, conformément aux usages et après consultation des délégués du personnel et du comité d’entreprise.

Ensuite, à moins qu’il ne résulte de la convention collective ou des usages, l'ordre des départs sera fixé par l'employeur, après consultation des délégués du personnel, en prenant en compte les critères fixés par la convention collective applicable, tels que la situation familiale des intéressés, les possibilités de congé du conjoint et l'ancienneté dans l'entreprise.

Les demandes de départ en congés payés doivent donc être examinées à la lumière des seuls critères fixés par la loi et la convention collective et restent donc susceptibles d’être rejetées sur la base de ces éléments.

Les éventuels aménagements d'horaires

Des aménagements d'horaires peuvent également être sollicités par certains salariés, comme par exemple au cours de la période du ramadan (pauses ou absence de pause déjeuner afin de permettre un départ anticipé en fin de journée).

Sur ce point, les aménagements apportés aux horaires habituels des salariés paraissent relever du pouvoir de direction de l’employeur et sont possibles dès lors qu'ils se concilient avec l'organisation et le fonctionnement de l'entreprise. Ces aménagements peuvent donc être autorisés comme ils peuvent être refusés compte tenu de l’organisation et des impératifs de fonctionnement de la société.

Il convient en outre de veiller, en cas d'accord sur l'aménagement d'horaires, à ce que les salariés bénéficient des temps de pause obligatoires (20 minutes à partir de 6 heures de travail quotidien) et donc que les aménagements apportés ne placent pas ces salariés en infraction avec les règles applicables en matière de durée du travail.

Le port de signes religieux

S'agissant du port de signes religieux, il résulte de la jurisprudence que l'employeur peut interdire le port de signes religieux notamment lorsque la tenue du salarié est susceptible de poser des problèmes particuliers en raison de ses contacts avec la clientèle.

Ainsi, il a été jugé que le refus de l'employeur, en raison des conséquences sur le fonctionnement de son entreprise, du comportement d'une salariée dont la tête, le cou et une partie du visage sont dissimulés par un foulard, est justifié par la nature de la tâche à accomplir par cette vendeuse au contact des clients d'un centre commercial ouvert à un large public dont les convictions sont variées et à l'égard desquels la neutralité ou à défaut la discrétion dans l'expression des opinions personnelles s'impose. La restriction apportée par l'employeur à la liberté de la salariée, limitée au seul port ostentatoire du foulard, proportionnée au but recherché puisqu'il a accepté le port d'un bonnet conforme aux exigences rituelles, ne constitue pas une faute dans l'exercice de son pouvoir de direction (Cour d'appel de Paris 16 mars 2001 n° 99-31302).

La Halde est pour sa part venue rappeler, dans une délibération du 6 avril 2009, à la lumière des décisions prises en la matière, que le simple fait d'être en contact avec la clientèle ne semble pas être, en soi, une justification légitime pour restreindre la liberté de religion et de convictions du salarié, l'interdiction du port de signes religieux devant, en dehors de toute discrimination, être proportionnée et justifiée par la tâche à accomplir.

Il peut donc être envisagé d'interdire le port du foulard à une salariée en contact avec la clientèle, sous réserve que cette interdiction soit justifiée et proportionnée aux tâches effectuées par cette dernière.

Emmanuelle Sapène et Romain Aupoix, avocats au cabinet Péchenard et Associés


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