Des propos sexistes répétés à l'encontre de collègues de travail justifient un licenciement, même si ces propos ont été auparavant tolérés par la hiérarchie (Cass. Soc, 12 juin 2024, n°23-14.292, publié au Bulletin).
Un salarié est licencié pour faute pour avoir tenu des propos salaces, insultants et dégradants à l’égard de plusieurs collègues de sexe féminin. La Cour de cassation considère que ce licenciement est justifié, même si des propos de même nature avaient été tolérés dans le passé par l’employeur. Ainsi, la Cour de cassation censure la décision de la Cour d’appel de Grenoble en retenant que l'absence de sanction antérieure n’empêche pas l'employeur de licencier le salarié qui réitère des propos sexistes et alors même que l'employeur avait initialement envisagé une sanction moindre.
La Cour de cassation statue au visa de l'article L. 1142-2-1 du code du travail relatif aux agissements sexistes, introduit dans le code du travail par la loi n° 2015-994 du 17 août 2015. L'article L. 1142-2-1 précise : « Nul ne doit subir d'agissement sexiste, défini comme tout agissement lié au sexe d'une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ». Ce texte vise à lutter contre le « sexisme ordinaire ». Le règlement intérieur de l’entreprise doit rappeler l’interdiction des agissements sexistes.
La caractérisation de l'agissement sexiste ne nécessite pas de répétition. Cependant, la Cour de cassation relève spécifiquement dans l’arrêt du 12 juin 2024 que les propos du salarié étaient répétés et constituaient ainsi un comportement fautif justifiant un licenciement.
Cette précision de la Cour de cassation s'explique sans doute par le fait qu'en l'espèce, les propos incriminés, par leur connotation sexuelle, s'apparentaient davantage à du harcèlement sexuel qu'à des agissements sexistes.
La Cour de cassation vise également les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, relatifs à l'obligation de sécurité de l'employeur envers les salariés. La Chambre sociale déduit de la combinaison de ces textes que l'employeur est tenu de faire cesser les agissements sexistes (§ 6 de l'arrêt). La preuve d'un préjudice n'est pas nécessaire, mais la prise en compte de la victime, en raison de l’obligation de sécurité à la charge de l’employeur, est bien présente. Comme le souligne l'avocate générale dans son avis, "il ne s'agit plus seulement de sanctionner un comportement fautif mais de protéger ses victimes en y mettant un terme et en prévenant la récidive". L’obligation de sécurité de l’employeur impose donc de faire cesser les agissements sexistes.
Le code de travail ne prévoyait initialement aucune sanction en cas d'agissements sexistes. Le législateur considérait leur interdiction comme un aspect de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. La loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 a intégré la prévention des agissements sexistes dans les obligations de prévention de l'employeur (C. trav., art. L. 4121-2).
Il importe de noter que depuis l'entrée en vigueur, le 31 mars 2022, de la loi n° 2021-1018 du 2 août 2021, l'article L. 1153-1 du code du travail énonce expressément que le harcèlement sexuel peut être constitué de propos ou comportements sexistes répétés. Le harcèlement sexuel est désormais défini comme « des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante » (C. trav., art. L. 1153-1).
Si c'est la première fois que la Cour de cassation fonde une décision sur l’article L. 1142-2-1 du code du travail, ce n'est pas la première fois qu'elle considère que des propos dégradants à caractère sexuel, tenus par un salarié à l'encontre d'une collègue, caractérisent une faute, voire une faute grave, peu important l'absence d'antécédent disciplinaire du salarié et son ancienneté (Cass. Soc., 27 mai 2020, n° 18-21.877). Le Conseil d'Etat a statué dans le même sens s'agissant d'un salarié protégé (CE, 7 octobre 2022, n° 450492, publié au Recueil Lebon).
La Cour de cassation apprécie de façon similaire la faute grave pour d'autres types de propos discriminatoires, par exemple les propos racistes, qui constituent une faute grave nonobstant l'ancienneté et l'absence d'antécédent disciplinaire du salarié (Cass. soc., 5 déc. 2018, n° 17-14.594).
Cet arrêt du 12 juin 2024 confirme la volonté de sanctionner les propos sexistes tenus à l'encontre de collègues de travail, permettant ainsi à l'employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la santé et sécurité de ses collaborateurs.
Sophie Brézin, Avocate Associée & Jeanne Dolléans, Avocate à la Cour, Herbert Smith Freehills Paris