Paris truqués : quand le droit du travail s'en mêle

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Kim Campion, Associé, Courtois LebelL'affaire des "paris truqués" du match de handball Montpellier / Cesson-Sévigné du 13 mai 2012 n'en finit plus de faire parler d'elle. Si un certain nombre de protagonistes pourraient faire l'objet de poursuites pénales, ils devront également faire face aux éventuelles sanctions disciplinaires que pourraient prendre leurs employeurs. Kim Campion et Amandine Bouée respectivement avocat associé et avocat en droit social du cabinet Courtois Lebel reviennent sur une affaire qui illustre à nouveau la complexité de la frontière entre vie privée et vie professionnelle.

Dimanche 30 septembre 2012, les frères Karabatic et 15 autres personnes étaient interpellés afin d'être entendus et que soient déterminées leurs implications respectives. Au même moment, le président du club de handball montpelliérain Rémy Lévi déclarait " Il y a un contrat de travail. S'il n'est pas respecté, on peut aller jusqu'à le rompre".

Des sanctions disciplinaires, pouvant aller jusqu'au licenciement, pourraient en effet être prises à l'encontre des joueurs n'ayant pas respecté leurs obligations contractuelles, à savoir exécuter loyalement leur contrat de travail et notamment respecter les règles éthiques et déontologiques du sport professionnel (honnêteté, intégrité, loyauté). Certains joueurs auraient d'ores et déjà reconnu avoir parié sur la défaite de leur équipe, au travers de personnes interposées, ce qui semblerait effectivement contrevenir aux règles de discipline édictées par leur fédération sportive (Cf. Loi n°2010-476 du 12 mai 2010 relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne).

Ceci, ajouté au préjudice d'image subi par le club, laisse fortement supposer d'un avenir sombre pour les joueurs concernés, dont les licenciements semblent annoncés.

De même, et plus étonnamment, la réaction de l'employeur de Jeny Priez, la compagne de Luka Karabatic actuellement en garde à vue et animatrice de télévision, ne s'est quant à elle pas faite attendre. Lundi 1er Octobre 2012, la chaîne NRJ12 annonçait l'avoir « suspendue pour lui laisser le temps de se défendre et également laisser le temps aux enquêteurs d'éclaircir ce qui s'est vraiment passé ». Dit autrement, on peut penser que la salariée aurait été mise à pied à titre conservatoire.

Cette décision interpelle sur la délicate frontière entre vie privée et vie professionnelle qui conduit à des situations de plus en plus complexes. L'interrogation est légitime : l'employeur peut-il initier une procédure disciplinaire à raison des faits tirés de la vie personnelle du salarié ?

Si un certain nombre de textes protègent le respect de la vie privée du salarié, (L'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; l'article 9 du Code civil ; l'article L. 1121-1 du Code du travail) la Cour de cassation a clairement énoncé depuis 2007 le principe selon lequel « un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut, en principe, justifier un licenciement disciplinaire, sauf s'il constitue un manquement de l'intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail » (Cass. mixte, 18 mai 2007, n°05-40.803 ; Cass. Soc, 27 mai 2012, 10-19.915).

Au cas particulier, difficile de faire un lien quelconque entre le pari sportif de l'animatrice de téléréalité et un manquement à son contrat de travail. De la même manière, son placement en garde à vue constitue en lui-même un fait de sa vie personnelle dont on voit mal comment il pourrait être assimilé à un manquement à son contrat de travail. D'un point de vue juridique, une telle mise à pied (si cette option a effectivement été retenue par la chaîne) pourrait être contestée. Si un licenciement disciplinaire s'en suivait, l'animatrice aurait tout intérêt à tenter de le faire qualifier d'abusif et d'obtenir des dommages et intérêts afférents.

De quelle marge de manœuvre dispose alors NRJ 12 ? La chaîne aurait-elle la faculté de s'engager sur la voie d'un licenciement pour cause réelle et sérieuse ?

La Cour de cassation admet qu'un « licenciement peut être justifié par le trouble causé à l'entreprise par le manquement du salarié, s'il perturbe gravement l'entreprise et rend impossible son maintien dans les effectifs » (Cass. Soc, 27 janvier 2010, n°08-45.566)

Là encore, la tâche semble ardue. NRJ12 serait ainsi contrainte de démontrer que le manquement considéré a causé un trouble perturbant gravement l'entreprise et rendant impossible le maintien de Jeny Priez dans ses fonctions. A ce stade, il nous semble que l'exposition médiatique de l'animatrice (jusqu'à présent...) et de la chaîne de télévision qui l'emploie ne pourraient peut-être pas suffire à justifier un tel licenciement, mais cela reste très subjectif et soumis à la libre appréciation du juge.

Aussi médiatiques qu'ils soient, et tant que l'animatrice n'a fait l'objet d'aucune condamnation pénale, les faits qui nous occupent relèvent selon nous de sa vie personnelle et ne sauraient que difficilement justifier en l'état qu'une mesure - sanction disciplinaire ou licenciement - soit prise à son égard par son employeur.

En tout état de cause, NRJ12 risque vraisemblablement de faire l'expérience douloureuse des méandres de la jurisprudence de la Cour de cassation. Les faits relevant de la vie personnelle des salariés sont à manier avec des pincettes !

 

Kim Campion et Amandine Bouée, respectivement avocat associé et avocat en droit social du cabinet Courtois Lebel


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